Les réalisateurs du « Comte de Monte-Cristo », convoqués à la barre pour leurs mauvais choix de production

Les réalisateurs du « Comte de Monte-Cristo », convoqués à la barre pour leurs mauvais choix de production

Dans leur adaptation du chef-d'œuvre d'Alexandre Dumas, Matthieu Delaporte et Alexandre de La Patellière semblent avoir sacrifié la profondeur et la complexité du roman pour se conformer aux codes des blockbusters modernes.

Oscar Tessonneau

Les deux temps

Dans La plume et le prétoire, Quand les écrivains racontent la justice, le magistrat Denis Salas présente le livre de Dumas comme une œuvre intemporelle. Il souligne que le temps dans ce roman n’a pas de prise sur le personnage principal, Edmond Dantès, devenu comte de Monte-Cristo, et écrit : « Le Comte de Monte-Cristo est un livre occupé par le temps ; un temps double, écarté entre celui dans lequel vit chaque héros et celui qui s’impose aux autres. Or dans cet écart de temps s’entrevoit la justice. » Cette notion de temps double est essentielle pour comprendre la quête de justice de Dantès. En revanche, la nouvelle adaptation ultramoderne du roman semble négliger cette dimension, préférant se concentrer sur des scènes d’action spectaculaires peu fidèles au récit.

En effet, le roman de Dumas, publié pour la première fois en feuilleton entre 1844 et 1846, traite avant tout des questions de vengeance et de justice. En 1815, Edmond Dantès, un jeune marin prometteur, est trahi par des hommes jaloux et ambitieux. Salas décrit : « Dantès est arrêté le jour de son mariage avec la belle Mercédès, presque relâché par Villefort, qui finalement s’aperçoit que l’Empereur, en retour, lui a confié la mission de remettre une lettre à M. Noirtier, père de Villefort. Le seul fait que Dantès connaisse le nom de Noirtier suffit à Villefort pour ordonner l’incarcération immédiate, sans jugement, au château d’If, dans la rade de Marseille. »

Échec

Trahi et emprisonné pendant quatorze ans, Dantès est un personnage que Dumas transforme au fil des pages. Progressivement, le romancier montre comment Dantès réussit à se transformer intellectuellement et physiquement. Là où le film échoue, c'est dans sa capacité à capturer cette complexité du temps et de la justice.

Le mécanisme de vengeance de Monte-Cristo, avec ses enlèvements, ses corruptions et ses manipulations, est essentiel au récit. Salas écrit : « Monte-Cristo ne recule devant rien (commanditer des enlèvements, droguer, corrompre un fonctionnaire du télégraphe, planifier l’évasion du bagne, provoquer le meurtre de Caderousse, usurper des identités, exercer un chantage, voler des documents administratifs, pousser au suicide, combattre en duel) pour parvenir à ses fins. »

Cette orchestration est mise en scène dans le film avec une musique et une scénographie rappelant les blockbusters à succès. Toutefois, cette approche simplifie excessivement la dimension philosophique et morale du roman. Salas va jusqu’à évoquer l'idée d'une « éthique de la vengeance » présente dans la philosophie d’Aristote, sur laquelle les réalisateurs se sont peu focalisés. Il écrit : « La volonté de vengeance ne fait pas toujours le lit de l’injustice, selon Aristote, dans la mesure où “la justice aristotélicienne constitue une rationalisation de la vengeance.” »

Injustice

Dans cette adaptation cinématographique récente du Comte de Monte-Cristo, l’essence même du roman de Dumas semble se diluer dans une quête de spectacle et de simplification narrative. Denis Salas, dans son analyse de l'œuvre, met en lumière des aspects cruciaux que le film de Delaporte et de La Patellière néglige largement. En effet, les procès, moments clés dans l'œuvre de Dumas, sont traités de manière superficielle dans le film. Salas explique : "Dans Le Comte de Monte-Cristo, Villefort, substitut du procureur, ordonne l’arrestation de Dantès et l’entend lors d’un premier interrogatoire ; on assiste au procès pénal d’Andrea Cavalcanti, [...] se joue enfin le procès du comte de Morcerf, pair de France, devant la Chambre des pairs."

Ces moments révèlent non seulement les injustices subies par Dantès mais aussi toute la dimension philosophique d’un livre, où la corruption et l'hypocrisie des institutions sont mises en lumière. Le film réduit ces scènes à de simples points de passage narratifs, sans en exploiter toute la portée dramatique et critique. Ainsi, cette adaptation du Comte de Monte-Cristo manque de capturer la complexité et la profondeur de l'œuvre originale d'Alexandre Dumas. Les thèmes de vengeance et de justice, la transformation initiatique de Dantès, et la critique des institutions judiciaires sont largement simplifiés, privant ainsi le spectateur de la richesse narrative et émotionnelle qui fait du roman un chef-d'œuvre intemporel.

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