Les mystères du Léviathan

Les mystères du Léviathan

Sorti dans les librairies françaises en 1996, Léviathan est un ouvrage où Paul Auster aborde la question du terrorisme sous de nombreux angles.

Oscar Tessonneau

" Ces quêtes se reflètent les unes les autres, créant un miroir des dilemmes humains face à l'absence et à l'identité"

Dans l'œuvre labyrinthique de Paul Auster, Leviathan se distingue comme une réflexion profonde sur les liens étroits entre les nombreuses questions existentielles que peuvent se poser les individus. Au cœur du roman, nous trouvons un trio de quêtes entrelacées, celles de Peter Aaron, de Sachs, et de Maria, autour desquelles se tisse l'intrigue. Leurs quêtes existentielles sont observées à travers le prisme d'une enquête du FBI concernant une série de bombardements de répliques de la Statue de la Liberté, créant un cadre narratif à la fois intrigant et symboliquement chargé. " Ces quêtes se reflètent les unes les autres, créant un miroir des dilemmes humains face à l'absence et à l'identité", commente Shiloh, dans son livre Paul Auster and Postmodern Quest : on the Road to Nowhere. Le personnage de Sachs, qui disparaît soudainement, rappelle le thème de l'absence paternelle et de la quête identitaire, chers à Auster. " Dans le livre, Sachs devient un trou dans l'univers », explique Shiloh, utilisant les mots d'Auster pour décrire la transformation du personnage en une énigme, un absent qui laisse derrière lui un vide rempli de questions et de quêtes que Sachs ne résoudra pas avant sa mort. "Sachs partage la plupart des nobles attributs de Fanshawe : il est audacieux, un grand athlète, une personne intrinsèquement gentille et un bon artiste totalement dévoué à son art", écrit Shiloh. Il admire Henry David Thoreau, mais contrairement à Fanshawe qui se fixe sur l'idéalisme de Walden, Sachs se considère engagé envers les idéaux énoncés dans "La Désobéissance civile".

Un personnage très politique

Progressivement, Sachs découvre le terrorisme. Ilana Shiloh analyse avec acuité la complexité de cette évolution idéologique. "Sachs, qui avait toujours été un être profondément politique, commence à adopter l'idéologie du terrorisme, bien que cela contraste fortement avec ses convictions antérieures", note Shiloh. "À l'origine, Sachs est méfiant vis-à-vis des systèmes et des idéologies, et l'action politique pour lui se résume à une affaire de conscience". Ainsi, Shiloh précise que dans les idées de Berkman sur le terrorisme, comme le souligne Shiloh : " Sachs pouvait percevoir qu'il adhérait à Berkman, croyant à une justification morale pour certaines formes de violence. Le terrorisme avait sa place dans la lutte, pour ainsi dire. S'il était utilisé correctement, il pourrait être un outil efficace pour dramatiser les enjeux, pour éclairer le public sur la nature du pouvoir institutionnel". Cependant, cette nouvelle adoption du terrorisme par Sachs marque une rupture profonde avec ses principes de non-violence, inspirés par Thoreau et son ouvrage Civil Disobedience. "C'est ce qui l'a conduit à refuser la conscription pour le Vietnam et à aller en prison ; il se considérait comme un objecteur de conscience" écrit Shiloh.

Introspection

L'explosion accidentelle qui ouvre Léviathan sert de catalyseur aux thèmes principaux du roman, tels que le hasard, le voyage, le soi fragmenté, et l'enquête sur l'identité. "Tous ces éléments convergent dans la narration de la quête", explique Shiloh. L'enquête officielle des agents de l'État incite le narrateur, Peter Aaron, à suivre les traces que son ami Sachs a laissées durant les quinze années de sa disparition, une période durant laquelle il a "voyagé d'un bout à l'autre de lui-même". Le voyage intérieur de Sachs, suggéré par cette exploration de son espace intérieur, est une quête de sens et de justice, une recherche d'un univers moral significatif pour l'humanité. "La direction de sa quête est impliquée dans l'observation de Peter Aaron : 'Il était doué pour transformer les faits en métaphores... il était capable de lire le monde comme s'il s'agissait d'une œuvre de l'imagination'", note Shiloh, tout en précisant que Sachs est un personnage traitant la réalité comme si c'était de la fiction, Sachs cherche à lui donner un sens et un but. Extrêmement instruit, il est familier avec un nombre incalculable de faits et de détails, parmi lesquels il établit les connexions les plus invraisemblables, transformant des événements documentés en symboles littéraires, en tropes qui pointent vers un motif sombre et complexe incrusté dans le réel, que l’on pourrait assimiler à des dizaines de synecdoques. « Tout, pour lui, indique tout le reste ; la réalité est un motif intriqué de correspondances, transmettant une cohérence et un sens secrets. Le lieu ultime de sens est traditionnellement interprété comme étant Dieu, et donc le voyage intérieur de Sachs est souvent décrit en termes religieux", ajoute Shiloh, tout en précisant que le point tournant de la vie de Sachs sera une chute.

L'amour fou

Le dilemme complexe de culpabilité et de désir de Sachs est déclenché par sa chute d'une échelle de secours, lors d'une fête du 4 juillet" Parmi les invités se trouve la séduisante Maria Turner, une artiste et amie de Peter Aaron. Siloh précise que cette interconnexion des destinées et des quêtes individuelles souligne la maîtrise narrative d'Auster, explorant les profondeurs de l'âme humaine à travers les prismes de la culpabilité, du désir et de la quête de rédemption. "Sachs est déchiré toute la soirée entre son désir pour Maria et sa culpabilité de trahir mentalement sa femme, Fanny", explique Shiloh dans son livre Paul Auster and Postmodern Quest: on the Road to Nowhere.

Finalement, Siloh indique Sachs emmène Maria sur le toit, espérant qu'elle l'enlacera pour profiter de la chaleur de son corps interdit. Cependant, la soirée prend une tournure inattendue : "Une connaissance féminine à demi-ivre s'approche d'eux par derrière, trébuche et heurte Maria par inadvertance. Surprise, Maria perd son emprise sur Sachs, qui bascule par-dessus la balustrade". Siloh précise que la narration de la chute de Sachs est présentée sous deux perspectives contradictoires : celle du narrateur, Sachs, et celle de l'auditeur, Peter Aaron. Selon son habitude de lire la réalité comme si elle était fiction, Sachs voit sa chute comme une métaphore, la concrétisation symbolique de sa nature déchue, que Paul Auster présente à la page 128 de Léviathan : " Non, je ne l'ai pas touchée. Mais j'ai manigancé les choses de telle sorte qu'elle devait me toucher. Pour moi, c'est encore pire. J'ai été malhonnête avec moi-même. Je me suis accroché à la lettre de la loi comme un bon petit scout, mais j'ai complètement trahi l'esprit. C'est pourquoi je suis tombé de l'échelle de secours. Ce n'était pas vraiment un accident, Peter. Je l'ai causé moi-même. J'ai agi comme un lâche et ensuite j'ai dû en payer le prix. »

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