Aleksandar Vučić face à ses propres contradictions

Aleksandar Vučić face à ses propres contradictions

Invité Lundi Soir par Emmanuel Macron, afın d’évoquer une possible adhésion Serbe à L’Union Européenne, ce proche de Victor Orban semble encore peu attaché à deux fondamentaux démocratiques respectés par la majorité des 27 : la liberté de penser et celle de la presse.

Oscar Tessonneau

Populisme 2.0

Cette réception peut sembler anodine. Elle ressemble aux nombreux dîners où Emmanuel Macron réaffirme son soutien à la coopération entre la France et différents États. Mais à la différence du dîner de jeudi, où l’Élysée accueillait le Premier ministre autrichien, Emmanuel Macron recevra ce soir l’un des dirigeants européens ayant le plus attaqué la démocratie : Aleksandar Vucic. Dans un article intitulé Shaping the Echo: Populism, Post-truth, and Voter Mobilization – The Case of Serbia, les politologues Milica Kuli  & Bojan Vrani expliquent que Vucic se distingue par son discours anti-élitiste. "L'anti-élitisme, au coeur du populisme centriste en Europe centrale et orientale. "Il dessine un clivage net entre le bon peuple et les élites perçues comme corrompues." écrivent Kulic & Vranic, esquissant un panorama où les ombres du passé communiste et les transitions chaotiques imprègnent encore le présent. Galvanisateur de foules en délire, Aleksandar Vucic évolue dans une ère marquée par ce que Kulic & Vranic appellent la post-vérité, où "les faits objectifs pèsent moins dans la balance de l'opinion publique que les appels à l'émotion et les croyances personnelles.

Ce terreau fertile pour le populisme présente un défi de taille pour une Serbie tiraillée entre les discours complotistes que le peuple peut entendre sur les réseaux sociaux, ou dans des médias de réinformation, et des dîners avec des chefs d’États comme Emmanuel Macron, où Vucic exprimera son souhait de rejoindre l’Union européenne. "Dans ce contexte de post-vérité, les faits objectifs ont moins d'influence sur l'opinion publique que les appels à l'émotion et les croyances personnelles," soulignent les deux politologues, mettant en lumière une ère où la vérité semble plus accessible que jamais, mais où, paradoxalement, les opinions sont façonnées par des idées fausses et partagées sans remise en question. Vucic, dans ce labyrinthe de perceptions déformées, joue une partition complexe, mélangeant vérités et mensonges comme pourraient le faire Jordan Bardella, Jair Bolsonaro et Donald Trump, pour capturer l'émotion collective et solidifier sa base de soutien. 

Post-Vérité

Dans leur article Shaping the Echo: Populism, Post-truth, and Voter Mobilization – The Case of Serbia, Kulic & Vranic expliquent que le Premier ministre serbe répète souvent les mêmes mots. En effectuant une analyse sémiologique des discours de Vucic, les deux politologues montrent comment les champs lexicaux deviennent un outil puissant dans les mains de leaders populistes comme Vu i , Zemmour ou Bardella. "Ces leaders populistes avancent des affirmations sans aucun fondement factuel, afin de renforcer les préjugés parmi leur bassin potentiel de partisans," expliquent Kulic & Vranic. Dans cette stratégie de provocation et de charge émotionnelle, également utilisée par Jordan Bardella lorsqu’il utilisait des sondages faits à partir d’échantillons obscurs sur C à Vous, pour évoquer le rapport d’Aya Nakamura à l’identité française, la vérité devient un concept malléable, beaucoup plus facile à manipuler que dans des débats, fuits par Vucic, durant lesquels les populistes doivent confronter leurs arguments avec ceux de leurs adversaires, contestant les post-vérité qu’ils affirment dans des meetings. "La post-vérité, en Serbie, transforme la politique en un théâtre d'émotions où les faits sont secondaires," observent Kulic & Vranic dans leur article. Cette ère de post-vérité, caractérisée par un accès illimité à l'information, est paradoxale : alors que la vérité n'a jamais été aussi accessible, les opinions sont façonnées par des mensonges flagrants et des idées fausses.

"Vous voulez m'interdire de penser ?" 

Pour Kulić & Vranić, la stratégie du Premier ministre Aleksandar Vučić oscille entre les faits et leur manipulation. Dans ses discours, le président serbe navigue habilement dans les eaux tumultueuses de la post-vérité, où les frontières entre réalité et fiction deviennent floues. "Vous voulez m'interdire de penser ?" S’interroge-t-il dans un rassemblement, lançant un appel émotionnel qui résonne profondément chez ses partisans, les invitant à se rallier autour de sa figure perçue comme assiégée par des forces médiatiques hostiles. Ainsi, les réactions violentes de Vučić contre la presse font partie intégrante de sa stratégie de communication. Comme Donald Trump ou Jordan Bardella, Vučić explique chaque critique est transformée en une opportunité de se poser en victime d'une conspiration élitiste. "Allez-vous ouvrir une 'commission pour pendre', parce que je ne pense pas comme vous ?" Lance-t-il, insinuant une menace à sa liberté d'expression, un pilier fondamental de sa rhétorique populiste.

Cependant, Kulić & Vranić écrivent que l’hypothèse de Vučić selon laquelle il a été choisi par le peuple dans un contexte où les médias le traitent comme un "sac de frappe" sans possibilité de défense révèle une tentative de polarisation plus profonde. Ainsi, en dépeignant les médias comme des adversaires, Vučić cherche non seulement à délégitimer toute critique mais aussi à consolider son image de gardien de la souveraineté populaire. "Vučić ne renonce pas à l'étiquetage des médias," confirme une source de N1, la principale chaîne de télévision serbe, à Kulić & Vranić. « C'est dans cette dichotomie simpliste entre nous et eux» précise la source, « que Vučić trouve sa force, s'adressant directement aux émotions et aux croyances prof ondes de ses partisans, tout en évitant soigneusement toute confrontation avec les faits objectifs qui pourraient remettre en question sa narration.

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