« Le Couteau » : un livre de Salman Rushdie s’inscrivant dans la continuité des Versets Sataniques

« Le Couteau » : un livre de Salman Rushdie s’inscrivant dans la continuité des Versets Sataniques

Victime d’une tentative d’assassinat en 2022, Salman Rushdie vient de publier Le couteau. En tant que journalistes autistes, son œuvre n’est pas seulement un témoignage exceptionnel, mais aussi une réflexion politique et un appel à lutter contre les diverses formes d’omertas que nous n’avons pas le courage de dévoiler.

Oscar Tessonneau

Éclairer les esprits

Nous sommes le 12 août 2022. L’écrivain Salman Rushdie, lauréat du très prestigieux Booker Prize en 1981, est poignardé alors qu'il s'apprête à donner une conférence à Chautauqua. Son crime a été commis avec une arme bien plus nocive que le couteau avec lequel un terroriste a tenté de l’assassiner, un stylo. Avec les mêmes doigts et les mêmes mains utilisés par son assaillant, Salman Rushdie a utilisé plusieurs stylos et quelques machines à écrire pour terminer ses Versets Sataniques. Daniel Salvatore Schiffer, dans un article du livre Penser Salman Rushdie, publié par les éditions de L’Aube l’an dernier, décrit Les Versets Sataniques ouvrant un dialogue essentiel sur ce que les mollahs et tous les défenseurs des islams les plus radicaux ne questionneront jamais : la foi, dans tout ce qu’elle a de plus subjective. « Seulement un tiers du roman concerne un prophète qui s’appelle Mahmoud et où sont repris les versets sataniques qui apparaissent dans le Coran. Au moment de la Révélation, Mahmoud va voir l’ange Gabriel qui lui dit qu’il faut vivre en bonne entente avec les autres religions polythéistes. Mais quand Mahmoud descend de sa montagne, il se rend compte que l’ange Gabriel était en fait Satan déguisé, » rapporte Schiffer, à partir d’un texte écrit par l’essayiste Abnousse Shalmani, qu’il cite dans un chapitre du livre Penser Salman Rushdie.

"Salman Rushdie imagine alors ce qu’il se serait passé si l’ange Gabriel n’était jamais revenu, si c’était Satan qui avait pris sa place et si le Coran était composé de versets sataniques."

Schiffer précise que cette révélation fictive dans l'œuvre de Rushdie sert de métaphore pour explorer les thèmes de la vérité et de la tromperie, tout en interrogeant la nature même de la foi, comme ont pu le faire Voltaire, Diderot ou Rousseau par le passé. « Salman Rushdie imagine alors ce qu’il se serait passé si l’ange Gabriel n’était jamais revenu, si c’était Satan qui avait pris sa place et si le Coran était composé de versets sataniques, » continue Abnousse Shalmani. Ainsi, Schiffer indique que par ces mots, Rushdie n'attaque pas la foi en elle-même, mais invite à une réflexion sur l’histoire et la fluidité des textes sacrés, que le lecteur peut interpréter comme il le souhaite. Rushdie s’inscrit ainsi dans la longue tradition des défenseurs de l'ijtihad, incitant les fidèles à développer une interprétation la plus subjective possible des versets coraniques. « Il rouvre l’interprétation personnelle. Il se replace dans une tradition islamique qui est celle des 'et si'. Il se rapproche de ce qu’est le roman, de ce qu’est la littérature, de ce qu’est l’interprétation personnelle, la liberté de l’homme, » écrit Abnousse Shalmani.

L'islamo-fascisme

Comme l'écrit Daniel Salvatore Schiffer, Rushdie est un penseur qui plonge dans les abysses de la mythologie et de la spiritualité. Il ne se contente pas d'interroger l'islam ; il interpelle toutes les croyances, invitant à une réflexion plus large sur la nature de la foi et du divin. Son approche rappelle celle de figures intellectuelles majeures telles que Nietzsche, dont le Zarathoustra est évoqué par Schiffer : « Le Zarathoustra de Nietzsche, cet ermite avide de quête spirituelle et en même temps ‘surhomme’ », rappelle le philosophe allemand, qui, tout comme Rushdie, descend de sa montagne non pour imposer des vérités mais pour proposer une sagesse qui invite à une réévaluation des valeurs morales établies. Pour le philosophe, auteur de nombreux essais sur le dandysme, ce voyage intellectuel entrepris par Rushdie dans Les Versets Sataniques est un écho moderne de la critique spinoziste de la morale judéo-chrétienne, appliquée ici à l'islam. « Une critique radicale, dans le sillage de l’éthique spinoziste, de la morale judéo-chrétienne que Rushdie transpose à l'islam. » Dans son essai, Schiffer insiste lourdement sur ces divergences entre les multiples formes de l'Islam. « Le terme islamo-fascisme est utilisé pour décrire non pas l'islam en tant que tel, mais une radicalisation politique qui pervertit et extrapole des éléments de cette religion à des fins destructrices et totalitaires. »

« Éviter donc à tout prix, quoi qu’il advienne, l’insidieux et contreproductif piège, nonobstant la périlleuse islamisation – c’est, nous le constatons chaque jour davantage, un fait indéniable, malgré notre compréhensible réticence à l’admettre de notre culture, sinon de notre civilisation.»

Schiffer voit dans l'œuvre tumultueuse de Salman Rushdie, Les Versets Sataniques, une critique poignante, non seulement de l'islamisme mais aussi de la manière dont les sociétés peuvent réagir face à des idéologies perçues comme menaçantes, comme l’ultralibéralisme, dans des sociétés néolibérales où l’on accepte que des autistes ou d’autres personnes en situation de handicap soient vus comme de la main-d'œuvre à bas coût. « Éviter donc à tout prix, quoi qu’il advienne, l’insidieux et contreproductif piège, nonobstant la périlleuse islamisation – c’est, nous le constatons chaque jour davantage, un fait indéniable, malgré notre compréhensible réticence à l’admettre de notre culture, sinon de notre civilisation, » écrit Schiffer, exprimant ainsi son attachement aux valeurs transmises par les penseurs des Lumières. Ces figures littéraires sont longuement évoquées dans le chapitre du livre Penser Salman Rushdie, écrit par Dominique Schiffer. « Un lecteur attentif, exigeant et informé pourra déceler, dans l’ensemble de l’œuvre rushdienne – des Enfants de minuit, parus en 1981, à Joseph Anton : une autobiographie, publié en 2012 –, des influences évidentes de quelques-uns des esprits les plus éclairés au sein de notre culture occidentale, » explique-t-il, reliant Rushdie à un dialogue littéraire et philosophique qui traverse les siècles.

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