Quâils soient maires, dĂ©putĂ©s ou Ă©lus locaux, les reprĂ©sentants de la nation française sont souvent exposĂ©s Ă la haine et aux diffamations. Comment protĂ©ger ces figures publiques confrontĂ©es Ă des violences numĂ©riques et physiques croissantes ?
On dit la RĂ©publique indivisible et protectrice. Mais dans lâespace public, les Ă©lus sont devenus des cibles, exposĂ©s Ă une violence verbale qui dĂ©passe lâentendement. "La justice classe tout sans suite," tĂ©moignait Marie Cau, premiĂšre maire transgenre de France, samedi 18 janvier dans un article de CĂ©line Hautefeuille, journaliste Ă Mediapart. ĂpuisĂ©e par des annĂ©es de harcĂšlement et dâindiffĂ©rence judiciaire, elle a jetĂ© lâĂ©ponge.
Sa dĂ©mission, survenue en janvier 2024, est un cri dâalarme : "La haine, la diffamation, les rumeurs circulent sans modĂ©ration." Le cas de Cau illustre une vĂ©ritĂ© plus large.
Dans son ouvrage Droit des collectivitĂ©s territoriales, Bertrand Faure, professeur de droit public Ă lâUniversitĂ© de Nantes, Ă©crit que les maires et Ă©lus locaux, loin dâĂȘtre protĂ©gĂ©s par leur statut, "sont jugĂ©s comme de simples particuliers." Cette absence de distinction, motivĂ©e par un principe dâĂ©galitĂ© devant la loi, a des consĂ©quences graves.
Les rĂ©formes, comme celle de 1993, ont mĂȘme supprimĂ© le privilĂšge de juridiction qui, autrefois, leur offrait une certaine protection.
"Dans beaucoup de villages, plus personne ne veut ĂȘtre maire," indique Cau Ă Mediapart. Elle dĂ©nonce un climat devenu insupportable pour de nombreux Ă©lus locaux.
Ce dĂ©sintĂ©rĂȘt pour les mandats municipaux nâest pas nouveau, mais il sâaggrave. Entre 2014 et 2020, lâObservatoire SMACL des risques territoriaux a relevĂ© une explosion des poursuites pĂ©nales contre les Ă©lus, particuliĂšrement pour des atteintes Ă lâhonneur comme la diffamation ou lâinjure.
Avec une augmentation de 50 % des poursuites par rapport à la précédente mandature, le constat est clair : les élus sont des cibles privilégiées.
Ă Montpellier, Rhany Slimane, candidat aux municipales pour La France insoumise, a vĂ©cu une expĂ©rience tout aussi Ă©difiante. DĂšs lâannonce de sa candidature, les insultes ont affluĂ© sur les rĂ©seaux sociaux.
"Mon tĂ©lĂ©phone nâarrĂȘtait pas de vibrer. On me parlait dâentrer par effraction dans la RĂ©publique, de charia Ă Montpellier," ajoute Slimane, qui a portĂ© plainte. Mais comme le souligne Hautefeuille dans Mediapart, ces dĂ©marches judiciaires, souvent inefficaces, renforcent le sentiment dâimpunitĂ© des agresseurs.
La violence en ligne, si elle est particuliĂšrement visible, nâest quâun aspect dâun problĂšme plus large. Faure rappelle que les Ă©lus doivent parfois rĂ©pondre personnellement de leurs actions en justice, sans soutien suffisant de lâĂtat. "Le principe de la protection fonctionnelle existe, mais il reste limitĂ©," Ă©crit-il.
Sa dĂ©mission, survenue en janvier 2024, est un cri dâalarme : "La haine, la diffamation, les rumeurs circulent sans modĂ©ration." Le cas de Cau illustre une vĂ©ritĂ© plus large.
"Les maires et Ă©lus locaux, loin dâĂȘtre protĂ©gĂ©s par leur statut, sont jugĂ©s comme de simples particuliers." â Bertrand Faure, dans Droit des collectivitĂ©s territoriales
Lâerreur du « Sieur Lallemand »
Cette garantie, bien quâinstitutionnalisĂ©e, reste parfois insuffisante face Ă lâampleur des attaques. Un arrĂȘt emblĂ©matique du Conseil dâĂtat en 1932, connu sous le nom de « Sieur Lallemand », illustre les tensions qui entourent les diffamations subies par les Ă©lus.
Ă lâĂ©poque, le juge avait refusĂ© de considĂ©rer les frais dâune instance en diffamation intentĂ©e par un maire comme une dĂ©pense dâintĂ©rĂȘt local. Ce prĂ©cĂ©dent a longtemps empĂȘchĂ© la reconnaissance dâun droit automatique Ă la protection fonctionnelle.
Ce nâest quâavec les Ă©volutions lĂ©gislatives du dĂ©but des annĂ©es 2000 que cette protection a Ă©tĂ© Ă©largie, mĂȘme si elle demeure conditionnĂ©e Ă la reconnaissance de lâintĂ©rĂȘt collectif des dĂ©marches judiciaires engagĂ©es.
Dans ce contexte, la haine se banalise. Faure rappelle que les Ă©lus locaux, bien quâinvestis dâun mandat public, ne bĂ©nĂ©ficient dâaucune protection pĂ©nale spĂ©cifique. "Ils ne forment pas une catĂ©gorie distincte de justiciables," prĂ©cise-t-il, renforçant lâidĂ©e quâils sont abandonnĂ©s Ă leur sort.
La question dĂ©passe le cadre individuel. Faure explique que cette recrudescence sâinscrit dans un contexte de dĂ©centralisation accrue.
"Le processus de dĂ©veloppement des infractions est la contrepartie directe du transfert de responsabilitĂ©s publiques," analyse-t-il. En clair, les maires et leurs adjoints, investis de nouvelles compĂ©tences, sont aussi les cibles privilĂ©giĂ©es de plaintes de la part de citoyens ou dâorganisations, souvent amplifiĂ©es par lâexposition mĂ©diatique et numĂ©rique.
Face à cette réalité, une réponse existe pourtant : la « protection fonctionnelle ».
PrĂ©vue par la loi n° 2000â647 du 10 juillet 2000 et codifiĂ©e dans le Code gĂ©nĂ©ral des collectivitĂ©s territoriales (CGCT), elle vise Ă garantir aux Ă©lus une prise en charge des frais dâinstance et une assistance juridique en cas dâagression ou de poursuites injustifiĂ©es liĂ©es Ă lâexercice de leur mandat.
"Il sâagit de permettre aux membres des exĂ©cutifs locaux dâexercer pleinement leur mandat, en les protĂ©geant des agressions injustifiĂ©es," Ă©crit Faure.
Cependant, dans son manuel, le professeur de droit public met en garde contre une vision trop simpliste de la situation. "La protection fonctionnelle ne rĂšgle pas tout," Ă©crit-il. Elle repose sur lâinitiative de la collectivitĂ© territoriale, qui doit dĂ©cider de lâoctroi de cette protection au cas par cas. Cela peut donner lieu Ă des situations ambiguĂ«s, oĂč des considĂ©rations politiques locales influencent les dĂ©cisions.
Entre 2014 et 2020, plus de 2 000 élus locaux ont été poursuivis
Dans certains cas, des Ă©lus se retrouvent contraints de financer eux-mĂȘmes leurs frais de justice, amplifiant leur isolement face aux attaques.
"La protection fonctionnelle de lâĂ©lu est plus favorable que celle du fonctionnaire," Ă©crit Bertrand Faure dans Droit des collectivitĂ©s territoriales. Elle couvre lâintĂ©gralitĂ© des frais engagĂ©s par lâĂ©lu et sâapplique automatiquement, sans quâune demande formelle soit nĂ©cessaire.
Mais cette apparente supĂ©rioritĂ© est nuancĂ©e par des critĂšres dâapplication stricts.
Pour les petites communes, ces limitations juridiques se doublent souvent de contraintes financiĂšres. La loi du 27 dĂ©cembre 2019 a introduit une obligation pour les communes de moins de 3 500 habitants de souscrire un contrat dâassurance pour couvrir les frais de protection fonctionnelle, notamment lâassistance judiciaire et psychologique.
"Cette charge contractuelle est compensĂ©e par lâĂtat," Ă©crit Faure, une mesure destinĂ©e Ă allĂ©ger les contraintes pesant sur les budgets locaux dĂ©jĂ fragiles. Cependant, ces dispositions restent insuffisantes pour rĂ©pondre Ă la montĂ©e des violences envers les Ă©lus.
Entre 2014 et 2020, plus de 2 000 Ă©lus locaux ont Ă©tĂ© poursuivis, avec un taux de condamnation de 60 %, selon lâObservatoire SMACL.
La multiplication des dĂ©lits dâatteinte Ă lâhonneur et des outrages souligne les limites dâun systĂšme qui repose sur des mĂ©canismes souvent inadaptĂ©s Ă la rĂ©alitĂ© numĂ©rique et sociale.
La loi, malgré ses avancées, peine à protéger efficacement ces représentants de la République.
"Les élus, pourtant figures clés de la démocratie locale, se retrouvent souvent seuls face à des campagnes de haine," écrit Faure. Les témoignages abondent, mais les réponses tardent.
Dans une sociĂ©tĂ© de plus en plus exposĂ©e, il est temps que la France se dote dâun cadre rĂ©ellement protecteur, Ă la hauteur des dĂ©fis que doivent relever ses Ă©lus.
Â
Pour lire l'article complet, cet article est réservé aux abonnés. Abonnez-vous ici pour y accéder.