Des travailleurs aux handicaps invisibles redoutent la suppression de l’Allocation de Solidarité Spécifique (ASS)

Des travailleurs aux handicaps invisibles redoutent la suppression de l’Allocation de Solidarité Spécifique (ASS)

Annoncée par Gabriel Attal, la suppression de l’ASS entraînera une précarisation des quinquagénaires en situation de handicap invisible. Les départements craignent que ces profils, parfois éloignés de l’emploi, basculent vers le RSA.

Oscar Tessonneau 

La réinsertion difficile des profils atypiques

Parmi les politiques sociales françaises, l'Allocation de Solidarité Spécifique (ASS) représente une sécurité pour ceux qui, ayant épuisé leurs droits au chômage, se trouvent à l'orée d'une précarité financière. Cette aide, destinée aux Français(es) allant progressivement perdre leur allocation chômage, est particulièrement vitale pour celles et ceux dont le parcours professionnel est émaillé d'expériences hétérogènes et qui auront du mal à obtenir un stage de 15 heures adapté s'ils deviennent allocataires du RSA.

« J’ai longtemps travaillé dans un domaine où mes troubles autistiques me permettaient de développer des compétences très spécifiques. Après mon licenciement, j’ai pu obtenir l’ASS. Je vais basculer au RSA sous peu », redoute Céline*, 51 ans, une ancienne collaboratrice politique dans un département du Sud-Ouest. Elle devra trouver un stage de 15 heures adapté à son trouble autistique. « Le problème est que ce dernier ne se voit pas. Ainsi, les conseillers de France Travail surestiment constamment ma capacité à m’organiser ou à me situer dans l’espace. Or, si je refuse plus de deux contrats proposés par mon conseiller, je perdrai mon ASS et mon RSA », nous confie cette mère célibataire de deux enfants, ayant été un atout dans la collectivité où elle a travaillé avec un groupe socialiste pendant de nombreuses années. Contactée à deux reprises, après que nous avons recueilli le témoignage de Céline*, Laly Dugelay, fondatrice du cabinet Aspie at Work, n’a pas répondu à nos questions, en nous précisant qu'elle n'aimait pas parler au téléphone.

"Attal voit l'ASS comme un piège à inactivité" 

"Attal voit l'ASS comme un piège à inactivité" Suite au vote d'un nouveau décret en 2020, l'octroi de cette aide, sur une base semestrielle et renouvelable sous condition de maintien des critères d'éligibilité, instaure un cadre de suivi et d'encouragement à la réinsertion professionnelle. Elle exige cinq années d'activité salariée au cours des dix dernières années et des ressources mensuelles ne dépassant pas un seuil prédéfini. Cependant, les différents hauts fonctionnaires de Bercy, en charge de la conception des budgets, restent focalisés sur leurs objectifs d'économie. Ils perçoivent l'ASS comme un obstacle à la reprise d'activité, qualifiant cette aide de « piège à inactivité ». Cette perspective économique, défendue par Bercy, néglige les réalités complexes vécues par les bénéficiaires de l'ASS, illustrées par l'expérience de Julien*, 54 ans. Anciennement serveur, il a été contraint d'abandonner son emploi en raison de son syndrome d'Asperger et de son hypersensibilité. L'ASS est devenue pour lui une bouée de sauvetage, indispensable à sa survie entre deux emplois précaires.

« Sans cette aide, j’aurais été confronté à la rue à plusieurs reprises. Elle m'a offert une respiration nécessaire dans un parcours semé d’incertitudes, qui aurait été encore plus difficile si j’étais au RSA. Mes droits vont bientôt s’épuiser. Je ne sais absolument pas comment je vais faire pour trouver une activité hebdomadaire de 15 heures adaptée à mon handicap invisible », partage-t-il.

« Comment voulez-vous expliquer à un conseiller de France Travail un trouble que même les psychiatres ont du mal à définir ? »

Julien* souligne également le processus d'accès à l'ASS, encadré par des critères stricts du Code du travail et les directives de Pôle emploi, soulignant ainsi la rigueur du système et son importance pour sa stabilité personnelle. « La périodicité semestrielle de l'ASS me rappelle l'importance de rester actif dans ma recherche d'emploi, tout en respectant les plafonds de ressources, ainsi que ma fatigabilité dans des environnements bruyants. Comment expliquer à un conseiller de France Travail un trouble difficilement définissable, même pour les psychiatres ? Je ne sais absolument pas comment je vais trouver mes 15 heures de stage si je bascule au RSA », ajoute-t-il, mettant en lumière l'équilibre entre sécurité et motivation que l'ASS lui apporte.

Ainsi, au-delà des implications économiques, la suppression de l’ASS aura un impact profondément humain. Les expériences de Céline* et Julien* soulignent l'importance cruciale de dispositifs adaptés aux besoins spécifiques de chacun. Elles appellent à une approche plus nuancée des réformes sociales, où la rigueur budgétaire ne devrait pas masquer le besoin de soutien pour les parcours de vie vulnérables.

Ainsi, au-delà des implications économiques, la suppression de l’ASS aura un impact profondément humain. Les expériences de Céline* et Julien* soulignent l'importance cruciale de dispositifs adaptés aux besoins spécifiques de chacun. Elles appellent à une approche plus nuancée des réformes sociales, où la rigueur budgétaire ne devrait pas masquer le besoin de soutien pour les parcours de vie vulnérables.

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