Ces derniĂšres annĂ©es, la France voit sa dette publique flamber. Ces difficultĂ©s financiĂšres ont accentuĂ© la dĂ©fiance des marchĂ©s, ayant considĂ©rablement augmentĂ© leurs taux dâemprunts sur dix ans. Mercredi, ces derniers Ă©taient supĂ©rieurs Ă ceux de La GrĂšce lorsqu'Alexis Tsipras Ă©tait prĂ©sident: 3,019 %.
Oscar Tessonneau
Câest une premiĂšre. Mercredi, les taux dâemprunts de la France Ă©taient quasiment au niveau des 3,020 % subis par la GrĂšce dans les annĂ©es 2010. Comme lâindiquait Marc Touati, Ă©conomiste et fondateur du cabinet ACDEFI, au journaliste du Parisien Erwan Benezet, ce parallĂšle est accablant : « Les investisseurs font plus confiance Ă la GrĂšce quâĂ la France. Câest inĂ©dit et grave. » Le journaliste Fabien Perrier, dans son essai Alexis Tsipras : Une histoire grecque, dĂ©crit ces annĂ©es comme une spirale infernale. En 2010, Alexis Tsipras dĂ©nonçait un « contrĂŽle asphyxiant du FMI ». Ă cette Ă©poque, la troĂŻka imposait des coupes budgĂ©taires drastiques, supprimant 13e et 14e mois de salaire, augmentant la TVA et taillant dans les retraites. Si la France ne subit pas encore ces dĂ©cisions brutales, la pression des marchĂ©s sâintensifie.
Marc Touati indiquait Ă Erwan Benezet : « Les taux dâemprunt français Ă cinq ans dĂ©passent Ă©galement ceux de la GrĂšce. Câest un signal trĂšs inquiĂ©tant. » Cette dĂ©fiance trouve une origine dans lâincapacitĂ© de lâĂtat Ă rĂ©former ses dĂ©penses. En 2023, les dĂ©penses publiques françaises reprĂ©sentaient 59 % du PIB, un record en Europe. Si les pays comme lâEspagne ou le Portugal â autrefois des « PIGS » â ont rĂ©ussi Ă stabiliser leurs Ă©conomies, la France, elle, accumule les dĂ©ficits. Et le spectre grec hante les esprits : la montĂ©e des inĂ©galitĂ©s nourrit un climat de colĂšre politique. DĂ©jĂ , en 2019, les Gilets jaunes avaient mis en lumiĂšre un pays fracturĂ©. La crise du Covid nâa fait quâapprofondir ces lignes de faille. Mais lĂ oĂč la France pourrait sâĂ©carter du destin grec, câest dans sa capacitĂ© Ă Ă©viter un effondrement dĂ©mocratique, en maintenant des personnes comme moi, porteurs les de troubles autistiques dans une situation de prĂ©caritĂ© sociale et administrative, en leur offrant peu de places dans des foyers, des entreprises, ou sur les bancs d'Ă©coles publiques Ă deux heures de Paris en avion qu'Alexis Tsipras avait tentĂ© de sauver.
« Vous nâĂȘtes pas obligĂ© dâassister Ă ces entretiens »
En GrĂšce, la crise financiĂšre sâest accompagnĂ©e dâune crise politique majeure, avec une abstention atteignant 45 % en 2010, malgrĂ© un vote obligatoire. « La colĂšre populaire est devenue un fleuve qui ne peut plus revenir en arriĂšre », dĂ©clarait Alexis Tsipras lors des manifestations massives de 2011. Pour Florence Pisani, le cercle vicieux est dĂ©jĂ enclenchĂ© : « Une hausse de la fiscalitĂ©, combinĂ©e Ă lâabsence de rĂ©duction des dĂ©penses, freinerait encore davantage une croissance dĂ©jĂ anĂ©mique. » Ce phĂ©nomĂšne a un nom : lâeffet de ciseau. Il se dĂ©veloppe quand des dĂ©penses publiques Ă©levĂ©es deviennent insoutenables pour une Ă©conomie en stagnation, avec un tissu dâentreprises et de start-up ayant du mal Ă se renouveler.
Lâhistoire grecque a montrĂ© quâun tel basculement ne se limite pas Ă des chiffres ou Ă des taux. Fabien Perrier Ă©crit : « Ce sont les rĂ©percussions sur les citoyens qui marquent le vĂ©ritable drame. » En France, ces mĂȘmes Ă©lĂ©ments sont dĂ©jĂ perceptibles dans plusieurs services publics oĂč des français comme moi se rendrent souvent. Lors de ces derniĂšres semaines, j'ai eu plusieurs rendez-vous Ă lâagence France Travail de la rue Daviel Ă Paris. La directrice dâagence Isabelle Krugler m'organisait des entretiens avec des acteurs publics comme les mairies. Ces rendez-vous ne mâont rapportĂ© aucun centime, car mes conseillĂšres connaissent mal les mĂ©tiers que l'on peut adapter aux personnes porteuses du trouble. « Vous nâĂȘtes pas obligĂ© dâassister Ă ces entretiens », me confiera Krugler lors dâun rendez-vous avec les adjoints du maire au handicap, JĂ©rĂŽme Coumet, ne proposant aucune perspective financiĂšre au magazine.
Les entretiens que j'obtiendrai avec Laure Boyer, consultante et formatrice au sein de lâagence BGE, ne m'offriront Ă©galement pas le moindre centime Ă notre rĂ©daction, fondĂ©e par des personnes autistes, dans un pays oĂč moins de 5 % dâentre eux travaillent. Pour Ă©viter que cette fracture financiĂšre, actuellement organisĂ©e par Isabelle Krugler, Laure Boyer, et des dizaines de fonctionnaires bien mieux payĂ©s que moi, car je touche encore lâAAH, ne devienne une fracture sociale irrĂ©versible, en GrĂšce, Tsipras multipliait les rendez-vous. « Nous voulons donner un coup de main Ă la GrĂšce, mais cela ne veut pas dire toujours lui donner raison », dĂ©clarait Matteo Renzi Ă Alexis Tsipras en 2015. Ă lâĂ©poque, cette phrase illustrait lâambiguĂŻtĂ© des relations europĂ©ennes face Ă un membre en difficultĂ©s
« Lâobjectif Ă©tait de briser lâexpĂ©rience de gauche en GrĂšce pour Ă©viter toute contagion populiste en Europe. »
Lors dâune autre visite en France, Alexis Tsipras rencontre Pierre Laurent et des figures de la gauche française proches de son parti Syriza dans un sous-sol de la place des Vosges. Une autre bombe Ă©clate : la Banque centrale europĂ©enne (BCE) annonce la fermeture de lâun des principaux robinets de financement de la GrĂšce. « Câest une pression directe sur nos finances », confiera plus tard un proche de Tsipras, Ă©voquant lâELA, ce mĂ©canisme dâurgence maintenu de justesse.
Avec des caisses vides, la GrĂšce Ă©tait au bord du prĂ©cipice. Le spectre de Wolfgang SchĂ€uble, ministre allemand des Finances, plane sur toutes les nĂ©gociations. Comme lâĂ©crit Fabien Perrier dans Alexis Tsipras : Une histoire grecque, « lâobjectif Ă©tait de briser lâexpĂ©rience de gauche en GrĂšce pour Ă©viter toute contagion populiste en Europe. » Une logique implacable que Tsipras perçoit comme un ultimatum : cĂ©der ou risquer lâeffondrement. La BCE, en suspendant son soutien classique, pousse la GrĂšce Ă accepter une extension du mĂ©morandum de 2012. Cette extension, pourtant, reprĂ©sente tout ce que Syriza dĂ©nonçait avec vĂ©hĂ©mence avant son arrivĂ©e au pouvoir. Chaque geste de Tsipras est surveillĂ©, chaque mot analysĂ©.
Mais Tsipras reste sur ses gardes. Si la BCE a montrĂ© sa main, dâautres institutions pourraient suivre. Le Fonds monĂ©taire international, dĂ©jĂ perçu comme le gardien inflexible de lâaustĂ©ritĂ©, pourrait exiger encore plus de concessions. La partie qui se joue nâest pas simplement Ă©conomique, mais politique. LâEurope veut faire de la GrĂšce un exemple, une preuve que la mise en place de politiques publiques de gauche se paie au prix fort.
Pour Tsipras, le dĂ©fi est double : maintenir un semblant de stabilitĂ© dans son pays tout en Ă©vitant de trahir ses idĂ©aux. Mais le temps joue contre lui. Les caisses de lâĂtat grec se vident, les partenaires europĂ©ens sâimpatientent, et Berlin se montre inflexible. Lâhomme qui a promis de tourner la page de lâaustĂ©ritĂ© est dĂ©sormais prisonnier dâun systĂšme qui ne tolĂšre pas les Ă©carts. Dans ce ballet oppressant entre volontĂ© populaire et austĂ©ritĂ© imposĂ©e, le gouvernement grec avance sur un fil tendu au-dessus du vide. LâEurope regarde, et attend. La GrĂšce sera-t-elle lâexception ou le prĂ©cĂ©dent ?
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