Les élus français, impuissants face à la haine de leurs électeurs ?

Les élus français, impuissants face à la haine de leurs électeurs ?


Par Oscar Tessonneau

Qu’ils soient maires, dĂ©putĂ©s ou Ă©lus locaux, les reprĂ©sentants de la nation française sont souvent exposĂ©s Ă  la haine et aux diffamations. Comment protĂ©ger ces figures publiques confrontĂ©es Ă  des violences numĂ©riques et physiques croissantes ?

On dit la RĂ©publique indivisible et protectrice. Mais dans l’espace public, les Ă©lus sont devenus des cibles, exposĂ©s Ă  une violence verbale qui dĂ©passe l’entendement. "La justice classe tout sans suite," tĂ©moignait Marie Cau, premiĂšre maire transgenre de France, samedi 18 janvier dans un article de CĂ©line Hautefeuille, journaliste Ă  Mediapart. ÉpuisĂ©e par des annĂ©es de harcĂšlement et d’indiffĂ©rence judiciaire, elle a jetĂ© l’éponge.

Sa dĂ©mission, survenue en janvier 2024, est un cri d’alarme : "La haine, la diffamation, les rumeurs circulent sans modĂ©ration." Le cas de Cau illustre une vĂ©ritĂ© plus large.

Dans son ouvrage Droit des collectivitĂ©s territoriales, Bertrand Faure, professeur de droit public Ă  l’UniversitĂ© de Nantes, Ă©crit que les maires et Ă©lus locaux, loin d’ĂȘtre protĂ©gĂ©s par leur statut, "sont jugĂ©s comme de simples particuliers." Cette absence de distinction, motivĂ©e par un principe d’égalitĂ© devant la loi, a des consĂ©quences graves.

Les rĂ©formes, comme celle de 1993, ont mĂȘme supprimĂ© le privilĂšge de juridiction qui, autrefois, leur offrait une certaine protection.

"Dans beaucoup de villages, plus personne ne veut ĂȘtre maire," indique Cau Ă  Mediapart. Elle dĂ©nonce un climat devenu insupportable pour de nombreux Ă©lus locaux.

Ce dĂ©sintĂ©rĂȘt pour les mandats municipaux n’est pas nouveau, mais il s’aggrave. Entre 2014 et 2020, l’Observatoire SMACL des risques territoriaux a relevĂ© une explosion des poursuites pĂ©nales contre les Ă©lus, particuliĂšrement pour des atteintes Ă  l’honneur comme la diffamation ou l’injure.

Avec une augmentation de 50 % des poursuites par rapport à la précédente mandature, le constat est clair : les élus sont des cibles privilégiées.

À Montpellier, Rhany Slimane, candidat aux municipales pour La France insoumise, a vĂ©cu une expĂ©rience tout aussi Ă©difiante. DĂšs l’annonce de sa candidature, les insultes ont affluĂ© sur les rĂ©seaux sociaux.

"Mon tĂ©lĂ©phone n’arrĂȘtait pas de vibrer. On me parlait d’entrer par effraction dans la RĂ©publique, de charia Ă  Montpellier," ajoute Slimane, qui a portĂ© plainte. Mais comme le souligne Hautefeuille dans Mediapart, ces dĂ©marches judiciaires, souvent inefficaces, renforcent le sentiment d’impunitĂ© des agresseurs.

La violence en ligne, si elle est particuliĂšrement visible, n’est qu’un aspect d’un problĂšme plus large. Faure rappelle que les Ă©lus doivent parfois rĂ©pondre personnellement de leurs actions en justice, sans soutien suffisant de l’État. "Le principe de la protection fonctionnelle existe, mais il reste limitĂ©," Ă©crit-il.

Sa dĂ©mission, survenue en janvier 2024, est un cri d’alarme : "La haine, la diffamation, les rumeurs circulent sans modĂ©ration." Le cas de Cau illustre une vĂ©ritĂ© plus large.

"Les maires et Ă©lus locaux, loin d’ĂȘtre protĂ©gĂ©s par leur statut, sont jugĂ©s comme de simples particuliers." – Bertrand Faure, dans Droit des collectivitĂ©s territoriales

L’erreur du « Sieur Lallemand »

Cette garantie, bien qu’institutionnalisĂ©e, reste parfois insuffisante face Ă  l’ampleur des attaques. Un arrĂȘt emblĂ©matique du Conseil d’État en 1932, connu sous le nom de « Sieur Lallemand », illustre les tensions qui entourent les diffamations subies par les Ă©lus.

À l’époque, le juge avait refusĂ© de considĂ©rer les frais d’une instance en diffamation intentĂ©e par un maire comme une dĂ©pense d’intĂ©rĂȘt local. Ce prĂ©cĂ©dent a longtemps empĂȘchĂ© la reconnaissance d’un droit automatique Ă  la protection fonctionnelle.

Ce n’est qu’avec les Ă©volutions lĂ©gislatives du dĂ©but des annĂ©es 2000 que cette protection a Ă©tĂ© Ă©largie, mĂȘme si elle demeure conditionnĂ©e Ă  la reconnaissance de l’intĂ©rĂȘt collectif des dĂ©marches judiciaires engagĂ©es.

Dans ce contexte, la haine se banalise. Faure rappelle que les Ă©lus locaux, bien qu’investis d’un mandat public, ne bĂ©nĂ©ficient d’aucune protection pĂ©nale spĂ©cifique. "Ils ne forment pas une catĂ©gorie distincte de justiciables," prĂ©cise-t-il, renforçant l’idĂ©e qu’ils sont abandonnĂ©s Ă  leur sort.

La question dĂ©passe le cadre individuel. Faure explique que cette recrudescence s’inscrit dans un contexte de dĂ©centralisation accrue.

"Le processus de dĂ©veloppement des infractions est la contrepartie directe du transfert de responsabilitĂ©s publiques," analyse-t-il. En clair, les maires et leurs adjoints, investis de nouvelles compĂ©tences, sont aussi les cibles privilĂ©giĂ©es de plaintes de la part de citoyens ou d’organisations, souvent amplifiĂ©es par l’exposition mĂ©diatique et numĂ©rique.

Face à cette réalité, une réponse existe pourtant : la « protection fonctionnelle ».

PrĂ©vue par la loi n° 2000‑647 du 10 juillet 2000 et codifiĂ©e dans le Code gĂ©nĂ©ral des collectivitĂ©s territoriales (CGCT), elle vise Ă  garantir aux Ă©lus une prise en charge des frais d’instance et une assistance juridique en cas d’agression ou de poursuites injustifiĂ©es liĂ©es Ă  l’exercice de leur mandat.

"Il s’agit de permettre aux membres des exĂ©cutifs locaux d’exercer pleinement leur mandat, en les protĂ©geant des agressions injustifiĂ©es," Ă©crit Faure.

Cependant, dans son manuel, le professeur de droit public met en garde contre une vision trop simpliste de la situation. "La protection fonctionnelle ne rĂšgle pas tout," Ă©crit-il. Elle repose sur l’initiative de la collectivitĂ© territoriale, qui doit dĂ©cider de l’octroi de cette protection au cas par cas. Cela peut donner lieu Ă  des situations ambiguĂ«s, oĂč des considĂ©rations politiques locales influencent les dĂ©cisions.

Entre 2014 et 2020, plus de 2 000 élus locaux ont été poursuivis

Dans certains cas, des Ă©lus se retrouvent contraints de financer eux-mĂȘmes leurs frais de justice, amplifiant leur isolement face aux attaques.

"La protection fonctionnelle de l’élu est plus favorable que celle du fonctionnaire," Ă©crit Bertrand Faure dans Droit des collectivitĂ©s territoriales. Elle couvre l’intĂ©gralitĂ© des frais engagĂ©s par l’élu et s’applique automatiquement, sans qu’une demande formelle soit nĂ©cessaire.

Mais cette apparente supĂ©rioritĂ© est nuancĂ©e par des critĂšres d’application stricts.

Pour les petites communes, ces limitations juridiques se doublent souvent de contraintes financiĂšres. La loi du 27 dĂ©cembre 2019 a introduit une obligation pour les communes de moins de 3 500 habitants de souscrire un contrat d’assurance pour couvrir les frais de protection fonctionnelle, notamment l’assistance judiciaire et psychologique.

"Cette charge contractuelle est compensĂ©e par l’État," Ă©crit Faure, une mesure destinĂ©e Ă  allĂ©ger les contraintes pesant sur les budgets locaux dĂ©jĂ  fragiles. Cependant, ces dispositions restent insuffisantes pour rĂ©pondre Ă  la montĂ©e des violences envers les Ă©lus.

Entre 2014 et 2020, plus de 2 000 Ă©lus locaux ont Ă©tĂ© poursuivis, avec un taux de condamnation de 60 %, selon l’Observatoire SMACL.

La multiplication des dĂ©lits d’atteinte Ă  l’honneur et des outrages souligne les limites d’un systĂšme qui repose sur des mĂ©canismes souvent inadaptĂ©s Ă  la rĂ©alitĂ© numĂ©rique et sociale.

La loi, malgré ses avancées, peine à protéger efficacement ces représentants de la République.

"Les élus, pourtant figures clés de la démocratie locale, se retrouvent souvent seuls face à des campagnes de haine," écrit Faure. Les témoignages abondent, mais les réponses tardent.

Dans une sociĂ©tĂ© de plus en plus exposĂ©e, il est temps que la France se dote d’un cadre rĂ©ellement protecteur, Ă  la hauteur des dĂ©fis que doivent relever ses Ă©lus.

 

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