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champ pétrolifÚre avec unités de pompe
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Un article rĂ©cemment publiĂ© dans la Revue Nature lie le rĂ©chauffement climatique aux activitĂ©s pĂ©troliĂšres dâindustriels Ă©mettant dâimportantes quantitĂ©s de COâ. Quelques centaines dâentreprises, baptisĂ©es « carbon majors », ont pesĂ© de tout leur poids pour que le monde reste accrochĂ© aux fossiles, au prix dâun rĂ©chauffement dĂ©jĂ chiffrĂ© Ă +1,3 °C.
Oscar Tessonneau
7 Septembre 2025
Comme pourraient le laisser entendre certains complotistes, le rĂ©chauffement climatique ne tombe pas du ciel. Un ensemble dâĂ©tudes permet aujourdâhui de quantifier lâimpact de certaines activitĂ©s Ă©conomiques sur cette Ă©volution. Le 10 septembre, la journaliste de LibĂ©ration Julie Renson Miquel passe au crible 213 vagues de chaleur : « Les Ă©tudes dâattribution classiques se focalisent sur des Ă©vĂ©nements isolĂ©s, mais notre approche permet de rassembler davantage dâinformations pour en dĂ©gager une perspective plus globale », Ă©crit Julie Renson Miquel. Elle inscrit les chiffres sur la ligne du temps : +1,4 °C en moyenne sur 2000-2009, +1,7 °C sur 2010-2019, +2,2 °C sur 2020-2023, pendant que les dĂ©cĂšs liĂ©s aux canicules sâempilent et que lâAccord de Paris ne parvient pas Ă inflĂ©chir les Ă©missions.
 Il y aurait ainsi une bascule juridique et scientifique : « Ă©tablissant un lien de causalitĂ© direct », Ă©crit Julie Renson Miquel, entre les Ă©missions des 180 plus grands producteurs dâhydrocarbures et de ciment et chacune des vagues scrutĂ©es. « Tous les principaux Ă©metteurs de carbone, mĂȘme les plus petits, ont contribuĂ© de maniĂšre substantielle Ă la survenue des vagues de chaleur », assĂšnent les auteurs de la revue Nature aprĂšs avoir consolidĂ© les flux de COâ et de CHâ dans la base carbonmajors.org pour aboutir Ă un constat simple. Environ 57 % des Ă©missions anthropiques depuis 1850 tiennent Ă ce club restreint de « mĂ©ga-Ă©metteurs ». Le concret sâinvite jusquâaux degrĂ©s : « TotalEnergies est le 17á” producteur dâĂ©nergies fossiles ou de ciment en termes de contribution au changement climatique global. En 2023, sur le 1,30 degrĂ© dâaugmentation de la tempĂ©rature moyenne de la planĂšte, 0,009 degrĂ© est liĂ© Ă TotalEnergies. (âŠ) 50 vagues de chaleur qui auraient Ă©tĂ© quasiment impossibles sans changement climatique deviennent possibles avec la seule contribution de TotalEnergies », prĂ©cise Ă LibĂ©ration Yann Quilcaille, climatologue Ă lâUniversitĂ© de Zurich.
Ă cet empilement de bilans, le journaliste JĂ©rĂŽme Le Boursicot Ă©voque dans son enquĂȘte nommĂ©e AprĂšs le pĂ©trole la profondeur longue des consĂ©quences politiques : « La civilisation thermo-industrielle est pieds et poings liĂ©s face au pĂ©trole », Ă©crit-il Cette dĂ©pendance technique fabrique une dĂ©pendance politique ; elle nourrit des guerres, des pĂ©nuries, des soulĂšvements, des bascules Ă©lectorales quâil met en sĂ©rie Ă travers divers Ă©vĂ©nements politiques.
Des guerres de la ressource
Lâextraction et la combustion des hydrocarbures par un petit nombre dâacteurs concentrent lâessentiel et rendent « possibles » des vagues de chaleur hier statistiquement improbables. Dans AprĂšs le pĂ©trole, Le Boursicot Ă©crit : « ne rien faire mĂšnerait des populations vers de grandes frustrations et engendrerait une instabilitĂ© politique accrue ». Il rappelle que le Brexit, les gilets jaunes ou lâessor de lâextrĂȘme droite portent aussi la trace dâune crise Ă©nergĂ©tique continentale. Le parallĂšle nâest pas mĂ©canique, mais il Ă©claire un fait : lâĂ©nergie est un ferment de lâhistoire. Les volcans de 536 ou de 1816 ont suffi Ă faire basculer des sociĂ©tĂ©s entiĂšres, note lâauteur. « Câest le climat qui fait dâune crise une catastrophe », avance lâhistorien Geoffrey Parker citĂ© dans lâouvrage.
 De la famine en Syrie aggravĂ©e par lâeffondrement pĂ©trolier aux millions de dĂ©placĂ©s en Europe, des famines monstrueuses du XIXá” siĂšcle aux Ă©lites contemporaines qui construisent des bunkers, chaque Ă©pisode illustre que lâinstabilitĂ© climatique et Ă©nergĂ©tique se traduit en rĂ©volutions, en guerres, en migrations. « Les compagnies pĂ©trogaziĂšres et cimentiĂšres ne sont pas de simples contributeurs abstraits au changement climatique : elles sont responsables de souffrances humaines, de pertes pour les Ă©cosystĂšmes et de dommages Ă©conomiques dans le monde entier », analyse Julie Renson Miquel en citant Davide Faranda.
La journaliste Ă©voque lâimpact des actions industrielles quatorze entreprises : Aramco, Gazprom, ExxonMobil, Chevron, CNPC, Shell, BP, et autres. Elles pĂšsent autant que les 166 restants. Et quand la scĂšne industrialo-Ă©conomique sâĂ©claire, lâarriĂšre-scĂšne gĂ©opolitique demeure inflammable : « La production dĂ©clinera irrĂ©mĂ©diablement, des guerres dâaccaparement de la ressource auront peut-ĂȘtre frappĂ© bien des pays », Ă©crit JĂ©rĂŽme Le Boursicot, avant dâenfoncer ce clou logistique : « Les conflits dans les pays producteurs peuvent freiner, voire empĂȘcher, notre approvisionnement Ă©nergĂ©tique ».Â
Il prĂ©cise que ce cycle alimente le cercle vicieux oĂč la raretĂ© perçue nourrit la spĂ©culation, lâinstabilitĂ© et une nouvelle fringale fossile. La chaĂźne de causalitĂ© est presque devenue cartographiable. Des hydrocarbures sont extraits et vendus par quelques-uns vers des molĂ©cules de COâ accumulĂ©es par milliards de tonnes. Ces accumulations favorisent des canicules devenues plus frĂ©quentes, plus intenses, plus meurtriĂšres, jusquâĂ faire du thermomĂštre un inventaire des puissances et de leurs choix. « Un quart des 213 Ă©pisodes auraient Ă©tĂ© âquasiment impossiblesâ sans changement climatique », Ă©crit Julie Renson Miquel, pendant que lâĂ©tude Ă©tablit des fourchettes â 16 Ă 53 vagues imputables entreprise par entreprise.
Une dépendance mondiale aux fossiles
LâĂ©chelle mondiale se referme sur une simple rĂšgle physique. Plus de pĂ©trole brĂ»lĂ©, plus de COâ, plus dâeffet de serre, plus de records battus, plus de vies bousculĂ©es par des conflits politiques. Julie Renson Miquel rapporte lâaccusation frontale de Friederike Otto : « Elles ont trompĂ© le public sur les dangers de leurs produits et fait pression sur les gouvernements pour maintenir la dĂ©pendance mondiale aux fossiles ». Enfin, la journaliste de LibĂ©ration rappelle que le siĂšcle pourrait sâachever sur +3 °C si rien nâest fait. Elle insiste longuement sur lâordre de grandeur : « 57 % des Ă©missions anthropiques depuis 1850 tiennent Ă ces 180 majors ». Yann Quilcaille rappelle Ă©galement que « nous devons cesser au plus tĂŽt de produire des Ă©nergies fossiles », car la transition est non seulement possible mais urgente. Le Boursicot avertit de son cĂŽtĂ© contre la tentation dâun « basculement dans la dictature Ă©cologique » si les dĂ©mocraties Ă©chouent Ă concilier libertĂ©s et sobriĂ©tĂ©. Et Christophe Bonneuil, historien des sciences, anticipe que « seul le volontarisme politique, aiguillonnĂ© par une insurrection des sociĂ©tĂ©s civiles, peut permettre dâĂ©viter le pire ». Entre la causalitĂ© mesurĂ©e et les leçons de lâhistoire, lâimage qui Ă©merge est celle dâun monde oĂč les majors, en retardant sciemment la transition, ne fabriquent pas seulement des degrĂ©s supplĂ©mentaires, mais une instabilitĂ© politique et sociale qui pourrait, demain, Ă©branler la valeur mĂȘme de la vie humaine.
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