Drones, missiles et rĂ©alignements gĂ©opolitiques : l’Ukraine Ă  la croisĂ©e des chemins

Drones, missiles et rĂ©alignements gĂ©opolitiques : l’Ukraine Ă  la croisĂ©e des chemins

Au-delĂ  des lignes de front traditionnelles, le conflit russo-ukrainien s’impose comme un champ d’expĂ©rimentation technologique, oĂč drones et missiles redĂ©finissent les rĂšgles de l’engagement militaire. Pendant ce temps, les alliances internationales vacillent, reflĂ©tant des stratĂ©gies hĂ©sitantes, particuliĂšrement du cĂŽtĂ© des États-Unis et de l’Europe.

Oscar Tessonneau

N’en dĂ©plaise aux fans des sagas de George Lucas, la guerre des Ă©toiles serait devenue, depuis le 23 fĂ©vrier 2022, une guerre des drones. L’appellation donnĂ©e au conflit russo-ukrainien tĂ©moigne de l’évolution spectaculaire des stratĂ©gies militaires modernes. Ces engins, autonomes ou semi-autonomes, se sont imposĂ©s comme des acteurs clĂ©s dans le conflit, dĂ©passant les attentes des analystes militaires. « Les drones sont responsables de prĂšs de 80 % des dommages infligĂ©s aux matĂ©riels militaires et au personnel », Ă©crivait en octobre le journaliste David Hambling dans la revue New Scientist. Ce chiffre impressionnant traduit l’impact massif de ces quadricoptĂšres non armĂ©s.

Les drones Shahed, utilisĂ©s par la Russie, sont un exemple frappant de cette disparitĂ©. Ces engins kamikazes, fabriquĂ©s en Iran, coĂ»tent environ 30 000 dollars piĂšce. Leur stratĂ©gie repose sur des attaques massives et rĂ©pĂ©tĂ©es, saturant les systĂšmes de dĂ©fense ukrainiens. Face Ă  eux, l’Ukraine dĂ©ploie des missiles sol-air comme les Stinger, fournis par ses alliĂ©s occidentaux, mais Ă  un coĂ»t bien supĂ©rieur : 480 000 dollars par unitĂ©, soit plus de 16 fois le prix d’un Shahed. Cette asymĂ©trie pose un dĂ©fi financier majeur, mais l’Ukraine a su dĂ©velopper des alternatives ingĂ©nieuses. Les drones intercepteurs conçus localement, tels que ceux produits par Wild Hornets, coĂ»tent seulement 700 dollars piĂšce, offrant une solution Ă©conomique et efficace. « Ces drones sont testĂ©s sur le terrain et changent la donne », affirmait un porte-parole de Wild Hornets dans le New Scientist. En neutralisant les Shahed Ă  faible coĂ»t, ces intercepteurs rééquilibrent partiellement le rapport de force, soulignant l’importance de l’innovation dans cette guerre oĂč la gestion des ressources est cruciale.

« Nous aveuglons l’ennemi, l’empĂȘchant de voir oĂč frapper »

Dans cet Ă©pisode, des opĂ©rateurs ukrainiens ont utilisĂ© un drone pour percuter les rotors d’un appareil russe, neutralisant ainsi un adversaire sans recourir Ă  des armes sophistiquĂ©es. Ces confrontations sporadiques ont rapidement Ă©voluĂ© vers des engagements structurĂ©s, oĂč les drones ne sont plus de simples outils mais des armes redoutables. En aoĂ»t 2024, l’Ukraine a franchi une Ă©tape dĂ©cisive en intĂ©grant un logiciel rĂ©volutionnaire synchronisant ses drones avec les radars de dĂ©fense aĂ©rienne. Cette innovation technologique a permis de dĂ©tecter et d’intercepter efficacement les drones de reconnaissance longue portĂ©e russes. « Nous aveuglons l’ennemi, l’empĂȘchant de voir oĂč frapper », affirme un porte-parole de Wild Hornets dans l’article de New Scientist. Cette capacitĂ© Ă  neutraliser les yeux de l’adversaire a eu des consĂ©quences stratĂ©giques majeures. Lors de l’offensive de Koursk, oĂč l’Ukraine a regagnĂ© des territoires occupĂ©s, cette maĂźtrise technologique a Ă©tĂ© dĂ©terminante pour dĂ©stabiliser les lignes russes.

Ces drones occidentaux, conçus pour frapper des cibles stratĂ©giques Ă  longue distance, ont offert Ă  l’Ukraine un avantage tactique indĂ©niable, notamment en ciblant les infrastructures russes critiques. Mais cette dĂ©cision soulĂšve des questions sur la durabilitĂ© de l’engagement amĂ©ricain aux vues du coĂ»t que reprĂ©sente la fabrication de ces drones pour les industries occidentales aidant l’Ukraine. « Ce geste, censĂ© renforcer l’Ukraine, reflĂšte aussi l’ambiguĂŻtĂ© d’un soutien occidental limitĂ©, toujours en quĂȘte d’une stratĂ©gie claire », analyse Louis Gautier dans Le Monde, tout en prĂ©cisant que ces drones permettent d’effectuer des frappes chirurgicales sur des cibles stratĂ©giques.

En mai 2024, une opĂ©ration combinĂ©e, incluant des drones marins autonomes et des frappes terrestres, a permis Ă  l’Ukraine de reprendre le contrĂŽle d’une section stratĂ©gique de la mer Noire. Ce succĂšs a contraint la Russie Ă  adapter ses propres tactiques, en dĂ©ployant des drones maritimes pour neutraliser ces navires autonomes. « Les drones marins couvrent de vastes zones, dĂ©tectant des anomalies avec une prĂ©cision redoutable », indique Samuel Bendett, analyste au CNA dans le New Scientist. Cette guerre totale, oĂč terre, mer et air sont interconnectĂ©s, marque une rupture avec les conflits traditionnels, redĂ©finissant les stratĂ©gies de combat et les prioritĂ©s Ă©conomiques des belligĂ©rants.

Une nouvelle Ăšre militaire

Dans les premiers mois du conflit russo-ukrainien, des contre-mesures simples comme le brouillage radio ou GPS suffisaient Ă  neutraliser les drones. Mais ces dĂ©fenses ont rapidement perdu en efficacitĂ© face Ă  des engins dotĂ©s de systĂšmes d’intelligence artificielle capables de naviguer de maniĂšre autonome. « Il est probable que des escadrons entiers de drones combattront pour la suprĂ©matie aĂ©rienne dans un futur proche », anticipe un porte-parole de Wild Hornets. Le coĂ»t rĂ©duit et l’efficacitĂ© croissante de ces machines, associĂ©es Ă  des risques humains moindres, pourraient conduire Ă  une diminution progressive du rĂŽle des soldats sur le terrain.

Cette Ă©volution, prophĂ©tisĂ©e par Vladimir Poutine en 2017, pourrait devenir rĂ©alitĂ© : « La guerre des drones n’est pas seulement une Ă©tape dans l’évolution des conflits modernes, elle en annonce une nouvelle Ăšre », analyse Samuel Bendett, expert au CNA. Mais l’automatisation des conflits n’est pas exempte de risques. Alors que les machines deviennent de plus en plus autonomes, la question du contrĂŽle humain sur ces armes se pose avec acuitĂ©. Qui dĂ©cide de la cible lorsque l’intelligence artificielle prend le relais ?

Cette problĂ©matique dĂ©passe les considĂ©rations militaires pour devenir un enjeu Ă©thique. Dans un monde oĂč les dĂ©cisions de vie ou de mort pourraient ĂȘtre laissĂ©es Ă  des algorithmes, les implications pour le droit international humanitaire sont considĂ©rables. « La guerre en Ukraine montre que l’humanitĂ© pourrait devenir spectatrice de ses propres conflits, oĂč les machines prendraient le dessus », avertit Bendett. Enfin, alors que les drones remplacent progressivement les soldats sur le champ de bataille, l’humanitĂ© se trouve face Ă  une question cruciale : comment garantir que ces outils restent sous contrĂŽle humain ?

La rĂ©ponse Ă  cette question pourrait dĂ©terminer l’avenir des conflits, mais aussi la maniĂšre dont les nations collaboreront pour prĂ©server la paix. En ce sens, la guerre en Ukraine est bien plus qu’un conflit rĂ©gional. Elle est un tournant historique qui redĂ©finira les rĂšgles du jeu international pour les dĂ©cennies Ă  venir.

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