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Le Guide suprĂȘme iranien Ali Khamenei rencontre le PrĂ©sident et les reprĂ©sentants de la 12Ăšme session de l'AssemblĂ©e consultative islamique le Guide suprĂȘme iranien Ali Khamenei rencontre le PrĂ©sident et les reprĂ©sentants de la 12Ăšme session de l'AssemblĂ©e consultative islamique Ă TĂ©hĂ©ran, Iran, le 11 juin 2025. Photo du leader iranien Bureau de presse TĂ©hĂ©ran TĂ©hĂ©ran Iran, RĂ©publique islamique de 110625 Iran IKPO 0019 Copyright : xapaimagesxIranianxLeaderxPressxOfficexxapaimagesx
Ă TĂ©hĂ©ran, le rĂ©gime poursuit sa stratĂ©gie nuclĂ©aire face aux pressions internationales, dans un contexte de divisions internes, de fatigue populaire et dâambitions rĂ©gionales anciennes.
Oscar Tessonneau
19 Juin 2025
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La bombe nâest pas une arme. Câest une doctrine. Un schĂ©ma mental hĂ©ritĂ© de lâisolement, du nationalisme, et dâune thĂ©ologie de la rĂ©sistance. Depuis 1979, la RĂ©publique islamique tisse autour dâelle un rĂ©seau dâĂtats ayant de fortes communautĂ©s chiites. Et au cĆur de ce filet, un rĂ©acteur nuclĂ©aire. « Le rĂ©gime enrichit de lâuranium dans des quantitĂ©s et Ă des teneurs qui nâont de sens quâau service dâune ambition : fabriquer un jour une arme nuclĂ©aire », Ă©crit Alain Frachon dans Le Monde, dans un Ă©ditorial publiĂ© le 19 juin 2025. LâIran dispose aujourdâhui dâenviron 400 kilos dâuranium enrichi Ă 60 %. Cette stratĂ©gie nâest pas un secret. Elle sâinscrit dans « un projet, longtemps niĂ© officiellement », prĂ©cise Frachon, mais lisible dĂšs la fondation mĂȘme de la RĂ©publique islamique. DĂšs lâorigine, dans les annĂ©es 1980, lâambition est double : Ă©chapper Ă lâOccident, exporter la rĂ©volution. « En clamant haut et fort sa volontĂ© de nâĂȘtre soumis ni Ă lâOuest ni Ă lâEst, le nouveau rĂ©gime thĂ©ocratique a annoncĂ© dĂšs le dĂ©part sa volontĂ© dâexporter sa rĂ©volution islamique », Ă©crit Frachon. Cette idĂ©ologie donne naissance Ă une politique Ă©trangĂšre offensive, marquĂ©e par lâappui au Hezbollah libanais, aux Houthistes yĂ©mĂ©nites, aux milices chiites dâIrak et au Hamas palestinien. Mais cette dynamique ne se rĂ©sume pas Ă une dictature monolithique. Anne-Laure Dupont, Catherine Mayeur-Jaouen et Chantal Verdeil dĂ©crivent dans leur ouvrage collectif Histoire du Moyen-Orient que « les oulĂ©mas chiites ne formĂšrent jamais de bloc monolithique », et que lâinstitution du marjaâiyya entretient « la dynamique du dĂ©bat ». Le pouvoir sâorganise autour de plusieurs pĂŽles â Maison du Guide, prĂ©sidence, Parlement, Gardiens de la rĂ©volution â entre lesquels les logiques religieuses et diplomatiques coexistent en tension. Face Ă ces menaces, la dissuasion nuclĂ©aire devient doctrine de survie. Elle sâarticule avec les missiles balistiques â dĂ©veloppĂ©s en dĂ©pit des embargos â et les milices rĂ©gionales, bras armĂ©s de la politique Ă©trangĂšre iranienne. Cette stratĂ©gie asymĂ©trique fait de lâIran « le principal adversaire de lâArabie saoudite », rappellent les autrices de Histoire du Moyen-Orient. Le conflit chiite-sunnite, souvent prĂ©sentĂ© comme religieux, est avant tout gĂ©opolitique.
Un usage limitĂ© de lâarme
Il confĂšre une dimension confessionnelle aux guerres civiles en Syrie, oĂč les sunnites sont au pouvoir depuis le mois de dĂ©cembre, et yĂ©mĂ©nite, mais sert dâabord de justification aux ambitions diplomatiques de TĂ©hĂ©ran. Le nuclĂ©aire est donc un levier. Mais aussi une impasse. Signataire du TNP depuis 1970, lâIran en viole les termes depuis plusieurs annĂ©es. LâAgence internationale de lâĂ©nergie atomique (AIEA) « tire la sonnette dâalarme », Ă©crit Frachon, mais ne peut rien. En 2003, la France, le Royaume-Uni et lâAllemagne tentent des nĂ©gociations. Elles Ă©chouent sous la prĂ©sidence dâAhmadinejad. Un accord-cadre est signĂ© sous Rohani en 2013. Mais Donald Trump le torpille en 2018. Depuis, la RĂ©publique islamique a repris des activitĂ©s dâenrichissement quâIsraĂ«l estime menaçantes. Le 13 juin 2025, IsraĂ«l frappe TĂ©hĂ©ran. Des drones percent les radars, des missiles pulvĂ©risent les dĂ©fenses antiaĂ©riennes. LâarmĂ©e iranienne tente de riposter, mais lâinitiative est perdue. « Lâarchitecture de dĂ©fense Ă©rigĂ©e au lendemain de la guerre contre lâIrak â le triptyque nuclĂ©aire, missiles, milices â se retourne contre lâIran », Ă©crit Alain Frachon dans Le Monde, soulignant la vulnĂ©rabilitĂ© dâun rĂ©gime que lâon croyait imprenable. LâIran continue de dĂ©velopper sa stratĂ©gie aprĂšs les accords de Vienne. Le 14 juillet 2015, le Joint Comprehensive Plan of Action marque un tournant. Lâaccord est signĂ© entre lâIran, les membres permanents du Conseil de sĂ©curitĂ©, lâAllemagne et lâUnion europĂ©enne. Il prĂ©voit la limitation du programme nuclĂ©aire, la surveillance renforcĂ©e des sites, et la levĂ©e progressive des sanctions. Ce compromis, fragile mais porteur dâespoir, cherche Ă contenir la nuclĂ©arisation dâun pays « capable techniquement et scientifiquement de se doter de la bombe atomique », Ă©crivent Anne-Laure Dupont, Catherine Mayeur-Jaouen et Chantal Verdeil dans Histoire du Moyen-Orient. En rĂ©alitĂ©, lâIran joue sur deux tableaux : dâun cĂŽtĂ©, il rĂ©cupĂšre 150 milliards de dollars gelĂ©s, relance ses exportations pĂ©troliĂšres, sĂ©duit des entreprises europĂ©ennesâŻ; de lâautre, il conserve son savoir-faire nuclĂ©aire intact. Les effets Ă©conomiques sont immĂ©diats : croissance en 2016, diversification des importations. Mais lâinflation et le chĂŽmage restent Ă©levĂ©s, surtout chez les jeunes et les femmes. Et lâaccord provoque des crispations : « IsraĂ«l estimait en effet que le Plan dâaction global commun ne faisait que donner une base lĂ©gale Ă la "nuclĂ©arisation" dâun de ses pires ennemis », prĂ©cisent les trois historiennes. La parenthĂšse se referme brutalement.
« Femme vie liberté »
Le 8 mai 2018, Donald Trump annonce le retrait des Ătats-Unis de lâaccord. Les sanctions reviennent, plus dures quâavant. LâĂ©conomie sâeffondre. La monnaie sâeffrite. Lâemploi sâĂ©vapore. Les nĂ©gociations relancĂ©es par Joe Biden en 2021 piĂ©tinent dĂšs mars 2022. LâIran exige des garanties en cas de futur changement de prĂ©sident amĂ©ricain. Les discussions sâenlisent. LâIran reprend son enrichissement dâuranium. Dans le mĂȘme temps, le rĂ©gime instrumentalise ses ressortissants Ă lâĂ©tranger : dĂ©tentions arbitraires, accusations fallacieuses. Lâanthropologue Fariba Adelkhah devient une monnaie dâĂ©change. Lâisolement international sâaccentue. Le Covid-19 frappe durement. La population se paupĂ©rise. « Entre une population jeune et appauvrie et un rĂ©gime tyrannique toujours incarnĂ© par son Guide, le fossĂ© se creuse », constate Frachon, dĂ©crivant une sociĂ©tĂ© fracturĂ©e. En novembre 2019, une hausse des prix du carburant dĂ©clenche une rĂ©volte, violemment rĂ©primĂ©e. En septembre 2022, la mort de Mahsa Amini, arrĂȘtĂ©e pour un voile mal portĂ©, embrase les villes. « Femme, vie, libertĂ© », crient les manifestantes. LâInternet est coupĂ©. Les rĂ©seaux sociaux filtrĂ©s. Les visages des femmes tombent sur les affiches. Dans ce climat intĂ©rieur dĂ©lĂ©tĂšre, lâIran poursuit malgrĂ© tout ses alliances. Il renforce ses liens commerciaux avec la Chine, stratĂ©giques avec la Russie. Le secteur informel prospĂšre, pilotĂ© en sous-main par les Pasdaran. Les milices restent actives au Liban, au YĂ©men, en Irak. Dupont, Mayeur-Jaouen et Verdeil Ă©crivent que « lâIran tente de resserrer ses liens commerciaux avec la Chine et la Russie ». Mais rien nâinverse la tendance. Le pays sâenfonce. Les caisses se vident. Le peuple se soulĂšve. LâopĂ©ration israĂ©lienne de 2025 surgit donc comme un coup de massue sur un Ă©difice dĂ©jĂ fissurĂ©. Elle ne frappe pas un gĂ©ant debout, mais un colosse vacillant. Le Guide suprĂȘme, Ali Khamenei, a 86 ans. Il rĂšgne plus quâil ne gouverne. Les Gardiens de la rĂ©volution protĂšgent un rĂ©gime sans horizon stable.
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