Abdallah Senoussi : l’homme ayant indirectement favorisĂ© l’incarcĂ©ration de Nicolas Sarkozy

Abdallah Senoussi : l’homme ayant indirectement favorisĂ© l’incarcĂ©ration de Nicolas Sarkozy

Carla Bruni and Nicolas Sarkozy outside Nicolas Sarkozy's residence ahead of his departure to La Sante Prison for incarceration on a five-year prison sentence for criminal conspiracy. Paris, France, October 21, 2025. Nicolas Sarkozy, who has faced a flurry of legal woes since losing re-election in 2012, is to be jailed on October 21, 2025, over a scheme to acquire Libyan funding for his successful 2007 presidential run, becoming the first former head of a European Union country to serve time behind bars. The former French right-wing leader has appealed the verdict and denounced an "injustice".

France

Ancien prĂ©sident Ă©crouĂ© pour association de malfaiteurs, Nicolas Sarkozy entame sa peine Ă  Paris. L’exĂ©cution provisoire s’impose, au vu des faits reprochĂ©s Ă  deux de ses plus proches collaborateurs : Claude GuĂ©ant et Brice Hortefeux.


Oscar Tessonneau


21 octobre 2025


C’est une premiĂšre dans l’histoire de la CinquiĂšme RĂ©publique. Un ancien chef de l’État passe le porche d’une prison, celle de la SantĂ©. Il emporte avec lui l’ombre d’un chef des services secrets libyens condamnĂ© Ă  perpĂ©tuitĂ© pour terrorisme. Le journaliste Renaud Lecadre prĂ©cise dans LibĂ©ration que « Nicolas Sarkozy [
] a Ă©tĂ© Ă©crouĂ© ce mardi matin Ă  la prison de la SantĂ© Ă  Paris ». Sa peine de cinq ans est « assortie d’une exĂ©cution provisoire » malgrĂ© l’appel, et constitue une troisiĂšme condamnation pĂ©nale aprĂšs les affaires Bygmalion et Bismuth.

La dĂ©cision s’est fondĂ©e sur la « gravitĂ© exceptionnelle des faits ». La prĂ©sidente Nathalie Gavarino parle d’un « dĂ©lit contre la Nation, l’État et la RĂ©publique ». Renaud Lecadre indique que le jugement « Ă©pingle ainsi Claude GuĂ©ant et Brice Hortefeux ». Le ministre aurait nĂ©gociĂ© dĂšs 2005 Ă  Tripoli « un pacte secret avec Abdallah Senoussi », alors « recherchĂ© » et « condamnĂ© [
] Ă  la rĂ©clusion criminelle Ă  perpĂ©tuitĂ© » pour l’attentat du DC-10 d’UTA.

Le journaliste Fabrice Arfi prĂ©cise dans son livre Sarkozy-Khadafi : avec les compliments du guide que « pour la France, le premier responsable de l’attentat se nomme Abdallah Senoussi ». Une cour spĂ©ciale a jugĂ© en 1999 qu’il avait « sciemment facilitĂ© » la prĂ©paration du crime. Des documents de la DGSE soulignent qu’« en 1989, Abdallah Senoussi commandite et organise l’attentat contre le DC-10 d’UTA ».

Dans son livre, Fabrice Arfi rappelle qu’il y a « cĂŽtĂ© jardin » la tente bĂ©douine, les promesses de « nuclĂ©aire et d’armes », « cĂŽtĂ© cour » les tractations invisibles et, en fond, l’impensable « sur le dos des familles » du DC-10. En mars 2009, un rapport « confidentiel dĂ©fense » du renseignement intĂ©rieur note l’effort de Senoussi pour « s’attirer les bonnes grĂąces des autoritĂ©s françaises » « dans l’espoir de faire disparaĂźtre sa condamnation », jusqu’à « s’impliquer » dans la libĂ©ration des infirmiĂšres bulgares au cƓur d’un hĂŽpital de Benghazi.

C’est dans ce clair-obscur que se loge la gravitĂ© de l’affaire, pour laquelle Nicolas Sarkozy fut condamnĂ©. Fabrice Arfi relate qu’à l’hĂŽtel Corinthia, le 6 octobre 2005, « Nicolas Sarkozy a indiquĂ© qu’une fois prĂ©sident, il s’engageait Ă  l’amnistier ». Cette promesse fut rapportĂ©e par Ziad Takieddine, pendant que circulaient « les valises [
] Ă  l’automne 2006 et en janvier 2007 », « un total de 5 millions d’euros ». Renaud Lecadre prĂ©cise que si la corruption n’a pas Ă©tĂ© retenue faute de « preuves bancaires », l’« association de malfaiteurs » l’a Ă©tĂ© pour avoir « laissĂ© ses proches collaborateurs » solliciter Tripoli.

Un faisceau de preuves

Fabrice Arfi indique que les prises de contact se font de façon trĂšs organisĂ©e. L’avocate libyenne Azza Maghur contacte son confrĂšre Thierry Herzog « moins d’un mois » aprĂšs la visite du ministre Sarkozy. Les deux avocats Ă©tudient les recours de Senoussi grĂące Ă  Perben 2, le 6 juillet 2006. Puis Herzog reçoit un mandat de Senoussi pour « dĂ©fendre ses intĂ©rĂȘts ».

Et quand Claude GuĂ©ant ironise en 2007, Fabrice Arfi Ă©crit qu’il « Ă©vacue » en dĂ©clarant : « Nous n’avons pas demandĂ© Ă  M. Kadhafi que son beau-frĂšre vienne se constituer prisonnier
 ». Des disques durs, eux, racontent des dĂ©marches pour « sortir Senoussi de la nasse judiciaire ». Ce qu’on montre ici n’est pas seulement un casier judiciaire, c’est un choix politique de Nicolas Sarkozy et de ses proches pour financer une campagne Ă©lectorale.

Renaud Lecadre prĂ©cise que la peine contre l’ancien prĂ©sident vise « l’ordre public », parce que le faisceau relie un prĂ©sident-candidat Ă  un pilier d’un rĂ©gime accusĂ© de terrorisme international. Fabrice Arfi Ă©crit la cartographie des « antichambres », des fax, des mandats et des valises. La gravitĂ© se lit lĂ , au point de suture : quand la RĂ©publique dĂ©couvre qu’un lien politique a pu croiser le parcours d’un homme dĂ©signĂ© par la justice française comme commanditaire d’un attentat meurtrier.

Fabrice Arfi prĂ©cise que « plusieurs documents restĂ©s dans le disque dur de Ziad Takieddine prouvent qu’entre 2005 et 2009 [
] l’équipe de Nicolas Sarkozy tente bel et bien de sortir Senoussi de la nasse judiciaire ». Ce faisceau de preuves, composĂ© de fax, de mandats et de notes confidentielles, dessine une mĂ©canique souterraine oĂč les avocats du futur prĂ©sident se retrouvent Ă  dialoguer avec des reprĂ©sentants d’un rĂ©gime condamnĂ© pour terrorisme.

Une stratégie humanitaire de façade

L’enchaĂźnement est presque romanesque. Un avocat de Nicolas Sarkozy est mandatĂ© par un homme recherchĂ©. Arfi rapporte qu’Herzog dira plus tard : « AprĂšs 2007, je ne pouvais pas m’occuper de cette affaire. Comme je suis devenu l’avocat du prĂ©sident de la RĂ©publique, je ne pouvais pas m’occuper d’affaires entre États. » Pourtant, les dĂ©marches se poursuivent.

Par l’intermĂ©diaire de Philippe Dehapiot, un proche d’Herzog, les travaux se structurent. Une note datĂ©e du 25 juin 2008, rĂ©digĂ©e par Ziad Takieddine, expose une stratĂ©gie simple. L’homme d’affaires propose de casser la condamnation de Senoussi « sans qu’il ait Ă  revenir personnellement en France », en s’appuyant sur « une jurisprudence rĂ©cente de la Cour de cassation ». Les vices de procĂ©dure deviennent la porte de sortie idĂ©ale.

Arfi cite Dehapiot, qui confirme avoir Ă©tĂ© « saisi de cette affaire par une personne physique privĂ©e », sans en rĂ©vĂ©ler l’identitĂ©. La suite prend des allures d’opĂ©ration d’État : Fabrice Arfi Ă©crit qu’une « note confidentielle – RĂ©union CG – Samedi 16 mai 2009 » Ă©voque une rencontre Ă  l’ÉlysĂ©e entre Takieddine, Herzog et « CG » – Claude GuĂ©ant.

Les conclusions de la note sont explicites. Elles visent Ă  « demander au procureur gĂ©nĂ©ral de mettre le mandat d’arrĂȘt de cĂŽtĂ©, vu l’état de santĂ© de Senoussi et la nĂ©cessitĂ© de se faire soigner d’urgence en France ». Une stratĂ©gie humanitaire de façade, dissimulant un dessein politique : blanchir l’homme des services secrets libyens, celui-lĂ  mĂȘme que la DGSE dĂ©signait comme « le commanditaire de l’attentat contre le DC-10 d’UTA ».

Dans l’ombre, Takieddine rĂ©dige, transmet, codifie. Les traces de ces Ă©changes ne disent pas si la dĂ©marche a abouti, mais elles rĂ©vĂšlent une vĂ©ritĂ© dĂ©rangeante : l’appareil prĂ©sidentiel a cherchĂ© Ă  effacer la dette d’un État criminel. DerriĂšre les fax, un pacte de corruption est scellĂ©.

 

 

 

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