à l'occasion de la Journée des droits de la femme, les associations, les syndicats et les différents mouvements ont démontré qu'ils rappellent les droits des femmes et les inégalités entre les hommes et les femmes. Le mouvement de "serviteurs de voitures" (sage femme), qui rassemble les sages-femmes, se joint également à la manifestation et dénonce leurs conditions de travail. 8 mars 2021, à Strasbourg, dans le nord-est de la France. Photo de Nicolas Roses/ABACAPRESS.COM
Une Ă©tude de lâInsee montre que depuis 2020, la France a vu ses Ă©carts sociaux sâaccentuer. LâarrĂȘt des aides, la prĂ©caritĂ© croissante et des rĂ©formes fiscales inĂ©quitables ont touchĂ© les mĂ©nages modestes, laissant les riches prospĂ©rer.
Oscar Tessonneau
Ils ont choisi. Froidement, cyniquement, comme on distribue les cartes dâun jeu truquĂ©. Le machiavĂ©lisme des ministres français a, comme souvent, commencĂ© par des Ă©loges dithyrambiques pour les travailleurs de premiĂšre ligne. Quâils soient salariĂ©s dâune clinique, dâune usine ou dâun entrepĂŽt, ces derniers ont longuement Ă©tĂ© fĂ©licitĂ©s par le gouvernement français. Or, pour crĂ©er une fiscalitĂ© plus adaptĂ©e aux entreprises ayant des centaines de salariĂ©s payant si mal certains dâentre eux, quand beaucoup de TPE ou de micro-entreprises sont aussi dirigĂ©es par des personnes touchant des aides sociales pour boucler leurs fins de mois, le gouvernement français a rĂ©duit certaines aides. Le chĂšque Ă©nergie ou lâindemnitĂ© inflation, qui avaient limitĂ© lâimpact de lâinflation, ont Ă©tĂ© supprimĂ©s dâun trait, en pleine crise Ă©conomique et sociale.
Le 21 novembre 2024, le journaliste Mathias ThĂ©pot Ă©crit dans un article pour Mediapart : âLâarrĂȘt brutal de ces mesures a entraĂźnĂ© une baisse de 2,7 % du niveau de vie des 10 % les plus pauvres.â En effet, depuis 2023, les Français les plus pauvres auraient en moyenne perdu 290 euros. Mais ce qui fait grincer des dents, câest quâau mĂȘme moment, Mathias ThĂ©pot Ă©crit que les mĂ©nages les plus riches gagnaient en moyenne 280 euros grĂące Ă la suppression de la taxe dâhabitation (CVAE). Une forme dâarrogance sociale, oĂč un inversement des hiĂ©rarchies fixĂ©es par Robin des Bois, qui serait devenu Robin des mĂ©tropoles oĂč vivent les Français ayant les meilleurs salaires : donner dâune main et reprendre de lâautre, mais toujours aux mĂȘmes.
Les donnĂ©es de lâInsee montrent une augmentation de 0,6 point du taux de pauvretĂ© monĂ©taire en 2023, atteignant 15,4 %. Ă lâĂ©chelle europĂ©enne, cette hausse est unique. La France, pourtant vantĂ©e pour son modĂšle social, est dĂ©sormais le seul pays de lâUnion Ă enregistrer une telle dĂ©gradation entre 2015 et 2023. Thomas Piketty et Gabriel Zucman, dans leurs travaux, avaient mis en lumiĂšre une vĂ©ritĂ© dĂ©rangeante : âLes 1 % les plus riches captent une part croissante des revenus du patrimoine, jusquâĂ atteindre 30 % aujourdâhui.â Cette concentration massive de la richesse dans une infime partie de la population nâest pas quâune statistique ; câest le signe dâune redistribution sociofiscale de plus en plus inefficace, voire inexistante. Pendant ce temps, les riches prospĂšrent. ThĂ©pot note que cette diffĂ©rence sâexplique par la taille et la valeur des logements : âLes mĂ©nages aisĂ©s, occupant des rĂ©sidences plus grandes, ont tirĂ© un bĂ©nĂ©fice disproportionnĂ© de cette mesure.â Le contraste est saisissant et impitoyable.
La spirale des inégalités
Dans leurs travaux, Piketty et Zucman insistent sur lâimportance des transferts sociaux dans la limitation des Ă©carts, mais force est de constater que ceux-ci ont Ă©tĂ© insuffisants ou mal orientĂ©s. âLes baisses de revenus dĂ©pendent directement des marges de manĆuvre budgĂ©taires,â notent les deux auteurs. Or, pour un quart des mĂ©nages, ces marges sont inexistantes. Sans Ă©pargne et sans filet de sĂ©curitĂ©, ces foyers se sont retrouvĂ©s Ă accumuler des dettes tandis que les plus riches, eux, Ă©pargnaient davantage.
Cette dynamique a Ă©tĂ© renforcĂ©e par des processus de sĂ©grĂ©gation territoriale. Comme lâĂ©crivaient Anne Lambert et Joanie Cayouette-RembliĂšre dans leur essai  L'explosion des inĂ©galitĂ©s Classes, genre et gĂ©nĂ©rations face Ă la crise sanitaire, 30 % des mĂ©nages les plus riches vivent Ă Paris ou dans les Hauts-de-Seine, des zones oĂč la valorisation des patrimoines immobiliers et financiers creuse encore davantage les Ă©carts. Lambert et Cayouette-RembliĂšre Ă©voquent une vĂ©ritable âspirale des inĂ©galitĂ©s,â oĂč les revenus et les patrimoines des mĂ©nages aisĂ©s sâaccroissent grĂące Ă des mĂ©canismes de marchĂ© et dâachats dâactions rapportant de lâargent sur des pĂ©riodes longues, tandis que les mĂ©nages modestes sont enfermĂ©s dans une dynamique de dĂ©classement.
Parmi ces Français ayant peu dâĂ©pargne, on peut citer les jeunes et les femmes, dĂ©jĂ en situation prĂ©caire, qui ont Ă©tĂ© particuliĂšrement exposĂ©s. La crise sanitaire et ses effets Ă©conomiques ont accentuĂ© des inĂ©galitĂ©s structurelles. Selon les donnĂ©es de Lambert et Cayouette-RembliĂšre, les mĂšres de familles monoparentales ont vu leurs revenus chuter, alors mĂȘme quâelles devaient assumer un surcroĂźt de travail domestique et parental.
Le Covid des pauvres
Les premiers confinements de 2020, prĂ©sentĂ©s comme des mesures de protection sanitaire universelles, ont en rĂ©alitĂ© amplifiĂ© les inĂ©galitĂ©s. Anne Lambert et Joanie Cayouette-RembliĂšre, dans leur essai Lâexplosion des inĂ©galitĂ©s, soulignent : âLors du premier confinement, le taux dâemploi des 18-64 ans a chutĂ© de 70 % Ă 49 %.â La pandĂ©mie a donc agi comme un accĂ©lĂ©rateur de fractures, mais ce sont les politiques publiques qui les ont pĂ©rennisĂ©es.
Les donnĂ©es montrent que les 18-24 ans, loin dâĂȘtre Ă©pargnĂ©s par la crise, ont subi de plein fouet ses consĂ©quences sociales et Ă©conomiques. âLes jeunes ont Ă©tĂ© les plus affectĂ©s par la perte dâemploi et les baisses de revenus, dans un contexte oĂč leur accĂšs Ă des statuts dâemploi protecteurs est limitĂ©,â Ă©crivent Anne Lambert et Joanie Cayouette-RembliĂšre dans Lâexplosion des inĂ©galitĂ©s. La double fragilitĂ© des jeunes â absence dâĂ©pargne et prĂ©caritĂ© de lâemploi â les a prĂ©cipitĂ©s dans une spirale dâappauvrissement.
Pour les femmes, le confinement a Ă©galement marquĂ© un recul des acquis sociaux et une accentuation des inĂ©galitĂ©s de genre. Dans les foyers, âla part du travail domestique et parental sâest radicalement accrue,â notent les chercheuses. Les hommes et les femmes, cohabitant de façon quasi permanente sans intermĂ©diaire extĂ©rieur, ont vu les rĂŽles traditionnels se rĂ©installer de maniĂšre insidieuse.
Mais au-delĂ des chiffres, cette crise rĂ©vĂšle une vĂ©ritĂ© plus dĂ©rangeante : notre modĂšle social est en crise profonde. Construit dans lâaprĂšs-guerre pour rĂ©duire les inĂ©galitĂ©s, il a permis des avancĂ©es majeures grĂące Ă des mĂ©canismes de redistribution sociofiscale et des protections universelles. Or, comme lâĂ©crivent Lambert et Cayouette-RembliĂšre, ce modĂšle sâest vu grignoter par la multiplication dâemplois prĂ©caires, oĂč les salaires des Français travaillant pour des grands groupes ne leur permettaient plus de cotiser assez pour leurs retraites tout en gardant un salaire digne, au vu du manque dâĂ©volutions salariales auxquelles sont soumis de nombreux Français, notamment dans le secteur privĂ©.
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