Sous Trump, les Ătats-Unis tournent le dos Ă leurs alliĂ©s europĂ©ens, les contraignant Ă affronter seuls les ambitions russes et chinoises. En redĂ©finissant la doctrine Monroe pour lâĂšre contemporaine, Trump dĂ©clenche une fracture historique.
Oscar Tessonneau
En politique Ă©trangĂšre comme en affaires, Trump agit pour obtenir une seule chose : des accords avantageux. Aujourdâhui, il veut nĂ©gocier pour isoler les Ătats-Unis des conflits et des intĂ©rĂȘts du Vieux Continent. «âŻLes Ătats-Unis nâont pas Ă se prĂ©occuper des affaires europĂ©ennesâŻÂ», insistait James Monroe dĂšs 1823, dĂ©finissant une politique dâabstention et de puissance locale qui restera cĂ©lĂšbre : la Doctrine Monroe. Cette doctrine sĂ©parait les intĂ©rĂȘts de lâhĂ©misphĂšre occidental de ceux de lâEurope. Trump propose une vision encore plus radicale. Son mĂ©pris affichĂ© pour lâOTAN et ses railleries envers lâUnion europĂ©enne rappellent la froideur calculĂ©e de Monroe, qui, dans un contexte de tensions coloniales et de rivalitĂ©s europĂ©ennes, traçait une ligne de protection autour des AmĂ©riques.
«âŻNous devons considĂ©rer toute tentative des EuropĂ©ens dâĂ©tendre leur systĂšme comme une menace pour notre tranquillitĂ© et notre sĂ©curitĂ©âŻÂ», dĂ©clarait Monroe, posant ainsi un cadre dâexclusion pour le continent amĂ©ricain. DĂ©sormais, Trump inverse cette logique en poussant les EuropĂ©ens Ă admettre que leur dĂ©fense relĂšve uniquement de leur responsabilitĂ©, transformant lâOTAN, jadis incontournable, en une sorte de syndicat de protection dĂ©suet. Pourtant, dans lâEurope dâaujourdâhui, cette dĂ©sertion amĂ©ricaine sâapparente Ă un abandon en pleine bataille.
La guerre en Ukraine, loin dâĂȘtre un simple conflit rĂ©gional, symbolise lâeffondrement de la solidaritĂ© de lâOTAN que Trump juge dĂ©sormais obsolĂšte. Comme lâĂ©crit le journaliste Piotr Smolar dans Le Monde, «âŻles EuropĂ©ens sont brutalement confrontĂ©s Ă leur dĂ©pendance envers la protection amĂ©ricaine et Ă la nĂ©cessitĂ© de renforcer leur propre dĂ©fenseâŻÂ». Smolar ajoute que cet abandon sâinscrit dans une nouvelle alliance, celle que Trump semble tacitement cautionner, entre PĂ©kin et Moscou.
Un réalignement géopolitique global
Le pacte dâamitiĂ© «âŻsans limitesâŻÂ» signĂ© entre la Russie et la Chine en fĂ©vrier 2022 marque un rĂ©alignement gĂ©opolitique majeur. Comme lâĂ©crit Christian Frachon dans Le Monde, Trump Ă©loigne les Ătats-Unis de leurs anciennes alliances. Ce choix historique force les EuropĂ©ens Ă mesurer le prix de leur dĂ©pendance et la fragilitĂ© de leur sĂ©curitĂ©. Cette doctrine, marquante pour lâAmĂ©rique des dĂ©buts, devient aujourdâhui un instrument de pression.
En 1823, Monroe dĂ©finissait la ligne dâun continent sans intĂ©rĂȘt dans les querelles des monarchies europĂ©ennes, mais qui deviendrait, avec le temps, une puissance Ă©conomique et militaire indĂ©pendante. Comme lâĂ©crit lâhistorien BenoĂźt Pellistrandi, «âŻlâexpansionnisme amĂ©ricain sâest construit autour de cette vision pragmatique, affirmant lâexception amĂ©ricaine tout en isolant lâEuropeâŻÂ». Ce pragmatisme est aujourdâhui rĂ©inventĂ© par Trump : en remettant en question les traitĂ©s sans scrupule, il recentre lâAmĂ©rique sur son hĂ©misphĂšre et libĂšre les tensions en Europe.
Loin de toute subtilitĂ© diplomatique, Trump fait ainsi renaĂźtre un isolationnisme brut, renforcĂ© par une logique marchande implacable. Certains Ătats envisagent dĂ©jĂ de signer des accords commerciaux unilatĂ©raux avec les Ătats-Unis. Pour Trump, les alliances internationales nâont de valeur que si elles produisent un bĂ©nĂ©fice immĂ©diat pour les Ătats-Unis. Pellistrandi rappelle, dans Les Relations internationales de 1800 Ă 1871, que le pragmatisme expansionniste des Ătats-Unis, jusquâĂ la guerre civile, sâĂ©tait nourri de cette mĂȘme doctrine Monroe, «âŻmoins pacifique quâil nây paraĂźtâŻÂ».
Une volontĂ© dâexpansion et de puissance nationale
Ă lâorigine, la doctrine Monroe, formulĂ©e en 1823, nâĂ©tait pas une simple dĂ©claration de neutralitĂ©âŻ; elle servait de bouclier Ă une nation en ascension, visant un contrĂŽle exclusif sur lâhĂ©misphĂšre amĂ©ricain et interdisant toute ingĂ©rence europĂ©enne. «âŻNous devons Ă la bonne foi et aux relations amicales entre les Ătats-Unis et les puissances europĂ©ennes de dĂ©clarer que nous devons considĂ©rer toute tentative de leur part pour Ă©tendre leur systĂšme Ă cet hĂ©misphĂšre comme dangereuse pour notre tranquillitĂ© et notre sĂ©curitĂ©âŻÂ», annonçait alors Monroe.
Mais au XXIá” siĂšcle, Trump retourne ce principe. Christian Frachon observe dans Le Monde que «âŻle manque de soutien ferme a permis Ă Moscou de progresser, profitant du retour de Trump pour fracturer la solidaritĂ© de lâOTANâŻÂ». DĂ©sormais, les zones dâinfluence amĂ©ricaines se rĂ©tractent, permettant Ă dâautres puissances dâĂ©tendre la leur. Ce processus rappelle la doctrine Monroe, mais cette fois au profit de la Russie.
Dans son analyse, Pellistrandi montre que lâambition amĂ©ricaine nâa jamais Ă©tĂ© aussi concentrĂ©e sur son propre continent : «âŻLâidĂ©ologie libĂ©rale de lâĂ©poque reposait aussi sur une volontĂ© dâexpansion et de puissance nationaleâŻÂ», une ambition qui, dans les annĂ©es 1850, incluait mĂȘme des projets dâannexion, comme celui de Cuba. Pourtant, mĂȘme cet expansionnisme conservait des alliances.
Trump, lui, Ă©carte la notion dâalliance pour en faire un objet dâĂ©change marchand, visant Ă affaiblir lâUnion europĂ©enne et lâOTAN, tout en signant des accords commerciaux exclusivement bĂ©nĂ©fiques aux industries amĂ©ricaines. Son but est de maintenir un soft power sur les EuropĂ©ens, sans les engagements coĂ»teux des alliances traditionnelles.
Pour lire l'article complet, cet article est réservé aux abonnés. Abonnez-vous ici pour y accéder.