Ebrahim Raïssi est mort

Ebrahim Raïssi est mort

La disparition tragique du Premier ministre iranien dans un accident d'hélicoptère secoue profondément le paysage politique iranien.

Oscar Tessonneau

Conservateur

Raïssi, une figure emblématique de l'ultraconservatisme, avait solidifié la mainmise des radicaux sur les institutions de la République islamique. "Une opposition politique profonde existe vraiment en Iran. Les radicaux veulent que l’Iran devienne un gouvernement islamique plutôt qu’une République islamique", explique Thierry Coville dans son essai L'Iran, une puissance en mouvement. Coville précise que sous Raïssi, l'Iran a continué de naviguer entre les aspirations d'un régime fortement ancré dans les principes islamiques et les pressions pour une ouverture politique. Il souligne que "les radicaux, tout en abandonnant l'idée d'exporter la révolution, savent également que leur imposition d’un modèle politique et social islamique doit compter avec la modernisation de la société iranienne depuis la révolution." Cette modernisation inclut une population de plus en plus jeune et connectée, qui pourrait ne pas adhérer entièrement à l'idéologie rigide des radicaux, comme le révélaient ce matin les journalistes du Monde. En effet, les autorités iraniennes ont exprimé leur mécontentement quant au non-respect de la loi sur le hidjab dans la société iranienne et ont donc lancé cette opération le 13 avril. "La police des mœurs est de retour dans tout le pays, mais sa présence semble plus ostentatoire dans la capitale et ses pratiques plus violentes", expliquait une journaliste du grand quotidien français, tout en affirmant que certaines femmes se sont résignées à remettre le foulard, mais d'autres persistent dans leur refus de le porter, quitte à limiter leurs sorties dans l'espace public.

Que faire ?

La mort de Raïssi pose des questions urgentes sur la direction future de l'Iran, notamment sur qui pourrait le remplacer. Coville écrit que de nombreux Iraniens souhaiteraient qu’un Premier ministre plus modéré arrive au pouvoir, un constat que désapprouveraient les gardiens de la révolution. "Les radicaux considèrent que les réformateurs sont, en tant que force politique, une menace existentielle pour le pays. Tous les moyens sont donc bons pour qu’ils ne puissent pas accéder au pouvoir", écrit Coville, mettant en lumière la nature souvent impitoyable de la politique iranienne. Ainsi, on ne sait pas encore si sa disparition pourra ouvrir des portes à de nouvelles dynamiques politiques, possiblement moins répressives, ou au contraire, renforcer les radicaux qui perdurent dans la ligne dure présentée par l’historienne Anne-Laure Dupont. Dans son ouvrage Histoire du Moyen-Orient, elle présente Raïssi comme une figure controversée et symbole du conservatisme. "Raïssi a été élu en 2021 avec 62 % des suffrages mais un taux d'abstention massif de plus de 50 % et un nombre record de bulletins blancs et nuls." Elle précise que cette élévation au pouvoir a été fortement influencée par le Conseil des Gardiens de la Constitution, qui a éliminé tous les adversaires potentiels de Raïssi, assurant ainsi une victoire du camp conservateur, qui ne tolérera probablement aucun candidat progressiste lors des prochaines élections pour désigner son successeur.

"Les Pasdaran sont nés en 1979 de la fusion de plusieurs milices qui se donnaient pour but de défendre le nouveau régime issu de la révolution"

Raïssi, bien que souvent vu comme un pilier de l'ordre conservateur iranien, n'était que l'une des multiples facettes d'un régime complexe. Dupont souligne comment les Gardiens de la Révolution, ou Sepah-e Pasdaran-e Enqelab-e Eslami, ont servi d'instrument clé dans la défense et la promotion de la Révolution islamique que Raïssi soutenait. "Les Pasdaran sont nés en 1979 de la fusion de plusieurs milices qui se donnaient pour but de défendre le nouveau régime issu de la révolution", écrit Dupont, décrivant comment cette force a évolué pour devenir une milice d'État influente, dotée de ses propres services de renseignement et de contre-espionnage. Elle précise que leur rôle s'est étendu au-delà des frontières iraniennes, jouant des rôles cruciaux en Syrie, Irak et au Liban, soulignant leur influence considérable dans la politique régionale menée par Raïssi et ses proches. "Ils constituent une milice d’État, étroitement liée au Guide Ali Khamenei, mais autonome du fait de sa capacité à alimenter et à renouveler l’idéologie révolutionnaire", poursuit-elle, décrivant la dualité de leur rôle à la fois comme protecteurs du régime et acteurs économiques. Le décès de Raïssi pourrait provoquer une vacance de pouvoir qui testerait la résilience d’un système politique obscur, lors des prochaines élections présidentielles. Dans son manuel collectif consacré à l’histoire du Moyen-Orient, Anne-Laure Dupont présente le régime iranien comme une entité despotique où les élections, bien qu'abondantes et contrôlées, servent à légitimer simultanément les luttes démocratiques et le despotisme. Cet équilibre délicat entre contrôle autoritaire et concessions politiques pourrait se trouver perturbé, offrant potentiellement une nouvelle trajectoire pour l'Iran post-Raïssi. Enfin, ce contexte incertain pose des questions fondamentales sur la capacité de l'Iran à organiser les élections les plus démocratiques possibles, afin que le peuple puisse s’exprimer et défendre ses droits.

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