Rwanda : l'épine qu'Emmanuel Macron sort du pied de La France

Rwanda : l'épine qu'Emmanuel Macron sort du pied de La France

Ce week-end, deux ministres français se sont rendus à Kigali, pour reconnaître les responsabilités lourdes et accablantes de la France dans le génocide des Tutsis. Après les premiers articles des journalistes Patrick De Saint-Exupéry et Laure de Vulpian, rédigés pendant le génocide, les dirigeants français se sont tus sur des faits que le président Emmanuel Macron a décidé de partiellement révéler.

Oscar Tessonneau

Stupéfaction

"La France assume tout et exactement cela dans les termes que j’ai employés" le 27 mai 2021. Face caméra, Emmanuel Macron prend ses airs solennels, dans une vidéo diffusée à l'occasion du 30ème anniversaire du génocide au Rwanda, pour annoncer que la France reconnaît ses « responsabilités » dans un massacre ayant fait plus de 800 000 morts, essentiellement membres de la minorité tutsie, entre avril et juillet 1994. Dans cet enregistrement, il a ajouté : "Je n’ai aucun mot à ajouter, aucun mot à retrancher de ce que je vous ai dit ce jour-là" en précisant que la France "aurait pu arrêter le génocide" de 1994 au Rwanda "avec ses alliés occidentaux et africains", mais "n’en a pas eu la volonté". Un manque de volonté, que ses prédécesseurs ont masqué derrière d’ignobles mensonges sur lesquels le président se montre encore discret aux yeux de certains, bien qu’il se montre bien plus courageux que ses prédecesseurs.  

Officiellement due à « un problème d’agenda », selon les journalistes du Monde, l’absence d’Emmanuel Macron à Kigali est interprétée par Les Rwandais comme le signe de difficultés dans la récente, puisque le dossier reste sensible. En France, l’une des premières personnes à avoir documenté ce génocide est Patrick de Saint-Exupéry. Dès 1994, ses écrits et les reportages ont longtemps plongé dans la complexité du Rwanda avant, pendant et après le génocide, offre un aperçu personnel et profond de son expérience. Son premier voyage à Kigali remonte à 1990, il retrace le chemin qui l'a conduit à devenir un témoin clé de cette histoire tragique.  "J’étais rentré au Rwanda à la mi-mai, nous étions un tout petit groupe de journalistes." écrit de Saint-Exupéry. « En trois jours, nous n’avions vu que des morts. Et à ce moment-là, il n’y avait pas grand-chose à raconter parce qu’il n’y avait pas de témoignages, il n’y avait pas de mots." Cette période de silence, où les mots pour décrire l'horreur semblaient inexistants, met en évidence l'ampleur de l'indicible vécu par les victimes et les témoins du génocide.

Essayer de raconter l’horreur

La rencontre avec les survivants a apporté des récits fragmentés mais cruciaux, bien que difficiles à transmettre à un public éloigné des horreurs du génocide. "Heureusement, au bout du troisième jour, nous sommes tombés sur des rescapés, des survivants qui sortaient des marais dans la région de Nyamata. » A ce moment, Patrick De Saint-Exupéry explique qu’il est face à une autre difficulté. « Ces gens-là nous racontaient leur histoire... Il n’y avait plus de temporalité, il n’y avait plus de date. Tous les faits s’entrechoquaient." Cette complexité narrative souligne les défis auxquels sont confrontés les journalistes et historiens pour relayer fidèlement les témoignages des survivants, auxquels les équipes de Vincent Duclert ont tenté de faire justice. Dans plusieurs entretiens, Vincent Duclert a d’ailleurs souligné l’importance de ces travaux journalistiques. " Patrick de Saint-Exupéry et Laure de Vulpian ont mené un travail de vérité, et sans leur travail, sans leur courage, rien de ce que nous avons fait ne serait advenu." 

Omerta

Les hostilités commencent quatre ans après le massacre. En 1998, Michel Rocard révèle un document lors d’une audition devant une mission d'information. Dans Raconter La Guerre, Patrick de Saint-Exupéry indique que ce rapport contient une première série de preuves sur les dysfonctionnements institutionnels acceptées par le gouvernement français. "Lorsque Michel Rocard dit dans son audition qu’il a appris par la presse le déclenchement de l’opération Noroît alors qu’il était Premier ministre. cela pose d’énormes problèmes institutionnels", précise le journaliste.  Dans ce même essai, il indique que l’audition, marquée par la présence d’autres figures politiques telles qu’Édith Cresson et Roland Dumas, révèle les lacunes institutionnelles et constitutionnelles liées à l'opération Noroît. L'absence de la déclaration de Rocard dans les annexes de la mission d'information parlementaire soulève des questions sur la volonté d'occulter certaines vérités sur lesquelles s’est penché Vincent Duclert. "Ce que Michel Rocard n'a pas pu accomplir, Emmanuel Macron l'a réalisé le 27 mai 2021", soulignait l’auteur du rapport sur Le Rwanda dans une série d’échanges avec Patrick De Saint-Exupéry, afin de montrer les efforts déployés pour apporter la lumière sur ces pages sombres de l'histoire. Ainsi, on comprend que le chemin vers cette reconnaissance n'a pas été sans embûches. Les tentatives antérieures, comme celle de Nicolas Sarkozy, bien qu'audacieuses, n'ont pas suffi à fissurer le voile de l'omerta. "Il a fallu lutter contre une chape de plomb, une résistance tenace à la vérité", témoigne Duclert, qui s’est une nouvelle fois exprimée dans Le Nouvel Obs pour parler du génocide samedi dernier. 

La vérité se sait toujours

Lorsqu’il a pris la parole à Kigali ce week-end, le président rwandais Paul Kagame a critiqué la lenteur de la justice française, qui n'a commencé à juger des génocidaires présumés qu'en 2014, à raison de deux procès par an. Il a évoqué le cas de Callixte Mbarushimana, qui serait impliqué dans le meurtre de plusieurs dizaines de personnes pendant le génocide, selon les journalistes de La Croix. En 2024, aucun président français en exercice n'a assisté au lancement des commémorations du génocide depuis trente ans. Emmanuel Macron a décidé que, pour le trentième anniversaire non plus, le plus haut niveau de l'État ne serait pas à Kigali, arguant un "problème d'agenda". M. Macron a chargé Stéphane Séjourné, son ministre des Affaires étrangères, et Hervé Berville, son secrétaire d'État à la mer, d'origine rwandaise, de s'y rendre. La présence des deux ministres permet de souligner l’importance qu’a eu la commission Duclert, qui admettait dans une série d’entretiens accordés à Patrick De Saint-Exupéry. "Ce n'est qu'aujourd'hui que nous commençons à comprendre l'ampleur de notre responsabilité", concède Duclert lors de leurs entretiens retranscrits dans son essai Raconter La Guerre. 

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