Le 6 décembre au bar Le Zokalo, dans le 20ème arrondissement de Paris, les éditions Arcane 17 organisent une soirée autour de nouvelles surréalistes. Les fondements de ce mouvement sont un champ de bataille intellectuel où rêve et réalité se croisent pour transformer l’existence en une aventure poétique et subversive.
Oscar Tessonneau
Si l’on devait définir ce qu’est le surréalisme, on pourrait dire énormément de choses. Néanmoins, il est indispensable de retenir qu’un bon texte surréaliste doit insurger nos esprits. Le surréalisme reste et restera un cri lancé contre l’ordre établi, et une quête absolue de liberté. « Chère imagination, ce que j’aime surtout en toi… » proclame André Breton dans son Manifeste du surréalisme, instaurant dès la première ligne un pacte avec l’inconscient, une alliance sacrée avec le rêve et le merveilleux.
Gabrielle Yriarte, une professeure agrégée de lettres modernes, rappelle dans son exégèse du Manifeste surréaliste que pour Breton, l’imagination est un levier d’émancipation : « La valorisation du rêve ouvre les portes de l’inconscient, nous réconcilie avec nos désirs, et réenchante le réel. » Mais cette réconciliation n’est pas un acte de contemplation. Le surréalisme exige de briser les chaînes du conformisme rationnel. Breton, sous l’influence de Freud, voit dans l’inconscient une clé pour libérer l’humanité de ses carcans.
« Je crois à la résolution future de ces deux états, rêve et réalité, en une sorte de réalité absolue, de surréalité », écrit-il. Ce mot étrange, « surréalité », incarne une ambition presque mystique : unir le tangible et l’intangible pour créer une existence affranchie des limites imposées par la raison, grâce à une technique rédactionnelle précise : l’écriture automatique. « Automatisme psychique pur… dictée de la pensée en l’absence de tout contrôle exercé par la raison, » décrit Breton, érigeant cette pratique en outil d’expression libre. Dans une fiche de lecture consacrée au Manifeste du surréalisme, Gabrielle Yriarte insiste sur la radicalité de cette méthode, très différente de celles adoptées par d’autres écrivains de leur génération, comme Louis-Ferdinand Céline qui écrit et réécrit les pages de ses livres.
Demi-sommeil
« L’écriture automatique abolit toute censure et renverse les codes esthétiques et moraux. » Grâce à cette écriture automatique, le surréalisme se veut une révolution globale, une reconfiguration des mécanismes psychiques pour répondre aux grands défis de l’existence. Breton lui confère une mission quasi religieuse : « Ruiner définitivement tous les autres mécanismes psychiques pour les remplacer par une nouvelle croyance à la réalité supérieure de certaines formes d’associations ». Ce n’est pas seulement un courant artistique ; c’est un appel à détruire et reconstruire le monde intérieur de chacun.
Les courts textes insérés dans le manifeste d’André Breton, intitulés « Secrets de l’art magique surréaliste », explosent comme des éclats d’obus dans l’ordre rationnel. En convoquant des figures tutélaires comme Apollinaire, inventeur du terme « surréaliste », ou Nerval, précurseur avec son « supernaturalisme », Breton construit un héritage qui relie son mouvement à une lignée visionnaire. Il ne s’agit pas de rupture, mais de métamorphose. Gabrielle Yriarte écrit : « Le surréalisme ne rejette pas le passé ; il le réinvente pour répondre aux aspirations de l’homme moderne. »
Éloge du rêve
Quand André Breton, guidé par les méthodes freudiennes, décide de poser la plume sur le papier pour laisser parler l’inconscient, il ne fait pas qu’écrire : il libère une force sauvage, imprévisible, parfois déstabilisante. « Capter une phrase dans un état de demi-sommeil, » tel est le point de départ de cette expérimentation décrite dans le Manifeste du surréalisme. Breton, et avec lui Philippe Soupault dans Les Champs Magnétiques, inaugure un art littéraire qui se veut affranchi de toute logique, de tout contrôle rationnel. « Plus le degré d’arbitraire est grand, plus la force de l’image le sera, » écrit Gabrielle Yriarte dans son analyse du Manifeste. Et de fait, les fragments de phrases qui naissent sous la plume surréaliste ne racontent rien, mais révèlent tout.
Cette prétention quasi messianique n’est pas sans contradictions. Alors que Breton exalte l’absence de contrôle et la spontanéité, il ne peut s’empêcher de définir des cadres précis pour l’écriture automatique, jusqu’à donner des instructions sur la manière d’y parvenir. Gabrielle Yriarte le souligne avec ironie : « Le surréalisme revendique la liberté totale, mais il impose ses propres règles avec une ferveur quasi religieuse. » Au-delà de l’écriture, le rêve devient un territoire à conquérir. Inspiré par Freud, Breton veut réconcilier rêve et réalité en une surréalité, une sorte de dimension absolue où les lois habituelles n’ont plus cours.
Cette quête inachevée, loin de diminuer la puissance du surréalisme, en devient la marque de fabrique. C’est un mouvement qui ne se satisfait jamais de ses propres créations, qui cherche toujours à repousser les frontières de l’art et de la pensée.
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