Tout était fait pour qu'un jour, ils votent RN

Tout était fait pour qu'un jour, ils votent RN

Samedi matin, dans les colonnes du quotidien Libération, le sociologue Didier Eribon a décrit un phénomène préoccupant et complexe : le glissement des ouvriers de la gauche vers la droite et l'extrême droite, une tendance qu'il analyse en profondeur dans son livre Retour à Reims.

Oscar Tessonneau

Abandon

« Tu ne m’intéresses absolument pas, vas à la niche. » Tenus par une habitante de Montargis (Loiret), à sa voisine issue de l’immigration, ces propos racistes, filmés par les caméras de France 2, sont ancrés dans le langage et les coutumes de nombreuses familles vivant dans la France périphérique, où il n’est pas rare d’entendre des propos à caractère diffamatoire. Le phénomène n'est pas récent. Il s'explique par plusieurs facteurs socio-politiques.

Comme l’indiquait Eribon ce matin aux équipes de Libération, "l'abandon par les partis sociaux-démocrates de la défense des intérêts de la classe ouvrière a joué un rôle clé dans ce changement." Il souligne que les politiques de ces gouvernements, notamment les proches de François Hollande qui, comme nous le confiait il y a un an un confrère du site handicap.fr, "avait seulement envoyé un court communiqué de presse au sujet du handicap" n'étaient pas très différentes de celles des gouvernements de droite, ce qui a conduit à une déconnexion entre les classes populaires et la gauche. Ainsi, ce vote pour le RN est une transformation logique de l'identité politique.

Dans son essai Au risque de la race, paru en 2021, Fabrice Olivet explore les racines de ce glissement identitaire. Il note que le discours ouvriériste de la CGT et du Parti communiste a en fait préparé le terrain pour une transition vers le Front National (FN, devenu RN). Il écrit : "Le prolo français est une figure blanche, l’internationalisme ne change rien à l’affaire, si ce n’est un soutien équivoque aux luttes anticoloniales, c’est-à-dire là-bas, loin, en Afrique du Nord, aux Antilles ou en Indochine puis au Vietnam." La distance physique et symbolique entre l’ouvrier cégétiste blanc et les minorités, racisées non-genrées ou en situation de handicap, ont joué un rôle crucial dans cette transition vers le vote en faveur du Rassemblement National (RN). Olivet souligne : "Cette distance explique les premiers couacs de Georges Marchais et de Robert Hue à propos du foyer malien de Vitry ou des "vendeurs de drogue marocains de Montigny-lès-Cormeilles".

SOS Raciste

Comme l’écrit Olivet, les années 1980 ont vu naître une génération de jeunes afrodescendants qui n'avaient nul besoin de protecteurs. Il critique SOS Racisme, une initiative qu'il considère comme un trompe-l'œil destiné à perpétuer la tutelle de la majorité blanche. Il écrit : "La thèse est connue : SOS Racisme fut une habile mascarade destinée à torpiller à la base un mouvement ‘beur’ naissant." Contrôlés par des proches du Parti Socialiste comme Julien Dray ou Harlem Désir, ces mouvements rappellent parfois les engagements des personnes LGBT ou en situation de handicap, mettant en lumière l'importance des représentations du monde social dans la formation des affects politiques.

"Le cadre théorique changeant, les affects de classe prennent un autre sens," soulignait samedi matin Didier Eribon dans les colonnes de Libération. Il explique que le système scolaire, en éliminant les enfants des classes populaires, des quartiers, ou ceux qui vont avoir d’importants troubles dys, autistiques ou un TDAH, influence leur accès aux métiers, aux salaires et leur rapport à l'avenir.

« La petite main jaune est le symbole de cette hantise de l’antiracisme bien né envers le vilain communautarisme anglo-saxon »

Samedi matin, Eribon décrivait dans les colonnes de Libération le sentiment de dépossession sociale, culturelle et politique parmi les classes populaires ou les personnes en situation de handicap mental, qui ressentent le mépris des classes dominantes. "Le vote devient alors un sursaut de fierté," note-t-il, ajoutant qu'il est crucial de changer la couleur et la signification de cette fierté pour ramener les classes populaires vers une vision de solidarité et d'appartenance de classe.

Cette analyse trouve une résonance particulière dans les écrits de Fabrice Olivet. Dans son ouvrage Au risque de la race, Olivet examine la complexité du racisme structurel et ses implications pour les mouvements antiracistes en France. Il critique la symbolique de SOS Racisme et la manière dont ce mouvement a été perçu par les communautés qu'il prétendait défendre. Olivet écrit : "La petite main jaune est le symbole de cette hantise de l’antiracisme bien né envers le vilain communautarisme anglo-saxon."

Olivet poursuit en décrivant les conséquences de l'approche de SOS Racisme, rappelant aussi les conséquences des discours tenus par Jordan Bardella et d’autres partis d’extrême-droite aux Français ruraux vivant dans la grande précarité. Ainsi, les témoignages d'Eribon et d'Olivet mettent en lumière les enjeux de reconnaissance et de représentation identitaire, ainsi que les défis auxquels sont confrontés les mouvements de solidarité et d'appartenance de classe dans le contexte contemporain.

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