France
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Le Fonds Avenir Bio a vu son budget divisé par deux, fragilisant les projets industriels. Producteurs, transformateurs et commerçants redoutent un recul majeur du bio. La structuration des filiÚres est menacée.
Oscar Tessonneau
Oscar Tessonneau
13 Juin 2025
Il ne sâagit plus seulement dâun choix budgĂ©taire. Câest un reniement politique, brutal, qui menace aujourdâhui tout lâĂ©quilibre fragile dâune filiĂšre encore en construction. En annonçant la baisse du Fonds Avenir Bio de 18 millions dâeuros en 2024 Ă 8,6 millions en 2025, le gouvernement a fragilisĂ© lâAgence Bio et les projets quâelle accompagnait, Ă©crit Pauline Moullot, journaliste au quotidien LibĂ©ration. Pourtant, rappellent Ambroise Marigot et Adrien Manchon dans leur essai Lâindustrie bio française, ce fonds permettait prĂ©cisĂ©ment de « structurer les filiĂšres autour des producteurs » en soutenant les petites infrastructures de stockage ou de premiĂšre transformation. Ă EscaudĆuvres, dans le Nord, SĂ©bastien Lemoine, de la Fabrique Ă sucres, se heurte Ă ce mur budgĂ©taire. Il pilote une microsucrerie 100 % bio et artisanale. Son ambition : transformer 450 hectares de betteraves en 2 500 tonnes de sucre brut blond bio, un produit inexistant Ă ce jour. Il Ă©crit : « On a brevetĂ© un process qui consomme 50 % dâĂ©nergie en moins quâune sucrerie classique, on a le permis de construire, le terrain, il ne nous manque que le financement ». Leur projet devait bĂ©nĂ©ficier dâune aide de 500 000 euros du Fonds Avenir Bio sur un budget total de 14 millions. « Câest le petit maillon qui permet de boucler la chaĂźne », souligne-t-il. Mais ce nâest pas un cas isolĂ©. Pauline Moullot rapporte que pour une structure engagĂ©e dans le commerce Ă©quitable, les outils de triage et de stockage sont essentiels : « Sans ces outils de triage et de stockage, la filiĂšre bio a du mal Ă Ă©merger », dĂ©plore une responsable. Dans ce contexte, Ă©crit Pauline Moullot, la demande de 800 000 euros au Fonds Avenir Bio reste aujourdâhui sans rĂ©ponse. Le paradoxe est cruel. Alors que le programme Ambition Bio 2022 avait pour ambition, rappellent Ambroise Marigot et Adrien Manchon, de mobiliser « 1,1 milliard dâeuros sur la pĂ©riode 2018-2022 » et de porter les surfaces bio Ă 15 % de la SAU (Surface agricole utilisĂ©e) française, les industries de transformation, « trou dans la raquette de la filiĂšre », restent sous-dotĂ©es. Les auteurs notent que lâAgence Bio « possĂšde une bonne connaissance des acteurs et des enjeux » et que ses crĂ©dits ne devraient surtout pas ĂȘtre touchĂ©s.
« Wishful thinking ».
Pourtant, le recul est bien lĂ . Ă la Fabrique Ă sucres, SĂ©bastien Lemoine sâindigne : « Ăa me rĂ©volte, car le bio est un outil de la transition agricole. On est la seule agriculture rĂ©siliente, qui protĂšge les sols et lâeau, et on nous coupe les fonds ». Il rappelle que leur projet permet de produire de la betterave sans nĂ©onicotinoĂŻdes et quâ« il y a une demande : on est en contact avec 180 acheteurs intĂ©ressĂ©s ». Ainsi, la rĂ©duction du Fonds Avenir Bio met aujourdâhui en pĂ©ril une agriculture plus vertueuse. Les qualitĂ©s de ces exploitations rĂ©sident dans leurs capacitĂ©s Ă ne pas trop endommager la biodiversité . Dans Lâindustrie bio française, Ambroise Marigot et Adrien Manchon insistent : « Nous pensons quâil est indispensable dâorienter ces aides vers les industries qui constituent le futur de nos filiĂšres alimentaires, et en premier lieu les industries du bio ». Les auteurs rappellent que la France, malgrĂ© la deuxiĂšme surface agricole utile bio dâEurope, importe encore de grandes quantitĂ©s de produits transformĂ©s. Le raisonnement officiel, consistant Ă croire que « dĂ©velopper la production agricole bio suffira Ă rĂ©soudre notre faiblesse industrielle », leur semble relever de « lâincantation et du wishful thinking ». LâAgence Bio, jusquâici « trĂšs impliquĂ©e dans la structuration des filiĂšres bio », selon Ambroise Marigot et Adrien Manchon, se retrouve affaiblie au moment oĂč le bio connaĂźt une reprise fragile. Pauline Moullot le souligne : « Il y a des externalitĂ©s positives pour la biodiversitĂ©, la qualitĂ© de lâeau, qui risquent de sâeffondrer en mĂȘme temps que le Fonds Avenir Bio va sâarrĂȘter ». Les dĂ©cisions budgĂ©taires rĂ©centes risquent donc de compromettre les avancĂ©es obtenues depuis le lancement du programme Ambition Bio 2022. Dans Lâindustrie bio française, Ambroise Marigot et Adrien Manchon Ă©crivent que ce secteur dâactivitĂ© manquant de financements Ă©tait en plein dĂ©veloppement : « face Ă une telle croissance du marchĂ©, les outils industriels nĂ©cessitent des investissements consĂ©quents ». En 2016, le chiffre dâaffaires des transformateurs bio atteignait 3,5 milliards dâeuros, en croissance de plus de 10 % par an. Pourtant, la capacitĂ© des PME Ă structurer ce secteur reste faible.
ProblÚme éthique
Jean-Guillaume Isenbart souligne lâimportance de cette structuration : « Si on veut encore avoir des Ă©leveurs laitiers bio en France dans dix ans, il faut que leur travail soit reconnu et mieux valorisĂ© ». Leur modĂšle permet en effet de renverser la chaĂźne de valeur : « Quand vous achetez un yaourt industriel, 10 % du prix revient Ă la ferme. Nous, ce sont les deux tiers », Ă©crit-il. Le dĂ©fi est Ă©galement idĂ©ologique. Ambroise Marigot et Adrien Manchon observent que pour de nombreuses PME bio, « le recours Ă des outils classiques de financement nâest pas acceptable, car cette logique ne correspondrait pas selon eux Ă lâimage de leur activitĂ© ». Ils notent le dĂ©veloppement de canaux alternatifs, tels que la finance solidaire ou le fonds DĂ© Bio de Biocoop. Ces outils, jugĂ©s plus cohĂ©rents avec les valeurs du bio, permettent dâĂ©viter le recours Ă des financements issus de lâagriculture intensive. Jean-Guillaume Isenbart pousse cette logique plus loin. Il prĂ©cise aux journalistes de LibĂ©ration que leur innovation intĂšgre Ă©galement des fontaines Ă yaourt qui permettent « dâĂ©conomiser 90 % de plastique », participant ainsi Ă une approche systĂ©mique de la transition alimentaire. Mais pour que ces initiatives se dĂ©veloppent Ă lâĂ©chelle industrielle, les moyens actuels sont insuffisants. Ambroise Marigot et Adrien Manchon rappellent que les industries du bio « seraient en outre sous-capitalisĂ©es comparativement aux autres industries alimentaires » : par exemple, pour les produits cĂ©rĂ©aliers, le ratio capitaux propres sur chiffre dâaffaires est de 24 % pour les industriels certifiĂ©s bio contre 41 % pour les non-bio. Câest ce dĂ©sĂ©quilibre que le Fonds Avenir Bio permettait de compenser, jusquâĂ ce que les coupes budgĂ©taires viennent fragiliser cet Ă©cosystĂšme. Face Ă une croissance annuelle du marchĂ© de lâordre de 400 millions dâeuros serait un minimum.
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