Romain Gary : Un visionnaire au talent enfin reconnu

Romain Gary : Un visionnaire au talent enfin reconnu

Cet été, l’engouement pour Romain Gary, figure majeure de la littérature française du XXe siècle, prendra une nouvelle tournure grâce aux émissions que diffusera Radiofrance sur sa vie. Intitulés un été avec Romain Gary, ces émissions trouvent un écho avec le nouveau patriotisme se développant dans l’hexagone.

Oscar Tessonneau

Atypique

Romain Gary, de son vrai nom Roman Kacew, est souvent perçu comme un énergumène dans le paysage littéraire et politique. Romain Gary, "On lui reprochait d'être gaulliste quand les intellectuels étaient de gauche, voire d'extrême gauche," écrit l'historienne Mireille Sacotte dans l’essai collectif Romain Gary, le visionnaire. Cet engagement politique, combiné à son passé de résistant et de diplomate, le plaçait en décalage par rapport à ses contemporains. Gary a également été critiqué pour son style d'écriture, qualifié parfois d'approximation. "Les critiques littéraires lui avaient fait la réputation d'écrire mal, de rabâcher, d'écorcher le français," ajoute Sacotte. Cependant, cette image de mauvais garçon de la littérature française est progressivement révisée.

"Beaucoup de jeunes manifestaient dans les rues, certains brandissant ce slogan : Le patriotisme c'est l'amour des siens, le nationalisme c'est la haine des autres." Ces mots de Gary, repris lors des manifestations contre Jordan Bardella dimanche dernier, montrent l'actualité et la pertinence des réflexions d’un homme, voulant toujours se défaire de l'image que l'on avait de lui. "On m’a fait une gueule et je n’ai pas pu m’en détacher," disait-il souvent. Cette lutte constante pour l'authenticité l'a conduit à adopter divers pseudonymes. "Ses premiers essais de pseudonymes ont échoué, car, sous le nom de Shatan Bogat ou de Fosco Sinibaldi, ses livres ne se vendaient plus," raconte Fottorino. C'est sous le nom d'Émile Ajar qu'il connaîtra un succès retentissant avec Gros-Câlin (1974).

Une autre vie

Gary affirmait que le choix des pseudonymes n'était pas seulement une stratégie littéraire, mais aussi une quête existentielle. "Son besoin d’être un autre était existentiel. Il a toujours souffert de n’être qu’un, de n’être qu’une personne," explique Sacotte. L'adoption du pseudonyme Ajar est venue presque par hasard, mais elle a permis à Gary d'inventer un nouveau style d'écriture, différent de son œuvre précédente.

L'incompréhension et la sous-estimation de son œuvre ont souvent été alimentées par sa personnalité flamboyante et non-conformiste. "Parce qu’il avait été aviateur et bombardier, il déparait dans ce milieu feutré. Au fond, il n’a jamais essayé d’être conforme," explique un proche. Gary était perçu comme un énergumène, son côté tonitruant et ses choix de vie personnels. "On le prenait pour un énergumène. Son côté tonitruant dérangeait, le fait d’avoir divorcé et épousé la star de cinéma Jean Seberg. Il était diplomate, mais il n’avait rien d’un diplomate," souligne le journaliste Eric Fottorino dans son livre Romain Gary, le visionnaire. Néanmoins, Gary restait soutenu par certains de ses confrères. Raymond Aron et Albert Camus ont été parmi les rares auteurs reconnus à l'encourager. "Camus l’a toujours soutenu. Même si les deux hommes n’étaient pas d’accord sur ce que devait être un roman," raconte Sacotte. Camus voyait dans le roman un engagement personnel, tandis que Gary prônait le roman total.

Soyons joyeux

Néanmoins, Gary partageait avec Camus la défense de principes humanistes : "L'humanisme est sa grande cause, non pas l'humanisme classique de la Renaissance, mais celui qui traite de la souffrance humaine, tout ce qu’un homme peut subir dans sa vie," comme la pauvreté, la guerre et la Shoah, qui a coûté la vie à son père et à plusieurs membres de sa famille." écrit Fottorino, tout en soulignant que Gary était un écrivain très attaché à l’humanisme : "Le rire est partout dans ses livres. C’est une façon de résister à l’horreur".

Fottorino écrit que ce rire prend des formes variées et est omniprésent, même dans ses premiers travaux comme Éducation européenne. "Pour le lecteur polonais, beaucoup de passages sont drôles, comme le nom des personnages. Le nom du village est Sucharki, ce qui veut dire 'pain rassis'," ajoute-il. Gary savait en effet utiliser l'humour juif, marqué par l'autodérision, pour faire face à des réalités terribles.

La Vie devant soi (1975) est une histoire épouvantable. Ce sont des 'enfants de pute' qui ne peuvent s’en sortir s’ils ne rencontrent pas quelqu’un de bien comme Madame Rosa" écrit Olivier Weber dans son Romain Gary, le visionnaire. En effet, le roman aborde des thèmes graves tels que la déchéance sociale, la vie en banlieue et les réalités des Africains en France, vus à travers les yeux innocents mais lucides de Momo, un jeune garçon. "On croit qu’il ne voit pas la réalité, mais il voit très bien, au point qu’il préférerait ne pas être né". L'ombre de l'avortement plane sur ce récit, accentuant l'horreur de la condition de ces enfants. À la fin du roman, Momo reste enfermé des semaines avec Madame Rosa, même après sa mort, sortant uniquement pour acheter du maquillage afin de rendre le cadavre moins effrayant. "On est dans Les Misérables. D’ailleurs, Momo le dit : "quand je serai grand j’écrirai moi aussi Les Misérables parce que c’est ce qu’on écrit toujours quand on a quelque chose à dire"," souligne Sacotte.

Ainsi, les œuvres d'Ajar sont imprégnées de misère intellectuelle, spirituelle et quotidienne que les personnes en situation de handicap mental vivent souvent avec leurs familles, et contre lesquelles on peut lutter grâce à l’humour.

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