L’Islam : un culte que la laĂŻcitĂ© « Ă  la française » abĂźme

L’Islam : un culte que la laĂŻcitĂ© « Ă  la française » abĂźme


Idées 

Paris, France. 11 mai 2025. Marche contre l'islamophobie appelée par plusieurs associations et la France Insoumise à protester aprÚs le meurtre d'Aboubakar Cissé dans une mosquée, la montée du sentiment anti-musulman et face à la politique de Bruno Retailleau, ministre de l'intérieur, Paris, 11 mai 205.photos Aït Adjedjou Karim .ABACAPRESS.COM crédit : Abaca Press/Alamy Live News

e.

Un groupe d’extrĂȘme droite qui planifie l’assassinat de deux cents imams, des murs souillĂ©s de tags haineux, des salles de priĂšre incendiĂ©es : Ă  mesure que les agressions se multiplient, la justice française peine Ă  sanctionner les actes islamophobes. Des avocats s’indignent, des magistrats justifient, et les musulmans finissent par douter.

Oscar Tessonneau


4 Juillet 2025

C’est une machine judiciaire qui grince, qui s’enraye dĂšs qu’il s’agit de dĂ©fendre les musulmans, surtout lorsque le premier flic de France, Bruno Retailleau, crie « Ă  bas le voile » dans un meeting. Dans son dernier article, la journaliste Khedidja Zerouali cite Judith Krivine. La prĂ©sidente du Syndicat des avocats de France, dĂ©crit « une augmentation de l’islamophobie » : « si la personne poursuivie est musulmane, la rĂ©ponse sera plus sĂ©vĂšre ; si la personne est victime, la situation sera banalisĂ©e », Ă©crit Zerouali. Mais au fond, qu’est-ce que l’islamophobie ? En s’émancipant le plus possible du compte X d’Aymeric Durox, le sĂ©nateur (RN) ayant traitĂ© certains films « d’islamo-gauchiste" il y a quelques mois on peut trouver une dĂ©finition de Philippe Corcuff. Dans Islamophobie et islamogauchisme,  un article scientifique de l'essai Les mots qui fĂąchent, le sociologue prĂ©sente ce terme comme « une des modalitĂ©s du racisme », ancrĂ©e dans l’histoire coloniale depuis le dĂ©but du XXe siĂšcle. Corcuff rappelle que le terme mĂȘme d’islamophobie, nĂ© vers 1910, a servi d’abord Ă  dĂ©noncer la xĂ©nophobie coloniale ; ce n’est qu’à la fin du XXe siĂšcle, avec le rapport du Runnymede Trust en 1997 et la validation par Kofi Annan en 2004, qu’il est devenu une banniĂšre universelle de lutte antiraciste. Pourtant, en France, Ă©crit Corcuff, la notion reste piĂ©gĂ©e, confondue volontairement avec un bouclier pour « islamistes » alors qu’elle dĂ©signe, sans Ă©quivoque, des prĂ©jugĂ©s comme ceux d’Aymeric Durox contre des ĂȘtres humains, non contre une religion. « L’islamophobie vise les musulmans effectifs ou supposĂ©s », insiste Corcuff, refusant l’amalgame avec la critique du dogme. Mais la RĂ©publique peine Ă  l’entendre. Dans son article, Khedidja Zerouali Ă©voque la salle de priĂšre de Jargeau, dĂ©truite par les flammes fin fĂ©vrier, marquĂ©e de tags racistes, frappĂ©e Ă  la veille du ramadan. Il a fallu quarante-huit heures au parquet pour admettre l’évidence : une attaque islamophobe. Allan Cengiz Pereira, citĂ© par Zerouali, explose : « cette explication ne tient pas », quand la procureure d’OrlĂ©ans plaide des « analyses techniques ». Depuis, silence. Et l’association n’a pas eu d’autre choix que de se constituer partie civile, pour espĂ©rer qu’une information judiciaire s’ouvre enfin.

Une parole muselée

Dans le mĂȘme temps, l’islamophobie portĂ©e par seize militants d’extrĂȘme droite rĂ©unis dans le groupuscule AFO, passe presque sous les radars. Ils ont projetĂ©, d’aprĂšs l’acte d’accusation rapportĂ© par Zerouali, d’empoisonner des produits halal, de faire sauter une mosquĂ©e, d’assassiner deux cents imams. Dans son article, Philippe Corcuff y voit une consĂ©quence de dĂ©cennies de polĂ©miques laĂŻques oĂč, Ă©crit-il, « l’islamophobie s’est trouvĂ©e maquillĂ©e en dĂ©fense de la libertĂ© d’expression », tout en laissant prospĂ©rer un « ultraconservatisme » raciste, boostĂ© par internet et ses gourous mĂ©diatiques. Dans ce climat, la dissolution du CCIF et de Barakacity, prononcĂ©e en novembre 2020 par GĂ©rald Darmanin, a fait office de totem : dĂ©montrer que la parole antiraciste musulmane pouvait ĂȘtre muselĂ©e, criminalisĂ©e, assimilĂ©e Ă  de l’ennemi intĂ©rieur, et donc, in fine, discrĂ©ditĂ©e. Dans cette France oĂč la laĂŻcitĂ© est parfois brandie comme un gourdin, Zerouali montre comment l’inaction judiciaire entĂ©rine la hiĂ©rarchie des victimes. Une mosquĂ©e brĂ»le ? On temporise. Des militants blancs prĂ©parent un carnage ? On minimise. Pendant ce temps, rappelle Corcuff, la rĂ©pression continue de tomber sans dĂ©lai sur la moindre barbe suspecte, la moindre association islamique, la moindre contestation perçue comme « communautariste ». Et Judith Allenbach, dans l’article de Zerouali, observe que la circulaire du 10 octobre 2023, renforçant la lutte contre l’antisĂ©mitisme, a paradoxalement creusĂ© le fossĂ©, accentuant l’impression que la justice reste Ă  gĂ©omĂ©trie variable. Ce rĂ©cit, en 2025, dit un pays fracturé : la RĂ©publique, confondue par ses propres idĂ©aux, ne parvient plus Ă  appliquer la mĂȘme rigueur Ă  ceux qu’elle considĂšre comme « musulmans ». Dans l’ombre d’un tribunal, Zerouali raconte ce silence ; Corcuff dĂ©cortique ses racines. Dans l’ombre, enfin, se devine une RĂ©publique qui regarde ailleurs, quand certains de ses enfants brĂ»lent. Dans le silence de l’hiver 2020, la RĂ©publique a fermĂ© une porte de plus. Philippe Corcuff Ă©crit que la dissolution du Collectif contre l’islamophobie en France, sous la houlette de GĂ©rald Darmanin et d’Emmanuel Macron, a ouvert « une criminalisation du mot islamophobie », comme si la dĂ©signation mĂȘme d’un racisme spĂ©cifique devenait subversive. « C’est une des modalitĂ©s du confusionnisme idĂ©ologique », analyse Corcuff, oĂč le macronisme a brassĂ© les frontiĂšres entre extrĂȘme droite, droite, centre et gauche en dĂ©signant un ennemi commode : l’islamogauchisme. Avant qu’il soit utilisĂ© par Aymeric Durox, le mot fut dĂ©fini par la ministre FrĂ©dĂ©rique Vidal en 2021, puis relayĂ© par l’Observatoire du dĂ©colonialisme : il associe pĂȘle-mĂȘle Ă©tudes de genre, Ă©criture inclusive, postcolonialisme, antiracisme, comme s’ils formaient un complot contre la RĂ©publique.

Islamogauchisme

Dans ces amalgames, la luciditĂ© s’est perdue. On a accusĂ© d’islamogauchisme des chercheurs respectĂ©s comme Éric Fassin ou Nonna Mayer, dĂ©fricheurs des discriminations, et ainsi dĂ©tournĂ© la colĂšre populaire vers des boucs Ă©missaires. Corcuff Ă©crit que l’idĂ©e d’islamogauchisme vient de Pierre-AndrĂ© Taguieff, en 2002, pour pointer des liaisons supposĂ©es entre islamistes et militants tiers-mondistes, notamment autour de la cause palestinienne. Mais cette grille de lecture, observe-t-il, a occultĂ© l’antisĂ©mitisme plus classique et renforcĂ© des rĂ©flexes de suspicion Ă  gauche, jusqu’à diaboliser tout discours sur l’intersectionnalitĂ© ou le racisme structurel. Et pendant que les Ă©crans s’enflamment, la RĂ©publique reste impassible quand brĂ»le une salle de priĂšre, ou quand un groupe d’extrĂȘme droite veut empoisonner la viande halal : Khedidja Zerouali Ă©crit que la justice, elle, regarde ailleurs, laissant ces affaires s’étioler, banales, invisibles, comme si la haine anti-musulmane ne mĂ©ritait pas le mĂȘme nom que la haine d’autres minoritĂ©s. Corcuff souligne que cette hiĂ©rarchie des racismes est devenue un rĂ©flexe d’État, une forme d’inertie institutionnelle oĂč l’antiracisme musulman est jugĂ© suspect par principe, et oĂč le concept mĂȘme d’islamophobie est broyĂ© sous l’accusation d’ĂȘtre islamiste. Dans cette atmosphĂšre viciĂ©e, la moindre critique de la justice ou du racisme est frappĂ©e d’un soupçon : ĂȘtre complice de l’islam politique. Et la violence islamophobe, elle, peut prospĂ©rer en paix, protĂ©gĂ©e par la mollesse des peines, le silence des procureurs ; protĂ©gĂ©e, surtout, par la confusion volontaire qui entoure le mot mĂȘme d’islamophobie, comme si nommer les actes islamophobes revenait dĂ©jĂ  Ă  trahir la RĂ©publique. La criminalisation rampante du terme islamophobie, et le flou entretenu par la notion d’islamogauchisme, rĂ©vĂšlent une RĂ©publique plus prompte Ă  juger la dĂ©fense des musulmans qu’à poursuivre leurs agresseurs.

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