« La guerre, c’est la ruine des peuples »

« La guerre, c’est la ruine des peuples »

Ce mercredi 31 juillet 2024 marque le 110ème anniversaire de la mort de Jean Jaurès, une figure emblématique et indéfectible du socialisme français. Assassiné par le nationaliste Raoul Vilain à la veille de la Première Guerre mondiale, le fondateur de L’Humanité laisse derrière lui un héritage immense.

Oscar Tessonneau

Une vie de combat

Nous sommes le 31 juillet 1914. Raoul Villain, un nationaliste fanatique qui voyait en Jaurès un obstacle à la guerre contre les Allemands qu’il jugeait inévitable et nécessaire, tue Jean Jaurès. À travers cet acte, il espérait briser la résistance à la guerre et accélérer l’engagement de la France dans le conflit mondial. « J’ai tué un traître, » déclara Villain lors de son arrestation, illustrant l’abîme idéologique qui séparait les bellicistes des partisans de la paix des bellicistes vivant une période difficile. 1914 est une année tragique pour la famille socialiste. Elle est plongée dans le deuil. En un mois, trois de ses militants sont décédés : Eugène Fournière, ouvrier bijoutier devenu professeur à Polytechnique, un exemple pour la classe ouvrière ; Francis de Pressensé, venu au socialisme après l’affaire Dreyfus ; et Émile Landrin, vétéran de la Commune et doyen du groupe socialiste à l’Hôtel de Ville. Le 9 février, de l’avenue Gambetta au cimetière de Bagnolet, le Paris ouvrier s’est massé pour rendre un ultime hommage à Landrin. Jaurès est présent, aux côtés des deux autres membres du triumvirat dirigeant la SFIO : Marcel Sembat, Jules Guesde.

Triumvirat

Dans le cortège funèbre, malgré le froid hivernal qui semblait attirer la vieillesse sur eux, ces hommes étaient des lions en sommeil, prêts à rugir à la moindre occasion. Jaurès, enveloppé dans son manteau épais, la gorge enroulée d’une écharpe noire, discutait de littérature et de philosophie avec Marcel Sembat. « Jaurès m’a parlé de Molière, des Femmes savantes, de Philaminte sous l’emprise du faux savant Trissotin, » rapportera quelques années plus tard Sembat, témoignant de la vivacité d’esprit de Jaurès, toujours en éveil, même dans les moments de deuil.  En ce début de 1914, ce philosophe-normalien est déjà une figure incontournable de la scène politique française. Il le restera au fil des années, comme nous l'indique le député de la deuxième circonscription du Calvados Arthur Delaporte: « L’héritage de Jaurès, pour le socialiste que je suis, est immense. Son œuvre et sa pensée irriguent le mouvement ouvrier depuis plus d’un siècle et démontrent qu’à force de constance, de défense acharnée des classes populaires, des idées de justice peuvent se transformer en conquêtes sociales. » illustre Delaporte. En effet, Jaurès a très tôt embrassé la cause socialiste, défendant les droits des travailleurs et la nécessité d’une répartition plus équitable des richesses. Il a été élu député à plusieurs reprises, pour défendre des valeurs auxquelles Delaporte reste attaché: "Jaurès, qui incarne le républicanisme social, a été l’un de ceux qui ont fait du parlement la caisse de résonance du droit à la retraite pour les agriculteurs ou, plus largement, en 1905-1906, du droit à la retraite à 60 ans, même s’il a fallu attendre 1910 pour que la première loi sur les retraites soit votée avec un âge fixé à 65 ans. »

« L’héritage de Jaurès, pour le socialiste que je suis, est immense. Son œuvre et sa pensée irriguent le mouvement ouvrier depuis plus d’un siècle et démontrent qu’à force de constance, de défense acharnée des classes populaires, des idées de justice peuvent se transformer en conquêtes sociales. » Arthur Delaporte, député de la deuxième circonscription du Calvados.

 

"Ne lui demandez pas de programme, elle n’en a pas"

Dans cette première quinzaine de juillet 1914, l'énergie de Jaurès est principalement consacrée à la discussion du budget de l’Assemblée Nationale et des réformes fiscales. Le vote en faveur d’un impôt sur le revenu, que le Nouveau Front Populaire a érigé comme une priorité absolue lors de la dernière campagne législative, représente une avancée significative pour les socialistes et les radicaux, bien que ce soit une demi-victoire, marquée par de nombreux compromis. Le contexte politique reste tendu, avec des forces conservatrices et nationalistes cherchant à freiner les avancées sociales et fiscales nécessaires pour une véritable justice sociale. Jaurès, cependant, reste optimiste. Une rencontre à Berne avec les socialistes allemands et les résultats prometteurs des législatives renforcent sa conviction que la paix et la justice sociale sont à portée de main, malgré la peur d’une guerre contre les Allemands. Au début du mois de juillet 1914, la guerre semblait encore improbable pour beaucoup. Mais les tensions montent rapidement. À la Chambre, les discussions semblent presque triviales en comparaison des événements à venir : changement de couleur des uniformes militaires, création d'une agence d'émigration. Pourtant, sous cette apparente normalité, la machine de guerre se met en marche. L'attentat de Sarajevo du 28 juin a été un catalyseur, mais la réaction politique a été lente, comme si personne ne voulait croire à l'inévitable. La bourgeoisie libérale, incarnée par des figures comme Raymond Poincaré rappelant fortement certains marconistes, semble paralysée par une conception médiocre de la politique. Attachée à ses privilèges et son inertie, elle s'oppose farouchement aux réformes fiscales et sociales nécessaires, comme pouvait le faire Bruno Le Maire en avril lorsqu’il demandait aux députés de La Nupes des « idées pour économiser de l’argent ». "Ne lui demandez pas de programme, elle n’en a pas," écrit Jaurès dans L'Humanité. Pour Arthur Delaporte, ces propos montre que Jaurès était le combattant infatigable de la lutte contre les privilèges de l’argent et pour l’égalité. " Avec les radicaux, il fait du combat juste pour l’impôt sur le revenu une réalité en 1914, après plus de 20 ans de bataille parlementaire. Avec l’obstination de ceux qui sont guidés par la force de leurs convictions, Jaurès reste donc pour les socialistes une figure majeure. » témoigne le député du Calvados. A travers ces engagements, Jaurès dénonce ainsi l'absence de vision et de projet de cette classe dirigeante. Cette critique acerbe reflète la frustration de Jaurès face à une bourgeoisie qui préfère combattre des réformes comme l'impôt sur le revenu plutôt que de s'atteler aux véritables défis sociaux et économiques.

Le développement des coopératives

En contraste, Jaurès et ses partisans œuvrent sans relâche pour l'émancipation des classes populaires, développant des organisations de solidarité et de soutien mutuel. Les coopératives et les mutuelles, qui fleurissent dans tout le pays, incarnent cet esprit de solidarité et de progrès social, mis en lumière dans des villes comme Rochefort. Depuis plusieurs années, Jaurès observe avec satisfaction le développement des coopératives et des mutuelles qui jouent un rôle crucial dans l'émancipation et le bien-être des classes populaires. En Charente-Inférieure, il salue des avancées significatives : une union des sociétés de secours mutuels et de prévoyance fondée dès 1904, une caisse de secours des sapeurs-pompiers en 1905, une mutuelle maternelle en 1908 organisant le congé maternité, et une pharmacie mutualiste en 1912. Ces initiatives, consécutives au rassemblement du mouvement ouvrier dans des villes comme Rochefort, montrent la vitalité et la solidarité entre les ouvriers travaillant dans les usines de la ville. "Groupez-vous autour du parti socialiste, (…) allez dans les coopératives, allez dans les syndicats, allez dans les groupes du parti, c’est là seulement, Camarades, que vous trouverez les puissances d’organisation et d’enthousiasme," clame Jaurès lors d'un meeting à Rochefort, illustrant sa pédagogie de l'action collective. Il voit dans ces coopératives et mutuelles "des laboratoires d’expérimentation sociale", plaidant avec ardeur pour leur développement et leur rôle dans la lutte contre les intermédiaires et la spéculation sur les produits alimentaires.

Un bouquet de fleurs déposé le Mercredi 31 Juillet par le sénateur et rédacteur en chef de L'Humanité Fabien Geay

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