Paris, France. 16th mars 2023. Le député français Guillaume Kasbarian s'adresse au journaliste aux 4 colonnes après une session où le Premier ministre français a confirmé la force par la loi sur les pensions sans vote parlementaire avant 49,3 à l'Assemblée nationale, à Paris sur 16 mars 2023. Le président français a dû adopter la loi sur les retraites sans vote au Parlement, après avoir obtenu l'approbation du Sénat de la Chambre haute pour sa réforme du système des retraites, qui a déclenché des manifestations et des grèves massives depuis le début de l'année. Photo de Raphael Lafargue/ABACAPRESS.COM crédit: Abaca Press/Alay Live News
Depuis plusieurs années, de nombreuses personnes en situation de handicap estiment que les rouages de l’administration tournent à vide. Cette bureaucratie labyrinthique, protégée par l’attachement viscéral de certains fonctionnaires à des salaires d’enseignants ou d’attachés territoriaux, parfois plus élevés que ceux de travailleurs indépendants en situation de handicap, perturbe les réalités d’un marché de l’emploi où nombre d’entre eux sont encore au chômage.
Oscar Tessonneau
Il est très rare que je m’énerve. Et pourtant, mercredi 20 novembre, j’ai osé dire à un agent de la mairie du 13ᵉ arrondissement que je n’étais « vraiment pas fier de voir que mes cotisations Urssaf servent à payer des gens incapables de me donner un numéro de dossier entre deux rendez-vous ». Les raisons de ma colère sont simples. Moi-même handicapé à plus de 80 %, du fait de mes troubles autistiques, j’ai remis un dossier à des fonctionnaires de la MDPH de Paris pour que ce journal devienne une entreprise adaptée (EA). Avec ce statut, j’embaucherais plus facilement des personnes en situation de handicap, qui feront leur Duoday ce jeudi dans plusieurs secteurs d’activité. Depuis presque un an, je n’ai plus de nouvelles de la MDPH.
Tous les mois, une partie importante de mes bénéfices est prélevée par l’Urssaf. La ville de Paris ne m’offre même pas la prise en charge de mes titres de transport. Je suis donc allé voir l’agent de ma mairie, qui a refusé de m’indiquer si le traitement de mon dossier avançait entre deux rendez-vous. Heureusement, je ne suis pas le seul à partager ce constat sur les excès bureaucratiques dans la fonction publique.
Le 13 novembre, Mathieu Aron, du Nouvel Observateur, rapportait les félicitations adressées par Guillaume Kasbarian à Elon Musk sur X pour sa nomination comme ministre de l’Efficacité gouvernementale par Donald Trump. Ce n’est pas seulement l’enthousiasme affiché par le ministre qui a choqué l’opinion d’un pays comme la France, où le nombre de personnes en situation de handicap sans emploi reste élevé. C’était la nature même du message de Kasbarian : « Hâte de partager les meilleures pratiques pour lutter contre la bureaucratie excessive ».
Au lieu d’évoquer une « bureaucratie excessive » comme l’a fait Kasbarian, Milton Friedman aurait probablement qualifié cette situation de « bureaucratie de rente », en dénonçant un appareil institutionnel incapable de produire une valeur ajoutée tangible ou de soutenir des entreprises comme Rightbrain, qui utilise plus d’une quarantaine de logiciels souvent méconnus dans l’administration française, pour permettre à des handicapés de travailler. Ainsi, comme l’écrit Friedman, « la véritable crise de l’État-providence n’est pas son coût, mais son incapacité à s’adapter ».
« L’illusion de la supériorité administrative »
Dès 1955, l’économiste Milton Friedman soulignait que le libéralisme du XIXᵉ siècle avait commis l’erreur fondamentale de limiter le rôle de l’État à la seule application des lois et au maintien de l’ordre. Son confrère Walter Eucken avait remis en cause ces principes en définissant les conditions essentielles pour que chaque démocratie conserve une économie compétitive : des marchés ouverts, une monnaie saine, la propriété privée, la liberté de contrat, et une responsabilité personnelle illimitée.
Pourtant, lorsqu’elle doit accompagner les personnes en situation de handicap vers l’école ou l’emploi, l’administration française échoue encore sur de nombreux points cités ici. Ce « libéralisme négatif », pour reprendre un terme cher à Milton Friedman, a indirectement favorisé la montée des idées collectivistes en ignorant les besoins complexes des communautés modernes, notamment lorsqu’elles ont un handicap.
La semaine dernière, la directrice des missions locales d’Île-de-France, Tatiana Ayme, animait une conférence avec le philosophe Josef Schovanec sur l’autisme. De nombreuses explications sur la vie de Tom Sawyer et des personnages du dessin animé Winnie l’Ourson masquaient le manque de solutions qu’ont de nombreux agents de l’État et des missions locales pour insérer les handicapés vers l’emploi.
Dès les années 50, Friedrich Hayek avertissait déjà contre « l’illusion de la supériorité administrative », cette croyance selon laquelle l’État, par sa taille et ses ressources, aurait une capacité intrinsèque à organiser l’inclusion de toutes et tous dans la vie publique. Un autre économiste, Wilhelm Röpke, partageait le constat d’Hayek.
Il expliquait, dès 1950, que les dérives bureaucratiques ont tendance à éloigner l’État de sa fonction première : servir la communauté. En France, cette fracture est abyssale. Les salariés des missions locales, des élus et autres agents de MDPH connaissent très mal les solutions technologiques et informatiques qui favoriseraient l’emploi des handicapés, comme celles proposées par l’entreprise de logiciels Adobe, tout en gagnant plus que les usagers d’Esat où travaille la majorité des indépendants en situation de handicap.
Ordolibéralisme
Sur X, Guillaume Kasbarian, ministre de la Fonction publique, a mis en lumière cette absurdité. Dans son message à Elon Musk, lui-même porteur de troubles autistiques, il déclarait vouloir partager des pratiques pour réduire la bureaucratie. Une déclaration intéressante, compte tenu de son propre ministère, où l’efficacité semble parfois être un concept étranger.
Bien que pragmatiques, des économistes comme Milton Friedman et Friedrich Hayek n’ont jamais nié l’importance de l’État dans la création d’un ordre compétitif. Hayek, dans son discours inaugural à Mont Pèlerin, a souligné que « la concurrence peut être rendue plus bénéfique par certaines activités gouvernementales ». Cependant, il précisait qu’un État ne doit jamais construire des bureaucraties alourdies, mais plutôt devenir un État structurant, garant des principes fondamentaux comme la propriété privée.
Pour Milton Friedman, cette incapacité est le symptôme d’une erreur plus large. Dans Capitalism and Freedom, il déplore que « les gouvernements soient souvent plus enclins à intervenir dans les processus qu’à fournir un cadre solide et impartial ». Les MDPH, en se perdant dans des méandres bureaucratiques, reflètent cette dérive. Le résultat : des citoyens frustrés, des droits non respectés, et un système qui paralyse plus qu’il n’émancipe.
Dans ce contexte, il n’est pas surprenant que Guillaume Kasbarian ait été séduit par l’approche radicale d’Elon Musk. Pour Musk, l’État doit non seulement se débarrasser de sa bureaucratie inutile, mais devenir une machine capable de rétablir la fluidité des mécanismes de marché. Ce qu’il qualifie de « plan Manhattan » pour la réforme gouvernementale incarne un projet où la suppression des obstacles administratifs devient une priorité absolue.
L’ordolibéralisme, en prônant un État fort mais limité à des fonctions bien définies, offre une piste. Mais pour qu’un tel modèle soit réalisable, il faudrait non seulement revoir le rôle des institutions publiques, mais aussi instaurer une culture de responsabilité individuelle et d’efficience économique.
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