La Démocratie sénégalaise à l'Épreuve du Report Électoral

La Démocratie sénégalaise à l'Épreuve du Report Électoral

Organisé par le président Macky Sall, le report de l'élection présidentielle au Sénégal au 15 décembre, initialement prévue pour le 25 février, a suscité une onde de choc politique, mettant à nu les tensions sous-jacentes de la démocratie dans ce bastion de stabilité en Afrique de l'Ouest.

Oscar Tessonneau

Les impacts des dernières crises économiques

Jusqu'à vendredi, les Sénégalais ont espéré qu'un miracle se produise. Aux aurores, quand les plus matinaux ont jeté un œil sur leurs mails, ils ont pu lire un communiqué de la présidence de la République. Ce dernier annonçait que Macky Sall « entend faire pleinement exécuter la décision du Conseil constitutionnel » afin que des élections démocratiques aient lieu. Selon le journaliste de Libération, Célian Macé, les sept juges du Conseil avaient annulé le report de l’élection présidentielle du 24 février. Il écrit : « Macky Sall se plie donc à leur décision. Elle n’était pas susceptible d’un recours en justice - et consent à organiser une élection « dans les meilleurs délais ». Le 24 février ne sera pas tenue puisque la campagne a déjà pris du retard. Mais le scrutin se tiendra certainement au cours du mois de mars, estiment les informateurs de Célian Macé.

« Le terme officiel du mandat de Macky Sall », affirme Célian Macé, « est le 2 avril. Un décalage du vote au-delà de cette date reviendrait à un allongement du mandat du chef de l’État. » Or, comme l'explique le reporter de Libé, la durée du mandat de Macky Sall ne peut être réduite ou allongée au gré des circonstances politiques, quel que soit l’objectif poursuivi », ont rappelé les juges. La situation actuelle met en lumière une personnalisation du pouvoir, une caractéristique souvent observée par des chercheurs tels que Jean-François Médard. Ce phénomène, où les dirigeants africains tendent à personnifier leur rôle au-delà des fonctions officielles, suggère une dérive vers un « néopatrimonialisme », un système où les relations personnelles et la loyauté prévalent sur les principes institutionnels.

Face à cette crise du modèle politique sénégalais, Fatou, enseignante, nous exprime son désarroi par téléphone : « L'annonce du report a été un choc. La transition démocratique semble s'éloigner davantage. » Amadou, restaurateur à Dakar, pointe du doigt un pouvoir qui se concentre sur des relations néopatrimoniales contrôlées par une caste, qu'il appelle « la mafia sénégalaise » en référence aux films d'Al Pacino, son réalisateur préféré. Moustapha, entrepreneur, s'interroge sur le véritable dialogue national en l'absence de décisions concertées. « Nous ne supportons plus les pratiques mafieuses de nos dirigeants », affirme-t-il.

De débats académiques sur le néopatrimonialisme

Parmi les politologues spécialistes de l'Afrique, des figures comme Max-Liniez Goumaz critiquent la notion de « démocrature », une démocratie de façade masquant une réalité autoritaire. Le report des élections soulève des inquiétudes quant à une possible manœuvre pour maintenir le statu quo politique. Ainsi, les événements au Sénégal ont attiré l'attention internationale, comme le rapportent Théa Ollivier et Coumba Kane pour Le Monde. L'article souligne les médiations entreprises pour désamorcer la crise, avec un focus particulier sur les discussions entre le pouvoir et l'opposition concernant la participation des cadres de l'ex-Pastef et la date du scrutin.

Les failles du modèle actuel  

Au cœur des turbulences politiques actuelles du Sénégal, le report des élections présidentielles par Macky Sall jette une lumière nouvelle sur les défis complexes des démocraties africaines, illustrant l'entrelacement des crises économiques et politiques qui se nourrissent mutuellement.

L'impasse politique actuelle du Sénégal, exacerbée par des contraintes financières internationales souvent en décalage avec les réalités locales, invite à repenser le modèle de démocratie adapté aux sociétés africaines. « Une démocratie ne peut pas être transplantée ; elle doit être enracinée dans le terreau culturel et historique de chaque nation », nous confie Amadou, un commerçant de Dakar.

Lorsque nous le contactons sur les réseaux sociaux, il affirme que le report des élections a également ravivé les discussions sur la personnalisation du pouvoir et le néopatrimonialisme. « Le défi pour le Sénégal, et plus largement pour l'Afrique, est de dépasser cette personnalisation du pouvoir pour établir des institutions réellement démocratiques », souligne Amadou.

Voyage dans une démocrature

La notion de « démocrature », popularisée par Max Liniger-Goumaz, offre un cadre d'analyse pertinent pour comprendre la dualité des régimes africains, oscillant entre apparences démocratiques et pratiques autoritaires. Ce concept résonne particulièrement dans le contexte sénégalais actuel, où le report des élections pourrait être perçu comme une tentative de préserver un statu quo favorable à une élite dirigeante, au détriment d'une véritable ouverture démocratique.

Face à ces défis, le Sénégal se trouve à un carrefour critique. La transition vers une démocratie durable exige un engagement profond envers des valeurs démocratiques qui transcendent les intérêts politiques immédiats. L'expérience sénégalaise rappelle que la démocratie est un processus toujours en évolution, nécessitant une vigilance constante et une volonté collective de préserver les fondements d'une société juste. 

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