400 milliards consacrés annuellement retraites : un chiffre que des cotisants en situation de handicap souhaitent baisser
« 400 milliards dâeuros, soit lâĂ©quivalent de lâensemble des dĂ©penses de lâĂtat, sont allouĂ©s aux retraites chaque annĂ©e. » â BĂ©atrice Mathieu, LâExpress
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Ce midi, le premier rapport de la « mission flash » sur la situation financiÚre et les perspectives du systÚme de retraites a été rendu public et remis à François Bayrou. Le poids budgétaire de nos retraites pÚse sur une nouvelle génération de personnes en situation de handicap, qui doivent affronter la violence psychologique du monde du travail.
Une anomalie. Une exception française. Un gouffre financier. La retraite en France est tout cela Ă la fois. « 400 milliards dâeuros, soit lâĂ©quivalent de lâensemble des dĂ©penses de lâĂtat, sont allouĂ©s aux retraites chaque annĂ©e », Ă©crit BĂ©atrice Mathieu dans LâExpress du 20 fĂ©vrier. La somme donne le vertige. Au fil des annĂ©es, la France est devenue un pays oĂč la dĂ©pense sociale Ă©crase toute autre forme dâinvestissement. Cette somme reprĂ©sente « 13,4 % du PIB, un niveau presque deux fois plus Ă©levĂ© que la moyenne de lâOCDE », poursuit BĂ©atrice Mathieu. En comparaison, lâAllemagne dĂ©pense trois points de moins, avec une dĂ©mographie pourtant comparable. Alors pourquoi la France est-elle dans cette situation ? Le systĂšme de retraite français repose sur une architecture complexe, hĂ©ritĂ©e des grandes conquĂȘtes sociales du XXe siĂšcle. « La multiplicitĂ© des rĂ©gimes, la diversitĂ© et la complexitĂ© des rĂšgles quâils appliquent, encore accrues par la rĂ©forme de 2003, exigent un effort dâinformation important », Ă©crivent Michel Borgetto et Robert Lafore dans leur livre Droit de la sĂ©curitĂ© sociale. Ils rappellent que la France compte « environ 25 rĂ©gimes de base » : « Le rĂ©gime gĂ©nĂ©ral sert environ 46 % des prestations, les rĂ©gimes spĂ©ciaux 39 %, le rĂ©gime agricole 9,5 %, les rĂ©gimes des indĂ©pendants 4,5 % ». Le financement du systĂšme repose sur un niveau de prĂ©lĂšvements particuliĂšrement Ă©levĂ©, sur des salaires que ne touchent pas encore beaucoup de personnes en situation de handicap, notamment lorsquâelles sont usagĂšres dans des Esat, et soumises au Code de lâaction sociale et des familles (CASF). « 27 % du salaire brut dâun employĂ© du privĂ© est prĂ©levĂ© pour financer sa retraite, un des taux les plus Ă©levĂ©s des pays dĂ©veloppĂ©s », Ă©crit BĂ©atrice Mathieu. Aux Ătats-Unis, ce taux tombe Ă 1,6 % seulement. Cet Ă©cart vertigineux pĂ©nalise certains usagers du secteur protĂ©gĂ©, notamment des Esat et des entreprises adaptĂ©es. Ils seraient actuellement incapables de sâadapter Ă un autre systĂšme de retraite que celui par rĂ©partition, puisque leurs taux de chĂŽmage et leurs rĂ©munĂ©rations restent inadaptĂ©s. Les gouvernements successifs ont cherchĂ© des solutions. Depuis les annĂ©es 1980, ils ont rĂ©duit les charges patronales sur les bas salaires pour favoriser lâemploi. Or, les blocages psychologiques subsistant dans les entreprises, face Ă des personnes porteuses dâautisme ou en fauteuil roulant, persistent. En 2023, lâAgefiph prĂ©cisait que le taux d'activitĂ© et le taux d'emploi des personnes handicapĂ©es atteignent respectivement 45 % et 39 %.
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« 27 % du salaire brut dâun employĂ© du privĂ© est prĂ©levĂ© pour financer sa retraite, un des taux les plus Ă©levĂ©s des pays dĂ©veloppĂ©s. » â BĂ©atrice Mathieu
Des perfusions Ă base de minimas sociaux
Ainsi, lâirresponsabilitĂ© de nombreuses entreprises ayant prĂ©fĂ©rĂ© sensibiliser leurs salariĂ©s plutĂŽt que dâagir concrĂštement avec les personnes en situation de handicap, en levant toute forme de blocage psychologique, a eu un effet pervers : « les entreprises, peu incitĂ©es Ă augmenter les salaires, ont contenu les rĂ©munĂ©rations au niveau du SMIC, alimentant ainsi le dĂ©ficit des retraites », Ă©crit BĂ©atrice Mathieu. Dans cette spirale infernale, la prĂ©carisation du travail nourrit le dĂ©sĂ©quilibre des caisses de retraite. Lors de son premier mandat, Emmanuel Macron a tentĂ© de trouver une issue Ă ce problĂšme. Il a proposĂ© une transformation radicale du systĂšme avec une « rĂ©forme systĂ©mique ». « Celle-ci consistait â via la mise en place dâun systĂšme Ă points â Ă supprimer les rĂ©gimes spĂ©ciaux et Ă fusionner les quelque 37 rĂ©gimes actuels dans un rĂ©gime unique », Ă©crivent Borgetto et Lafore. Mais la complexitĂ© du projet et lâhostilitĂ© de lâopinion ont eu raison de cette ambition. « Cette rĂ©forme fut purement et simplement abandonnĂ©e Ă la faveur de la crise sanitaire », concluent-ils. Alors, que faire ? Le nombre dâactifs en situation de handicap vivant de leur travail reste faible. Les immenses compĂ©tences de certains handicapĂ©s nâenlĂšvent rien au fait quâils soient encore sous la perfusion des minimas sociaux, alors quâils ne devraient plus lâĂȘtre. Quant aux dĂ©penses de retraite, elles accaparent toujours une part massive du budget de lâĂtat. « Sur 1 000 euros dâimpĂŽts collectĂ©s, 562 euros sont consacrĂ©s Ă la protection sociale, dont 248 euros pour les retraites », dĂ©taille BĂ©atrice Mathieu. Ces sommes semblent immenses comparĂ©es Ă celles perçues par dâautres secteurs. LâĂ©ducation reçoit 90 euros, la recherche 22 euros, la dĂ©fense 31 euros et la justice seulement 4 euros. « Cette prĂ©dominance des dĂ©penses sociales freine lâinvestissement public, notamment dans la transition Ă©cologique et la compĂ©titivitĂ© Ă©conomique », alerte Joceran Gouy-Waz, Ă©conomiste Ă la Fondation Jean-JaurĂšs dans LâExpress.
« Les entreprises, peu incitĂ©es Ă embaucher, ont prĂ©fĂ©rĂ© sensibiliser plutĂŽt quâagir concrĂštement, perpĂ©tuant ainsi une situation dâexclusion. » â BĂ©atrice Mathieu
« Les retraites moyennes des femmes sont environ la moitié de celles des hommes »
Lâautre problĂšme majeur du systĂšme français est son extrĂȘme complexitĂ©. Un constat qui a conduit Ă des tentatives de simplification, comme la loi du 20 janvier 2014. Celle-ci a instaurĂ© « lâUnion des institutions et services de retraites sous la forme dâun GIP en charge de la simplification et de lâamĂ©lioration du droit », avec pour objectif dâaccroĂźtre la transparence et dâamĂ©liorer les relations entre les assurĂ©s et les organismes de retraite. Cette inĂ©galitĂ© se traduit notamment dans les pensions perçues. « Les retraites moyennes des femmes sont environ la moitiĂ© de celles des hommes », rappellent Borgetto et Lafore. Une disparitĂ© que vivent Ă©galement les personnes en situation de handicap. Elle sâexplique par des « durĂ©es dâassurance plus courtes et des niveaux de rĂ©munĂ©ration plus faibles » tout au long de la carriĂšre. Car le vĂ©ritable enjeu est lĂ : « Les systĂšmes de retraites sont dans une tension forte entre lâobjectif de maintien dâun niveau de vie et les contraintes structurelles ». Le vieillissement de la population, la baisse du taux dâactivitĂ© et les difficultĂ©s salariales de personnes en situation de handicap aptes Ă gagner plus, qui continuent Ă toucher des minimas sociaux, mettent Ă mal un Ă©quilibre dĂ©jĂ fragile. La durĂ©e moyenne des carriĂšres dans chaque rĂ©gime explique en partie les disparitĂ©s. « Les retraites servies par les rĂ©gimes spĂ©ciaux doivent ĂȘtre comparĂ©es au total des pensions de base et des retraites complĂ©mentaires servies aux autres retraitĂ©s », Ă©crivent Borgetto et Lafore. Une analyse comparative dĂ©licate, qui alimente rĂ©guliĂšrement les tensions sociales. Enfin, le dĂ©bat sur la rĂ©forme des retraites en France est donc loin dâĂȘtre clos.
« La rĂ©forme des retraites doit intĂ©grer la question du handicap, sous peine dâaggraver les inĂ©galitĂ©s sociales. » â Joceran Gouy-Waz, Ă©conomiste
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