Le khomeynisme n’a jamais été un humanisme

Le khomeynisme n’a jamais été un humanisme

Après avoir été un opposant majeur au Shah d’Iran, lors de la révolution de 1979, Ali Khomenei est devenu un homme fort, peu attaché à quelques fondamentaux démocratiques qu’Ali Khomeiny a toujours défendu dans son œuvre : les libertés d’expression et de culte.

Oscar Tessonneau

Qui est vraiment l’ayatollah Khomeiny ?

Lorsqu’il remplace le Shah d’Iran, après la révolution de 1979, Ali Khomeini parvient à capter une forme de mécontentement populaire. Comme le précise l’écrivain Pierre Mertens, dans un chapitre du livre Penser Salman Rushdie, les populations ressentent les bouleversements sociaux importants dans une société où la liberté d’expression et de culte se développe rapidement, trouvant une forme de satisfaction dans le discours plus autoritaire : « Des pamphlets, il y en eut beaucoup en Iran, et dans le monde musulman en général, qui parurent lorsque l’intelligentsia iranienne s’avisa du nouveau piège tendu à la démocratie persane. » En apportant ces précisions, Mertens présente la désillusion croissante des Iraniens, bouleversés par la vitesse à laquelle la démocratie se développe. Quelques années après son arrivée au pouvoir, l’ayatollah Khomeini passe de la théorie à l’action. Il rédige une fatwa contre l’auteur des Versets sataniques, l’écrivain anglo-américain Salman Rushdie. Cet édit religieux, prononcé par Khomeini, transforme l’auteur des Versets Sataniques en une cible vivante. L'ayatollah Khomeini le récite sur les ondes de Radio Téhéran. À partir de ce moment, bien qu’il se sente en sécurité, notamment à New York, Salman Rushdie doit affronter un danger omniprésent : « Il a pu penser qu’à New York, il était pratiquement enfin hors de danger, parce qu’on avait trouvé des moyens moins ostentatoires, moins visibles à l’œil nu que sur le sol britannique, d’assurer sa protection, mais plus efficaces, » écrit Pierre Mertens, soulignant la violence d'une vie où un homme reste condamné par une fatwa de Téhéran.

« Une guerre totale est déclarée à un particulier par un appareil dont il se révèle même impossible de fixer les contours et les limites, et cela au nom du respect de certaines valeurs. »

Comme l’écrit Mertens, la fatwa contre Salman Rushdie dépasse le cadre d'une simple affaire littéraire. Elle touche aux principes fondamentaux des droits humains, tels que la liberté d'expression, la sécurité personnelle et la résistance contre toutes les formes de censure idéologique : « Une guerre totale est déclarée à un particulier par un appareil dont il se révèle même impossible de fixer les contours et les limites, et cela au nom du respect de certaines valeurs, » indique l’auteur du roman Les Éblouissements. Il précise que les implications de cette fatwa sont ressenties jusqu'à aujourd'hui, affectant de façon permanente la vie et les activités de Rushdie, qui décrit longuement son état de santé et son opération dans son dernier livre, Le Couteau. « Insistons sur son statut d’écrivain et non d’essayiste ou de militant politique –, coupable à la fois d’être l’auteur des Versets sataniques (1988), livre jugé blasphématoire envers l’islam, et (surtout) d’être un apostat, » écrit Pierre Mertens. « Dans les milieux musulmans fondamentalistes, » précise-t-il, « cette fatwa a renforcé la croyance que le péché d’islamophobie méritait la mort. » Ce positionnement reflète un mécanisme de défense où la victime est accusée, un sophisme qui cherche à légitimer l'acte extrême de condamnation à mort sans procès. La complexité de cette situation est soulignée par Pierre Mertens qui cite Rushdie lui-même lorsqu’il décrit cette période comme « la période la plus sombre que j’aie jamais connue ». Cette réflexion de Rushdie montre la profondeur du désespoir et de l'isolement causés par la fatwa, qui a transformé chaque jour de sa vie en une lutte pour la survie. L'écrivain, qui avait trouvé un semblant de sécurité et de normalité lors de visites privées dans des lieux comme le Louvre, était constamment accompagné de gardes du corps, une réalité que Rushdie décrit amèrement dans son autobiographie Joseph Anton.

Solitude

Comme l’indique Pierre Mertens, l’idée selon laquelle Salman Rushdie était un ennemi politique a mené à des émeutes, des incidents violents et des attaques terroristes, similaires à celles que l’auteur des Versets Sataniques a vécues au mois d’août 2022. « En insultant les choses sacrées de l’islam et en franchissant les lignes rouges de plus d’un milliard et demi de musulmans et de tous les adeptes des religions divines, Salman Rushdie s’est exposé à la colère et à la rage des Iraniens les plus radicaux, les mêmes qui nous ont exclu du pays après l’arrivée de Khomeini au pouvoir car nous défendions Massoud Radjavi », nous indique un ancien membre du groupe d’opposition iranien L’OMPI, exilé dans le quinzième arrondissement de Paris depuis les années 80. Comme l’indique l’écrivain Pierre Mertens, dans le passage du livre Penser Salman Rushdie qu’il a écrit, l’attaque contre l’écrivain en août 2022 remet en lumière la persistance d'une menace qui ne s'est jamais vraiment dissipée depuis la proclamation de la fatwa par l'ayatollah Khomeini en 1989. « Dans les milieux musulmans fondamentalistes, cette fatwa a renforcé la croyance que le péché d’‘islamophobie’ méritait la mort », continue Mertens. Menée par Hadi Matar, un jeune chiite admirateur de Khomeini, cette attaque démontre que les appels à la violence de Khomeini ont des échos durables. « L’attaque au couteau contre Salman Rushdie perpétrée le 12 août 2022 à Chautauqua (État de New York) par un islamiste chiite fanatique, Hadi Matar, a été saluée par le principal quotidien ultraconservateur iranien, Kayhan », note Mertens, illustrant le soutien inquiétant que des actes attaquant autant la liberté d’expression que les fatwas peuvent encore recevoir.

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