Il y a dans la quĂȘte du bonheur quelque chose dâuniversel et dâĂ©minemment fragile, une recherche constante de ce que Spinoza appelle la contagion Ă©motionnelle. Thomas Jolly, qui a Ă©tĂ© mis en difficultĂ© par une extrĂȘme droite haineuse aprĂšs la cĂ©rĂ©monie des Jeux Olympiques, le disait jeudi dans Le Nouvel Obs. « Le théùtre est toujours lĂ parce quâil nous rappelle que nous sommes tous vivants au mĂȘme endroit en mĂȘme temps. » Cette synchronisation, quâelle soit individuelle ou sociale, illustre parfaitement la thĂšse spinoziste selon laquelle nos affects ne naissent pas dans un vide, mais se construisent dans ce que les autistes dĂ©testent souvent : les interactions. Cette dynamique collective reste et restera un levier puissant pour transformer nos Ă©motions.
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Pour Spinoza, les dĂ©sirs, mĂȘme les plus primaires, ne sont ni bons ni mauvais en eux-mĂȘmes. Ils deviennent des outils dâĂ©mancipation sociale ou des chaĂźnes oppressives selon notre degrĂ© de comprĂ©hension de leur origine. Dans cette vision, la morale nâest pas une sĂ©rie de rĂšgles extĂ©rieures imposĂ©es Ă lâindividu, mais un cheminement intĂ©rieur oĂč le bonheur joue un rĂŽle fondamental. La vertu nâest pas une contrainte, mais une expression de la joie : câest parce que nous sommes pleinement en accord avec la sociĂ©tĂ© dans laquelle nous vivons que nous pouvons transcender nos instincts et orienter nos actions vers le bien.
En comprenant comment nos Ă©motions se propagent, nous pouvons commencer Ă les maĂźtriser, Ă les orienter vers des formes plus Ă©levĂ©es de joie, que beaucoup dâautistes ne connaissent pas lorsquâon les juge trop ingĂ©rables pour vivre avec les autres. « Nous aimons souvent ce qui ressemble Ă ce que nous avons aimĂ© jadis, mais ces ressemblances touchent rarement les points dĂ©cisifs de notre expĂ©rience passĂ©e, » Ă©crit Balthasar Thomass dans son essai Ătre heureux avec Spinoza. Cette confusion entre ressemblance et rĂ©alitĂ© est Ă lâorigine de bien des dĂ©sillusions, et mĂȘme dâune idĂ©ologie politique dĂ©fendue par ceux qui ont insultĂ© Thomas Jolly depuis plusieurs mois : le conservatisme. DĂšs le XVIIe siĂšcle, Spinoza avait identifiĂ© ce piĂšge Ă©motionnel. Par exemple, nous pouvons aimer une personne parce quâelle Ă©voque une sorte de madeleine de Proust. Ce lien est souvent illusoire, car il ne repose pas sur les qualitĂ©s essentielles de lâautre, mais sur un souvenir dâune ancienne France, que Thomas Jolly a voulu nous faire oublier en montrant des drag-queens ou les autistes du Papotin pendant les Jeux Olympiques.
 Ainsi, Spinoza nous invite Ă observer nos affects non comme des mystĂšres insondables, mais comme des mĂ©canismes rigoureusement logiques, obĂ©issant Ă des lois aussi prĂ©visibles que celles de la physique. Dans Ătre heureux avec Spinoza, Balthasar Thomass explore cette mĂ©canique Ă©motionnelle et met en lumiĂšre nos errances affectives les plus courantes. « Nos passions, Ă©crit Thomass, sâenchaĂźnent les unes aux autres, se transfĂšrent, se mĂ©tamorphosent, souvent sans que nous en ayons conscience. » Ce constat pourrait ĂȘtre accablant sâil ne contenait une promesse dâĂ©mancipation : comprendre nos passions en comprenant leur impact social, câest dĂ©jĂ commencer Ă les maĂźtriser.Â
En Ă©cho Ă cette luciditĂ© spinoziste, Thomas Jolly souligne lâimportance dâun espace commun pour dĂ©passer ces tiraillements, comme les théùtres ou les Jeux Olympiques. « Le théùtre, indiquait-il dans un entretien au Nouvel Obs, est un lieu oĂč les Ă©motions se synchronisent, oĂč lâon se rappelle que nous sommes vivants ensembles. » Cette synchronisation, oĂč les affects individuels se transforment en une expĂ©rience sociale, collective et politique, rejoint lâidĂ©al spinoziste dâune joie partagĂ©e, fondĂ©e sur une comprĂ©hension commune des mĂ©canismes Ă©motionnels. Ainsi, Spinoza ne nous invite pas Ă fuir nos passions, mais Ă les regarder en face, Ă en comprendre les ressorts pour les intĂ©grer dans une dynamique de libertĂ©. Thomass rĂ©sume ainsi la dĂ©marche spinoziste : « Apprendre Ă discerner le vrai du faux dans nos affects, câest ouvrir la voie Ă une joie plus authentique, libĂ©rĂ©e des illusions et des contradictions. » Cette quĂȘte de clartĂ© nâest pas seulement un chemin vers le bonheur individuel, mais une clĂ© pour une coexistence plus harmonieuse avec autrui.
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Article rédigé par Oscar Tessonneau . Pour en savoir plus, visitez Le Nouvel Observateur .