Les dessous de la victoire en demi-teinte de Narendra Modi

Les dessous de la victoire en demi-teinte de Narendra Modi

En plein doute depuis qu’il a perdu sa majorité absolue, le Premier ministre indien, membre du Bharatiya Janata Party (BJP), doit désormais trouver des alliances et se rapprocher d’autres acteurs pour changer son programme économique.

Oscar Tessonneau 

Une défaite morale

En théorie, on pourrait laisser entendre que Narendra Modi a perdu une bataille électorale. Son parti, Le BJP a obtenu environ 290 sièges sur 543, nécessitant des alliances avec plusieurs petites formations régionales pour gouverner, loin des 400 sièges qu'il espérait obtenir. Or, ces résultats témoignent d’une  "défaite morale et politique". En perdant sa majorité absolue, Modi a montré les limites de la stratégie électorale de Modi, axée sur des thématiques nationalistes et islamophobes. La répression des manifestations contre le Citizenship Amendment Act (CAA) en décembre 2019 et janvier 2020, dirigée par le ministre de l'Intérieur Amit Shah, avait déjà révélé les failles du gouvernement Modi. "L’épicentre de la répression se situa à Delhi, un État où le CAA fut instrumentalisé par le BJP dans le cadre de la campagne électorale", écrivait il y a quelques années le célèbre acteur de Bollywood Sanjay Pandey dans le quotidien indien Deccan Herald. La violence qui s’en est suivie a profondément marqué l’opinion publique, entamant la crise de confiance des citoyens dans le leadership de Modi. En parallèle, la défaite idéologique de Modi s’explique également par ses choix diplomatiques, notamment en matière de climat. Lors de la [26e Conférence des Parties COP26, l’Inde s'est opposée à l’élimination complète du charbon d’ici 2050, conduisant à une dilution de l’accord final. Frédéric Lasserre, dans son essai *Le soft power en Asie : Nouvelles formes de pouvoir et d’influence ?*, souligne que "l’objectif qui a été retenu est plutôt celui de la réduction progressive. D’un côté, cela a été grandement critiqué par la communauté internationale, qui voit dans la position de l’Inde une trahison des pays les plus vulnérables aux changements climatiques." Néanmoins, Lasserre précise que cette position s’explique par les impératifs internes de l’Inde. "Avec ses 1,4 milliard d’habitants, dont plus de 250 millions n’ont pas accès à l’électricité, et détenant la quatrième plus grande réserve de charbon au monde, le pays se retrouve dans une situation délicate." Ainsi, il semblerait que Modi ait été sanctionné dans les urnes par des électeurs attendant des réformes plus ambitieuses sur un plan politique, économique et climatique.

Leadership

Suite à cette élection, le leadership de Modi pourrait être remis en question au sein de son propre camp, comme le suggère Delacroix dans L’Express. "Le chef du gouvernement sortant n’y compte pas que des amis et les éléphants qui sont aux manettes pourraient très rapidement lever un tabou, celui de l’après-Modi." Pour de nombreux spécialistes, cette lutte pour conserver le pouvoir se gagnera sur un plan économique. Lors de son prochain mandat, Modi devra répondre aux attentes croissantes de la population en matière de chômage, d’inflation et d’inégalités économiques, puisque l’Inde continue de se présenter comme un Pays en Développement (PED). Dans un ouvrage coécrit avec plusieurs chercheurs, le géographe Frédéric Lasserre écrit que "l’Inde a des enjeux de développement, certes ; elle est aussi une économie en forte croissance avec des visées de développement et un programme néolibéral qui se rapproche grandement de celui des pays industrialisés et des pays en émergence." En maintenant la notion de fracture entre pays développés et PED, l’Inde s'aligne avec les pays du Sud pour protéger ses intérêts nationaux, tout en réclamant du soutien international destiné aux PED. Lasserre écrit que cette stratégie permet à l’Inde de préserver son programme néolibéral de développement.

Chaud devant 

Cependant, Lasserre souligne que cette transition vers une économie de marché ne pourra se faire si l’Inde ne prend pas en compte les enjeux climatiques de demain. Bien que le gouvernement indien persiste à présenter l’Inde, le mode de vie indien et la philosophie indienne comme étant proches de la nature, l’autosuffisance énergétique annoncée par le gouvernement en 2020 se traduit par un assouplissement important des mesures environnementales. "En 2020, il a par exemple modifié la Loi sur l’évaluation d’impact environnemental d’une manière à faciliter l’approbation de l’extraction des ressources naturelles sur son territoire et à réduire la nécessité d’obtenir le consentement des communautés les plus affectées, ce qui a créé une vague de protestation de la part de la société civile," poursuit Lasserre. Il précise que le changement de position à la COP26 en est une autre illustration. "La stratégie de l’Inde visant à nationaliser son soft power en positionnant le pays comme un leader naturel et un PED avec des besoins d’assistance internationale tout en mettant de l’avant ses intérêts nationaux dans les négociations internationales semble assez contradictoire," conclut Lasserre. Cela pose le risque de miner sa position de leader au sein des PED, qui vivent radicalement les impacts des changements climatiques sans toutefois avoir les moyens d’y faire face. Cette perte de leadership potentielle à l’égard des PED est compensée par un désir de se rapprocher des pays du Nord, où se trouve un plus grand pouvoir économique et politique. Ainsi, la victoire mitigée de Narendra Modi aux récentes élections législatives reflète des tensions internes et des contradictions dans la stratégie politique et économique de l’Inde. Face à ces défis, Modi devra naviguer prudemment pour maintenir sa position, renforcer son image internationale et répondre aux préoccupations croissantes des citoyens indiens.

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