Avec « Notre vision pour la France », Raphael Glucksmann remet les valeurs travail sur la place publique

Avec « Notre vision pour la France », Raphael Glucksmann remet les valeurs travail sur la place publique


Olivier Faure et Raphaël Glucksmann étaient les deux étoiles de19 Campus de La Rochelle

Politique

Le 23 juin Ă  Paris, RaphaĂ«l Glucksmann a prĂ©sentĂ© un programme de cent pages nĂ© de neuf mois de travail, combinant propositions sociales, Ă©cologiques et europĂ©ennes. Il y dĂ©fend une nouvelle articulation entre dignitĂ© au travail et dĂ©mocratie, qu’il veut ancrer dans la loi. Cette stratĂ©gie vise Ă  affiner un discours Ă©conomique ferme, entre activisme moral et projets de gouvernement.

Oscar Tessonneau

24 Juin 2025

Qu’il semble loin le temps oĂč des dirigeants politiques se faisaient connaĂźtre en abordant la vie des entreprises. Hormis Patrick PouyannĂ©, qui devient progressivement l’égĂ©rie des hebdomadaires pro-business, peu d’élus ont construit leur image avec ou contre les entreprises. De l’autre cĂŽtĂ© du marchĂ© politique, un homme s’attaque aux multinationales, toujours depuis un point d’appui : celui du travail comme socle de la dignitĂ© humaine et de la dĂ©mocratie. Il se nomme RaphaĂ«l Glucksmann. Connu sur les rĂ©seaux sociaux pour ses prises de position contre Shein ou d’autres multinationales, le fondateur de Place Publique a dĂ©voilĂ© « Notre vision pour la France ». Ce texte de cent pages, jaune comme l’emblĂšme de son parti, est le fruit de neuf mois de dĂ©bats avec 3 000 militants. PrĂ©sente lors de la remise du rapport aux militants, dans le dixiĂšme arrondissement de Paris, la journaliste du Monde Sandrine Cassini Ă©crit que « la nouveautĂ© dans son socle idĂ©ologique est l’irruption d’un discours sur le travail, qu’il articule Ă  la dĂ©mocratie ». Lui-mĂȘme, note Cassini, martĂšle cette formule : « Il y a un lien consubstantiel entre la dĂ©mocratie et le travail ». Et lorsqu’il propose une hausse du SMIC Ă  1 600 euros nets en 2029, ce n’est pas une lubie conjoncturelle, mais l’ébauche d’un pacte civique. « La promesse d’une vie meilleure faite aux classes moyennes n’est plus tenue », ajoute-t-il. Cela fait plusieurs annĂ©es que Glucksmann veut relier la vie des entreprises avec celle de la citĂ©. Dans son essai Lettre Ă  ma gĂ©nĂ©ration, il Ă©crit que « rien d’autre que la loi ne pourra les faire changer ». Il cite des grandes entreprises mondialisĂ©es qui recourent Ă  l’esclavage ouĂŻghour pour leurs chaĂźnes de production. Loin d’un simple plaidoyer humaniste, ce livre trace un axe Ă©conomique structurant son programme : celui d’un encadrement juridique strict de l’entreprise, pour remettre les crĂ©ateurs d’emplois au cƓur de la citĂ©. Il y dĂ©crit le cas de H&M, cible d’un boycott en Chine aprĂšs avoir renoncĂ© Ă  ses fournisseurs exploiteurs. « Sans loi, tout est rĂ©versible », poursuit-il. Dans ce combat, le travail n’est pas seulement un objet d’exploitation, mais un levier de souverainetĂ© dĂ©mocratique. C’est pourquoi, explique-t-il, il a choisi de siĂ©ger non Ă  la sous-commission des droits humains, mais Ă  la commission du commerce international (INTA).

Des multinationales produisant rien

À travers cette rĂ©forme, Glucksmann entend obliger les entreprises Ă  rĂ©pondre de l’ensemble de leur chaĂźne de valeur, et pas seulement de leurs sous-traitants directs. « Aujourd’hui, les multinationales ne produisent souvent rien elles-mĂȘmes », souligne-t-il, avant de cibler Zara, dont les chemises sont cousues par des esclaves ouĂŻghours via la sociĂ©tĂ© Huafu. Ce systĂšme d’impunitĂ©, aurait transformĂ© la Chine en un atelier gĂ©ant. Enrichi par les actionnaires des grands groupes, le systĂšme commercial chinois, basĂ© sur une balance favorisant les exportations, aurait fragilisĂ© les Ă©tats europĂ©ens. Les activitĂ©s Ă©conomiques de ces entreprises sont longuement traitĂ©es dans le texte programmatique. Le document, Ă©crit Cassini, « entend incarner une alternative pro-europĂ©enne, Ă©cologique et dĂ©mocratique Ă  gauche ». Cette orientation s’incarne dans la revendication d’un nouveau contrat social, avec une indexation du point d’indice des fonctionnaires sur l’inflation, et une revalorisation symbolique de l’effort collectif. Il s’adresse aux salariĂ©s prĂ©caires, aux agents publics oubliĂ©s, aux classes moyennes usĂ©es. Son pari n’est pas l’incantation, mais l’articulation rigoureuse entre institutions et mouvements sociaux. « Les campagnes publiques restent flottantes si elles ne se traduisent pas en projets lĂ©gislatifs », Ă©crit Glucksmann dans Lettre Ă  ma gĂ©nĂ©ration. Ce discours n’a rien d’abstrait : il prend la forme d’un devoir de vigilance ambitieux, que Glucksmann veut transposer Ă  l’échelle europĂ©enne dans des textes sur la fast fashion et d’autres sujets. Le 10 mars 2021, malgrĂ© les attaques du MEDEF europĂ©en, le Parlement vote pour une version forte de son texte sur les OuĂŻghours. Mais l’euphorie est de courte durĂ©e. Les procĂ©dures europĂ©ennes sont longues, sinueuses, opaques. La Commission doit dĂ©sormais produire une directive, elle-mĂȘme traduite dans vingt-sept lĂ©gislations. C’est ce qu’il va vivre de plein fouet. Le 10 novembre 2020, il reçoit un appel du chercheur allemand Adrian Zenz : « J’ai dĂ©couvert et analysĂ© des documents officiels chinois qui prouvent que 570 000 OuĂŻghours sont rĂ©duits en esclavage dans les champs de coton du Xinjiang ».

Vers une régulation des chaßnes de production

Glucksmann et son Ă©quipe plongent dans les donnĂ©es, tentent de construire une stratĂ©gie, mais l’information est classĂ©e confidentielle. Il contacte son groupe, les S&D, puis les Verts et les libĂ©raux de Renew. Tous s’alignent. Il est dĂ©signĂ© pour rĂ©diger le premier jet d’une rĂ©solution europĂ©enne demandant des sanctions contre les responsables chinois et le bannissement des produits issus de l’esclavage. Le texte passe, mais vidĂ© de sa substance. « Le texte ne touchera pas aux intĂ©rĂȘts des multinationales », Ă©crit-il, amer. IsolĂ©, il constate que les alliĂ©s d’hier – Engin Eroglu et Reinhard BĂŒtikofer – ne peuvent rien faire. « La gauche radicale est aux abonnĂ©s absents. L’affaire est pliĂ©e », rĂ©sume-t-il. C’est dans cette impasse politique que se rejoue sa conception de l’emploi et des entreprises. Le « projet Glucksmann », que Cassini dĂ©crit comme « un acte I », ne tient pas seulement Ă  des propositions programmatiques comme l’indexation du point d’indice ou la revalorisation du SMIC. Il est nourri par l’expĂ©rience de cette confrontation frontale avec les structures rĂ©elles du pouvoir Ă©conomique. Il comprend que seule la loi, adossĂ©e Ă  un rapport de force citoyen, peut contraindre les multinationales Ă  se plier aux exigences du travail digne. « L’impunitĂ© Ă©rigĂ©e en norme a transformĂ© la Chine en atelier du monde, formidablement enrichi les actionnaires des grands groupes et contribuĂ© Ă  dĂ©sindustrialiser l’Europe », Ă©crit-il encore. En inscrivant dans son programme l’idĂ©e d’un contrat social repensĂ©, Glucksmann tente de traduire cette bataille en projet national. LĂ  oĂč d’autres parlent de transition Ă©cologique, lui y associe le devoir de vigilance, le statut du travail, les chaĂźnes de valeur. La dĂ©mocratie commence dans l’entreprise, rĂ©pĂšte-t-il, et se protĂšge par la loi. Glucksmann porte l’intuition que sans rĂ©gulation des chaĂźnes de production, aucun contrat social n’est tenable, aucune gauche n’est crĂ©dible, et aucune dĂ©mocratie n’est durable.

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