Surnommée la "marraine" du Panier, Christiane Melgrani, l'une des marionnettistes les plus rouées de cette affaire, a tenté d'échapper aux flashes hier.
Photo D.T.
France
Au coeur de la corniche Kennedy, le Carlton Palace rĂ©sume la puissance des rĂ©seaux financiers obscurs qui entourent Christiane Melgrani. Ancienne professeure de maths, elle est devenue la « marraine du Panier » et a bĂąti sa lĂ©gende grĂące Ă des fraudes Ă la taxe carbone, des extorsions et des sociĂ©tĂ©s-Ă©crans dans une affaire dâargent et de sang.
Oscar Tessonneau
30 Septembre 2025
Et si cette affaire nâĂ©tait quâun Ă©pisode banal dâune longue sĂ©rie policiĂšre, oĂč les faits divers sâenchaĂźnent. Comme souvent, les acteurs semblent changer de rĂŽle selon les Ă©pisodes. Dans Le Nouvel Obs, le journaliste Vincent Monnier Ă©crit que lâune des scĂšnes cultes du feuilleton se dĂ©roule en mai 2010. Le Carlton Palace et lâhĂŽtel FrĂ©gier sont rachetĂ©s pour 26 millions dâeuros, via les parts dâune sociĂ©tĂ© luxembourgeoise. NĂ©anmoins, « seuls 11 millions furent versĂ©s ». Lâargent vient de comptes en Lettonie, aux Bahamas, Ă Hongkong.
Pour comprendre comment le deal est financĂ©, il faut lĂ©gĂšrement remonter le fil de lâhistoire. Dans un essai intitulĂ© Dâargent et de sang, Fabrice Arfi Ă©crit quâĂ Marseille, « tout le monde lâappelle âla Marseillaiseâ⊠On la dit aussi âla marraine du Panierâ ». Il dĂ©taille la mĂ©tamorphose : « professeure de mathĂ©matiques », puis « ingĂ©nieure tĂ©lĂ©matique », enfin patronne de bar, au Lido cours Jean-Ballard.
Dans un cabinet de juges, raconte Fabrice Arfi, la compagne dâalors, Angelina Porcaro, lĂąche : « Tu vas prendre un coup de chaise », puis, vers les magistrats : « et il sait en plus que je suis capable de le faire ». Les mots cognent, câest la grammaire du milieu ; au tĂ©lĂ©phone, Ă©crit Fabrice Arfi, Melgrani rĂ©pĂšte « jâmâen bats les couilles », « bande dâenculĂ©s », « pute vierge », et un associĂ© « confie quâil vaut mieux ĂȘtre son ami (âŠ) elle est puissante et influente ».
Du cĂŽtĂ© des bilans, Fabrice Arfi Ă©crit que son talent est dâarchitecturer « vite et bien de complexes structures de sociĂ©tĂ©s, en France ou Ă lâĂ©tranger », de « trouver des hommes de paille et dĂ©marcher les banques ». Elle est au cĆur de lâaffaire du Carlton, oĂč lâargent a coulĂ© par les tuyaux de la TVA carbone. Le sang, lui, affleure dans les mĂ©thodes : lâextorsion, les menaces, la pression. Dans la ville, la police connaĂźt les prĂ©noms.
Good Business
Fabrice Arfi Ă©crit que Christiane Melgrani « a ses entrĂ©es Ă Marseille ou Ă Monaco », et que « derriĂšre le comptoir du Lido » on aligne les deals comme des verres. Fabrice Arfi Ă©crit que Melgrani, approchĂ©e « Ă peu prĂšs Ă la mĂȘme pĂ©riode » par Samy Souied et Robert Belhassen, « les appelle tous âles feujsâ ».
La premiĂšre affaire de TVA sâappelle Beluga : « Lâescroquerie globale Beluga a occasionnĂ© un prĂ©judice de TVA de 15 millions dâeuros. Jâai dĂ» gagner 1 ou 2 millions dâeuros⊠», se souvient « la Vieille ». Puis vient le COâ, la passion subite pour lâĂ©cologie financiĂšre : Fabrice Arfi Ă©crit que des juges rĂ©sumeront lâarnaque ainsi, « la marge commerciale est alors gracieusement fournie par lâĂtat ».
Les chiffres claquent comme une gifle : 385 087 850 euros de TVA Ă©ludĂ©e pour le seul volet Melgrani grĂące Ă des reventes, et des transferts financiers via un ensemble de comptes offshores. Le mode dâemploi tient en trois temps. Fabrice Arfi Ă©crit : « B achĂšte hors taxe Ă A⊠B revend Ă C avec TVA⊠B ne reverse pas⊠C se fait rembourser⊠».
Ainsi, le rĂ©seau marseillais se dĂ©ploie. Ils Ă©parpillent les sommes dâargent plus ou moins taxĂ©es en Suisse, en Lettonie, en Monaco, au Liechtenstein, au Luxembourg et Ă Guernesey. « Câest en 3e rideau, en 2e rideau, en 4e rideau⊠», se rassure un complice, rapporte Fabrice Arfi, quand la douane se met Ă frapper aux portes.
Pendant ce temps, Ă©crit le journaliste de Mediapart, sa compagne, Angelina Porcaro, file Ă Naples monter des sociĂ©tĂ©s de nĂ©goce de quotas. Un associĂ© parlant dâun reprĂ©sentant de la Camorra lors de lâouverture des comptes : tout le monde veut sa part du gĂąteau.
Ces pactes illĂ©gaux sont punis par la loi. Vincent Monnier, oĂč la mise en examen 2023 plaque le rĂ©el : lâargent versĂ©, 350 000 âŹ, « issus de lâescroquerie », et la logique implacable : pas de tribunal quand lâorigine des fonds est radioactive.
Câest ainsi que lâaffaire dâargent se fait affaire de sang : pas au sens des balles perdues, mais de cette coercition qui marque les corps, de cette violence latente qui sâĂ©teint.
Un palace au cĆur dâune double histoire
Ă lâĂ©tĂ© 2008, Fabrice Arfi Ă©crit que Souied, rattrapĂ© par une perquisition au 9 juin et une dette de 430 000 euros, « prend la dĂ©cision de plier bagage » pour Herzliya, en IsraĂ«l. Il installe le QG COâ et recrute Marco Mouly, « commercial » aux promesses grasses. Fabrice Arfi Ă©crit quâil peut offrir 3 millions dâeuros, « le double si lâintĂ©ressĂ© doit partir en prison » â, et Arnaud Mimran, le « financier ».
De salon en salon, le carrousel tourne avec des crédits de TVA. Ce vernis mondain qui colle à la peau des escroqueries modernes. Reste la pierre, lourde, muette, et pourtant parlante.
Le Carlton Palace, 1 750 mÂČ sur la corniche Kennedy, est devenu, Ă©crit Vincent Monnier, le symbole dâune « double histoire : celle dâune fraude fiscale qui a marquĂ© la France par son ampleur, et celle des dĂ©rives immobiliĂšres marseillaises ».
La boucle judiciaire se resserre. Vincent Monnier Ă©crit que la vente sĂ©lectionnera « lâacquĂ©reur sur la base de critĂšres multiples : prix, conditions suspensives, projet, etc. », et « que la mise en concurrence se fera par courtage dâenchĂšres en ligne ».
La façade est lĂ©zardĂ©e, mais on lit encore dans ses creux : derriĂšre le COâ, des « rideaux ». DerriĂšre le palace, des lots rĂ©tifs. DerriĂšre les millions, des comptes offshore tenus Ă lâĂ©tranger.
Lâargent trace la voie, le sang en dessine les marges â celui qui ne coule pas sur le trottoir, mais sâentend dans les voix basses, sâinscrit dans les menaces, se chiffre dans les dettes.
Des quotas aux marbres, lâĂ©popĂ©e Melgrani relie Herzliya et la corniche : carrousel de TVA, Ă©crans multipliĂ©s, rĂ©seaux napolitains. Dans ces milieux aussi affairistes que mafieux, on parle de comptes « en 3e rideau ».
Le Carlton, laissĂ© Ă lâabandon, raconte cette mĂ©canique : lâĂtat paie la marge, la ville paie le prix des corrompus.
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