Étudiants dĂ©placĂ©s : quand la loi Ă©loigne les plus prĂ©caires du Grand Paris

Étudiants dĂ©placĂ©s : quand la loi Ă©loigne les plus prĂ©caires du Grand Paris

L'un des deux développements dans la Rue de la Fontaine au Roi, 75011 Paris, France fournissant logement étudiant construit à cet effet, le logement social efficace


France

En Île-de-France, la crise du logement Ă©tudiant s’aggrave : loyers, raretĂ© et report vers la 1re couronne redessinent la carte. Politiques publiques marchĂ©s locaux et effets de chaĂźne en sont moteurs.

Oscar Tessonneau


26  Août 2025

Qu’est-ce que Les Parisiens attaquent le plus ? Les portefeuilles ou les capacitĂ©s physiques des Ă©tudiants ? Cette question n’a pas vraiment de rĂ©ponse. Depuis plusieurs annĂ©es, la jeunesse parisienne part vers la Seine-Saint-Denis. Dans un article du Monde, publiĂ© le 28 aoĂ»t 2025, VĂ©ronique Chocron et Soazig Le NevĂ© rapportent le tĂ©moignage de Laetitia Caron (PAP).

Elle Ă©crit que : « nous sommes dans le pic de la galĂšre pour les Ă©tudiants Ă  la recherche d’un logement ». Les boĂźtes mail d’agences de Drancy et du Blanc-Mesnil saturent de sollicitations. Paul Pereira souligne que : « Le Grand Paris devient concret en cette rentrĂ©e [
] Les prix parisiens font fuir les Ă©tudiants [
] Être Ă  vingt minutes de Paris, ce n’est pas dramatique ». L’onde de choc se lit dans la carte sociale : 44 % seulement des Ă©tudiants de l’acadĂ©mie de Paris vivent encore intra-muros (ils Ă©taient prĂšs de 50 % il y a vingt ans), 32 % se logent en petite couronne, 18 % en grande couronne, pour une population Ă©tudiante gonflĂ©e de 105 000 personnes entre 2001 et 2023 (+36 %). Cette translation n’est pas neutre.

Fanny Bugeja-Bloch prĂ©cise au Monde que : « plus leur origine sociale est Ă©levĂ©e, plus les Ă©tudiants vivent Ă  Paris ». En effet, 54 % des Ă©tudiants logĂ©s dans la capitale ont un parent cadre contre 28 % issus d’un parent ouvrier ou employĂ©. Territoire de report, la Seine-Saint-Denis est plus apprĂ©ciĂ©e. Salim BennaĂŻ note que : « c’est un marchĂ© de report pour les Ă©tudiants parisiens qui prend de plus en plus d’ampleur », avec des studios de 20 mÂČ Ă  600–650 € charges comprises Ă  Aubervilliers ou Saint-Denis, soit 100 Ă  200 € de moins qu’à Paris. Écrites loin de Paris, ces histoires individuelles sont au cƓur d’un systĂšme que la recherche a pris au sĂ©rieux.

François Rochon Ă©crit dans son essai Logement : critique d’une politique impossible que : « l’équilibre des systĂšmes de l’habitat est devenu complexe et fragile ». Il renvoie Ă  la comprĂ©hension des « effets de chaĂźne ». Au cƓur de cette bascule, les marchĂ©s locaux de l’habitat deviennent l’échelle d’intelligibilitĂ© : la 4e ConfĂ©rence internationale sur le logement (CILOG), organisĂ©e « sous les auspices de l’Association Internationale de Sociologie » et du ministĂšre de l’Équipement, a fait de « MobilitĂ©s rĂ©sidentielles et mutations urbaines » un atelier central. Éva LeliĂšvre et Claire LĂ©vy-Vroelant rappellent que c’est « une voie de recherche qu’aucune politique locale, voire nationale ne peut ignorer », tant relier mobilitĂ©s et structures d’offre Ă©claire les recompositions.

Prise d’assaut

Le systĂšme rĂ©agit par une chaĂźne. Les annonces sont prises d’assaut ; et l’on voit alors ce que diagnostique la littĂ©rature. À l’échelle d’une rentrĂ©e, l’extension de la 14 permet de tenir la promesse « vingt minutes de Paris » ; Ă  l’échelle d’un systĂšme, elle dĂ©porte la pression d’un marchĂ© central vers des marchĂ©s de report qui, Ă  leur tour, renchĂ©rissent et sĂ©lectionnent Ă  travers un phĂ©nomĂšne sociologique: la gentrification. 

 Le rĂ©sultat est lisible dans la hiĂ©rarchie sociale des logĂ©s. Les plus pauvres partent Ă  l’est dans des villes oĂč la demande Ă©tudiante augmente tous les ans. C’est dans les rĂ©sidences exiguĂ«s et les files d’attente interminables que la crise prend chair, une crise faite d’arbitrages impossibles entre Ă©tudes, travail et transports. VĂ©ronique Chocron et Soazig Le NevĂ© Ă©crivent que le Crous de CrĂ©teil, qui gĂšre 5 600 places, veut doubler son parc d’ici 2035. Mais la tension reste insupportable. À la rĂ©sidence Marie-Curie, une chambre Ă  450 € reçoit 53 demandes en moyenne, quand Ă  Paris le chiffre bondit Ă  371.

« Mon critĂšre principal, c’est les transports », dit Kord, un Ă©tudiant qui cherche d’abord un logement proche du mĂ©tro. Farid ajoute : « Pour des Ă©tudiants modestes comme moi, ça fait la diffĂ©rence d’habiter en petite couronne [
] 200 euros de moins et les courses sont bien moins chĂšres ». La massification des mobilitĂ©s Ă©tudiantes, note François Rochon dans Logement : critique d’une politique impossible, s’inscrit dans ce systĂšme que les chercheurs dĂ©crivaient dĂ©jĂ  au dĂ©but des annĂ©es 1990 : « l’équilibre des systĂšmes de l’habitat est devenu complexe et fragile », et l’action publique, contrainte, tend Ă  fabriquer un « duopole : marchĂ© privĂ© et secteur social », Ă©crit Rochon, reflet de l’éclatement entre une demande solvable et l’insolvabilitĂ© produite par la prĂ©caritĂ© sociale et les bas salaires.

Entre survie financiĂšre et abandon scolaire

La sociologue Pascale Dietrich-Ragon (Ined) confie au Monde que quitter le foyer parental reste un facteur de rĂ©ussite, mais au prix d’un danger Ă©conomique : « Ils se mettent Ă  travailler, puis Ă  travailler de plus en plus [
] Ils Ă©tudient donc de moins en moins et certains entament un parcours de sortie d’études ».

Adama en tĂ©moigne : « J’étais barman Ă  Bry-sur-Marne, Ă  une heure dix de transport [
] J’ai dĂ» redoubler ». Soamboala, Ă©tudiant en master Ă  Paris-I, raconte : « Je ne serai plus boursier Ă  la rentrĂ©e, j’ai dĂ©posĂ© mon CV dans des commerces, des supermarchĂ©s, mĂȘme des Ă©coles ». Ces voix dessinent la frontiĂšre invisible entre survie Ă©conomique et abandon scolaire. Rochon Ă©voque une rupture de la « tradition française de rĂ©duction des inĂ©galitĂ©s », autrefois soutenue par la mythologie des Trente Glorieuses. DĂ©sormais, Ă©crit-il, l’allongement des listes d’attente de logements sociaux montre que « le pouvoir solvabilisateur des aides personnelles ne s’avĂšre pas suffisant ».

 « En l’absence d’intervention extĂ©rieure, les marchĂ©s sont naturellement hiĂ©rarchisĂ©s et segmentĂ©s », Ă©crit Rochon. Les jeunes en haut de la hiĂ©rarchie sociale, notent Chocron et Le NevĂ©, restent intra-muros ; les autres glissent vers Aubervilliers, Montreuil ou Saint-Denis, territoires de report. Les acteurs locaux deviennent alors centraux, car, selon Rochon, « le rĂŽle des collectivitĂ©s locales est vouĂ© Ă  s’étendre » dans la gestion d’un marchĂ© devenu incertain, fragmentĂ©, financiarisĂ©. Entre les 53 demandes par chambre et les 2 heures de transport quotidien, la vie Ă©tudiante francilienne est l’incarnation concrĂšte de ce systĂšme dualisĂ© oĂč la politique nationale a cessĂ© de jouer son rĂŽle d’amortisseur. La crise du logement Ă©tudiant reflĂšte l’éclatement du systĂšme : entre un marchĂ© privĂ© inaccessible et un parc social saturĂ©, l’action publique Ă©choue Ă  rĂ©duire les inĂ©galitĂ©s, dĂ©plaçant les Ă©tudiants modestes vers des pĂ©riphĂ©ries contraignantes.

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