GARAUDY
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France
Ami le plus intime de LâAbbĂ© Pierre, Garaudy fut longtemps une icĂŽne communiste. Cette relation fut marquĂ©e par leur antisĂ©mtisme. Garaudy pensait que le sionisme aurait copiĂ© la politique de conquĂȘte de JosuĂ©, pour entamer une « purification ethnique ».
Oscar Tessonneau- 18 Avril 2025
« Je ne crois que ce que je vois ». Cette cĂ©lĂšbre citation, mantra de tout bon journaliste attachĂ© aux faits, dĂ©montre un principe simple : toute vĂ©ritĂ© est contestable tant quâelle nâa pas Ă©tĂ© prouvĂ©e. MĂȘme les mythes populaires, laissant entendre que lâabbĂ© Pierre Ă©tait un saint, peuvent ĂȘtre contestĂ©s tant que toute la vĂ©ritĂ© nâa pas Ă©tĂ© dite. Une partie de cette vĂ©ritĂ© est dĂ©voilĂ©e dans le livre-enquĂȘte AbbĂ© Pierre, la fabrique dâun saint. PubliĂ© chez Allary par Laetitia Cherel et Marie-France Etchegoin, ce travail brise ce que lâauteure appelle « un mythe fondateur de la mĂ©moire française contemporaine ». Le passĂ© de lâabbĂ© Pierre, longtemps drapĂ© dans une aura dâhumilitĂ©, sâobscurcit Ă la lumiĂšre dâĂ©pisodes longtemps passĂ©s sous silence. Et parmi eux, un en particulier : son antisĂ©mitisme et son soutien public, dans les annĂ©es 1990, Ă Roger Garaudy.
Lâhistorienne StĂ©phanie Courouble Share dresse un portrait terrifiant de ce communiste antisĂ©mite. Dans son essai Les idĂ©es fausses ne meurent jamais⊠Le nĂ©gationnisme, histoire dâun rĂ©seau international, elle Ă©crit : « AgrĂ©gĂ© de philosophie, ancien militant du Parti communiste français, dĂ©putĂ© et sĂ©nateur dĂ©chu, converti au protestantisme, au catholicisme, puis Ă lâislam en 1982, devenu nĂ©gationniste, Roger Garaudy assimile nazisme au sionisme ». Dans son ouvrage Les Mythes fondateurs de la politique israĂ©lienne, publiĂ© en dĂ©cembre 1995, il prĂ©tend que « le sionisme doit ĂȘtre vigoureusement soutenu afin quâun contingent annuel de juifs allemands soit transportĂ© en Palestine ».
Ce nâest plus le nazisme qui est mis en accusation, mais le sionisme, prĂ©sentĂ© comme complice, voire moteur. StĂ©phanie Courouble Share ajoute que ces arguments â relayĂ©s dans les annĂ©es quatre-vingt-dix par des auteurs arabes comme Saleh Zahrad-Din ou Mahmud Fauzi â aboutissent Ă une thĂšse terrifiante : « la Seconde Guerre mondiale aurait Ă©tĂ© provoquĂ©e par les Juifs eux-mĂȘmes, Ă travers le boycott Ă©conomique dĂ©cidĂ© en 1933 ». En soutenant Garaudy, lâabbĂ© Pierre a Ă©tĂ© aussi nĂ©gationniste et antisĂ©mite que Garaudy. Ce dernier souhaitait « dĂ©montrer que les Juifs et IsraĂ«l ont fabriquĂ© des mythes thĂ©ologiques », notamment le mythe de la Terre promise.
« Le mythe de lâHolocauste »
Dans son livre, Garaudy affirme que le sionisme aurait copiĂ© la politique de conquĂȘte de JosuĂ©, modĂšle selon lui de la « purification ethnique » moderne. Il Ă©crit : « Celle-ci, devenue systĂ©matique dans lâĂtat dâIsraĂ«l dâaujourdâhui, dĂ©coule du principe de la puretĂ© ethnique empĂȘchant le mĂ©lange du sang juif avec le âsang impurâ de tous les autres ». Cette islamophobie des Juifs israĂ©liens, Garaudy la rattache directement Ă une forme de racisme suprĂȘme, inspirĂ©e, dit-il, dâun « modĂšle nazi ».
StĂ©phanie Courouble Share prĂ©cise que dans Les Mythes fondateurs de la politique israĂ©lienne, Roger Garaudy Ă©crit que le « premier mythe du XXe siĂšcle » dĂ©noncĂ© est celui du sionisme antifasciste. « Durant la guerre » Ă©crit le philosophe communiste, « le sionisme aurait en rĂ©alitĂ© Ă©tĂ© Ă©troitement liĂ© au nazisme afin de crĂ©er un Ătat juif ». Ce qui nâĂ©tait quâun mensonge historique devient sous sa plume la pierre angulaire dâune rhĂ©torique nĂ©gationniste. Il sâappuie sur lâaccord Haavara de 1933, isolĂ© de tout contexte, pour Ă©tablir une continuitĂ© logique entre la politique hitlĂ©rienne et lâentreprise sioniste.
NĂ©anmoins, Garaudy teintera son antisionisme dâun antisĂ©mitisme beaucoup plus violent lorsquâil dĂ©crira ce quâil appelle le troisiĂšme mythe du XXe siĂšcle : « le mythe de lâHolocauste ». StĂ©phanie Courouble Share prĂ©cise que Garaudy affirme que « les Juifs ne peuvent pas prĂ©tendre avoir subi un gĂ©nocide, car lâextermination de tout un peuple nâa aucune rĂ©alitĂ© ». Il ne nie pas seulement lâexistence des chambres Ă gaz. Garaudy nie le fait mĂȘme que le projet nazi ait Ă©tĂ© une entreprise dâextermination systĂ©matique. Et derriĂšre ce dĂ©ni, il poursuit une dĂ©monstration politique : selon lui, « IsraĂ«l utilise politiquement ce mythe » et bĂ©nĂ©ficie dâun « groupe de pression israĂ©lo-sioniste » aux Ătats-Unis comme en France. Cette idĂ©e dâun pouvoir occulte, mondial, qui manipulerait la mĂ©moire pour justifier une politique coloniale en Palestine, irrigue tout lâouvrage. Enfin, le quatriĂšme « mythe » de Garaudy, celui de la fameuse formule « une terre sans peuple pour un peuple sans terre », permet au philosophe communiste dâattaquer frontalement lâexistence mĂȘme de lâĂtat dâIsraĂ«l. Garaudy y dĂ©crit un Ătat qui « se place au-dessus des lois, applique la terreur, une politique colonialiste et raciste », toujours selon le livre de StĂ©phanie Courouble Share.Â
Catho-négationnisme
Le retentissement est immĂ©diat. Dâautant que le livre de Garaudy circule dĂ©jĂ dans les milieux nĂ©ofascistes. Il est diffusĂ© par Samizdat, maisons dâĂ©dition historiquement liĂ©es Ă lâextrĂȘme droite. Il y Ă©crit que le « principe de puretĂ© ethnique empĂȘchant le mĂ©lange du sang juif avec le sang impur » est « devenu systĂ©matique dans lâĂtat dâIsraĂ«l dâaujourdâhui ». Le livre de Garaudy sort en juin 1996.
Ă la sortie du livre, lâabbĂ© Pierre tente de minimiser son implication. Il dĂ©clare quâil nâa fait que « survoler » le livre de Garaudy, et quâil souhaitait simplement « porter assistance Ă son ami ». Mais le mal est fait. Lâimage de lâicĂŽne spirituelle sâeffondre, remplacĂ©e par celle dâun antisĂ©mite, piĂ©gĂ© par des engagements quâil refuse de dĂ©savouer. Le scandale dĂ©passe la presse française. Elle marque ce que StĂ©phanie Courouble Share nomme « le dĂ©but dâune prise de conscience de lâentrisme du nĂ©gationnisme dans lâunivers religieux ».
StĂ©phanie Courouble Share explique que « lâouvrage de Garaudy rencontre un accueil des plus favorables dans les pays arabes », notamment dans les colonnes de la presse Ă©gyptienne et libanaise. Elle sâappuie sur les travaux de lâhistorien Goetz Nordbruch pour dĂ©montrer que cette diffusion active du livre participe dâune stratĂ©gie politique plus large, dans laquelle le nĂ©gationnisme devient un outil de propagande gĂ©opolitique. La RĂ©publique islamique dâIran, Ă©crit-elle, sâinvestit activement dans cette entreprise idĂ©ologique. Celle-ci atteint un point culminant en dĂ©cembre 2006 avec lâorganisation Ă TĂ©hĂ©ran dâune confĂ©rence internationale nĂ©gationniste, orchestrĂ©e par lâInstitut dâĂ©tudes politiques et internationales du ministĂšre iranien des Affaires Ă©trangĂšres.
Du 11 au 12 dĂ©cembre, 67 « chercheurs » Ă©trangers issus de 30 pays y participent, dans une mise en scĂšne mondiale de la contestation de lâhistoire. Les guillemets autour de « chercheurs » sont ceux de StĂ©phanie Courouble Share, qui souligne combien lâusage du mot sert Ă lĂ©gitimer des discours fondamentalement mensongers.
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