Honoré De Balzac a été conditionné par le modèle économique de la librairie de l'époque

Honoré De Balzac a été conditionné par le modèle économique de la librairie de l'époque

 Directeur du musée La Maison De Balzac, Yves Gagneux a monté l'exposition "Balzac, Daumier et les Parisiens: De La Comédie humaine à la comédie urbaine". Elle sera présentée au musée du 22 novembre 2023 au 31 mars 2024.

Oscar Tessonneau

Oscar Tessonneau : Balzac n'était pas économiste, mais il a décrit avec précision la mécanique financière des marchés parisiens. Comment a-t-il pu le faire ?

Yves Gagneux : Balzac avait une formation large, il a été journaliste, a fait du droit, a écrit des romans, a été éditeur, imprimeur, fondeur de caractères. Sans avoir une formation spécifique en économie, il avait une réflexion large, générale et extrêmement aiguë sur les rapports des hommes entre eux dans la société. Il n'était pas un sociologue, un psychiatre, un psychanalyste ou un archéologue, mais il avait déjà les prémices de toutes ces sciences dans son œuvre.

Oscar Tessonneau : Comment étaient diffusées les œuvres de Balzac et comment pouvaient-elles être lues de son vivant ?

Yves Gagneux : Balzac a été conditionné par le modèle économique de la librairie de son temps. Les livres étaient chers, et les romans, étant considérés comme un genre mineur, n'étaient pas facilement accessibles. Balzac a inventé le roman-feuilleton pour contourner ce problème, publiant d'abord ses œuvres dans des journaux avant de les éditer sous forme de livres. Cela lui a permis de toucher un public plus large, même si ses tirages étaient limités à 800 ou 1200 exemplaires en raison de la contrefaçon belge qui rendait ses livres accessibles à moindre coût en Europe.

Oscar Tessonneau : Quel était le plus grand succès commercial de Balzac, le roman qu'il a le plus vendu ?

Yves Gagneux : Les premiers romans comme "La Physiologie du mariage" a intrigué et se sont bien vendus, étant signés par "un jeune célibataire", donc anonymement. "Le Père Goriot" et "Eugénie Grandet" ont également très bien marché. Mais ce qui s'est le mieux vendu, c'est "La Comédie humaine" dans son ensemble, particulièrement à partir de 1842. Balzac a été conditionné par le modèle économique de la librairie de l'époque. Il a tenté de casser ce mécanisme en proposant des éditions compactes, avec plusieurs romans en un volume et des illustrations, rendant l'achat plus attractif que la location.

Oscar Tessonneau : Comment la société française de l'époque de Balzac percevait-elle les questions de société ? La presse et les actualités étaient-elles largement diffusées ?

Yves Gagneux : À l'époque de Balzac, une bonne partie de la population savait lire grâce à l'enseignement religieux. Cependant, la diffusion de la presse était limitée par les moyens de distribution. Les journaux parisiens arrivaient avec beaucoup de retard en province, et la presse quotidienne était principalement accessible dans les grandes villes. Les informations variaient grandement d'une région à l'autre, et à Paris même, la presse était variée, certains journaux recopiant simplement les articles d'autres publications.

Oscar Tessonneau : Comment Balzac a-t-il réagi face à la popularité du roman-feuilleton qu'il a lui-même inventé ?

Yves Gagneux : Bien que Balzac ait inventé le roman-feuilleton, il n'a pas su en tirer autant de bénéfices que d'autres auteurs comme Eugène Sue, dont "Les Mystères de Paris" ont connu un succès colossal. Balzac se plaignait que ses œuvres, riches en pensées et en complexité, ne se prêtaient pas bien au format feuilleton, qui privilégie le suspense et la facilité de lecture. Il voyait ses romans comme des œuvres de réflexion profonde, mal adaptées à ce modèle commercial qu'il avait pourtant contribué à créer.

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