Des relations très cordiales

Des relations très cordiales

Lundi matin, Emmanuel Macron inaugurait les 100 ans des accords de l'Entente cordiale. Signés à Londres en 1904, ces accords diplomatiques sont la quintessence de nombreux accords diplomatiques, signés entre les deux puissances après la fın du Premier Empire.

Oscar Tessonneau

"La montée en puissance de la flotte allemande constituait une réalité incontestable." 

 

En ce lundi matin, une brume assez épaisse envahissait le ciel parisien. Quelques gouttes de pluie tombaient sur les vestes en chins, et les blazers en tweed des Anglais venus célébrer les 120 ans de l’entente cordiale à l’Élysée. Les deux grands instigateurs de cet accord signé au Foreign Office de Londres sont le diplomate Lord Lansdowne et l'ambassadeur français à Londres, Paul Cambon. Pendant plusieurs années, ils oeuvrent en faveur d'un rapprochement, en vue d’un potentiel renforcement militaire allemand qu’a analysé l’historien Philippe Chassaigne dans son manuel La Grande-Bretagne et le monde : de 1815 à nos jours. "La montée en puissance de la flotte allemande constituait une réalité incontestable", reconnaît Chassaigne, soulignant une des motivations pragmatiques derrière ce rapprochement. Mais c'est surtout le prince Édouard VII, dont la visite officielle à Paris en mai 1903 fut un moment clé, qui joua un rôle déterminant. Émile Loubet, le président français, répondit par une visite à Londres, ouvrant la voie à des discussions fructueuses." Les négociations diplomatiques qui s’ensuivirent, menées dans le plus grand secret, débouchèrent sur la signature d’une Entente Cordiale", rapporte Chassaigne. Cette entente, bien plus qu'un simple accord diplomatique, marquait une révolution dans les relations franco-britanniques, transformant des siècles de rivalités en une coopération durable, que Rishi Sunak et Emmanuel Macron ont commémoré lors d’un échange téléphonique ayant eu lieu aux alentours de 16h selon une source élyséenne.

Une splendide isolation

Les tentatives de rapprochement franco-britannique commencent après la mort de Napoléon Bonaparte. Comme l’indique Benoît Pellistrandi dans son manuel intitulé Les relations internationales de 1800 à 1871, la première moitié du 19ème siècle, marquée par des initiatives diplomatiques audacieuses, traduit un désir partagé de stabiliser un continent européen en pleine mutation. "Le duc de Broglie, ministre des Affaires étrangères, s'efforce de rapprocher encore les deux pays", écrit Pellistrandi. Sa proposition d'une alliance défensive, bien que rejetée par Londres, symbolise selon l’historien un moment pivot dans la diplomatie franco-britannique, où les échanges commerciaux et la coopération politique semblent prêts à dépasser les vieilles rancoeurs. Le refus de Londres de s'engager dans une alliance formelle avec Paris, souligne la prudence des Anglais face aux engagements européens. "En décembre 1833, Paris propose une alliance défensive entre les deux pays. Londres, dont la diplomatie est dirigée par Lord Palmerston, décline." Néanmoins, un premier traité signé le 22 avril 1834 va permettre d’acter une première entente cordiale entre les deux peuples.

En effet, l’équilibre précaire entre coopération et compétition, illustré par la coexistence des capitaux français et britanniques en Espagne, reflète une Europe en quête d’un modus vivendi permettant de naviguer entre ambitions nationales et nécessités de collaboration.

Un jeu de bataille navale

Dans les années 1840, l’arrivée au gouvernement d’un nouveau premier ministre, Sir Robert Peel, améliorera encore les relations entre les deux nations. "En pleine révolution industrielle, l’Angleterre entreprend la construction de nouveaux navires à vapeur", écrit Philippe Chassaigne, rappelant une époque où la menace d'une invasion française était prise au sérieux, au point de renforcer les défenses des ports tels que Douvres, Harwich et Portland en 1845.

L’historien précise que ces mesures révèlent les profondes inquiétudes qui agitaient l'Angleterre, alors que des personnalités comme l’ambassadeur britannique à Paris et l’ambassadeur français à Londres, Adolphe Thiers, alimentaient les peurs d'un conflit imminent, exacerbées par les crédits supplémentaires alloués à la flotte française. De plus, la crainte d'une invasion atteignit son apogée en 1851 avec le retour d’un Bonaparte au pouvoir, réveillant les "souvenirs douloureux" des guerres napoléoniennes. Cependant, Philippe Chassaigne précise dans son manuel que cette peur est avant tout un "fantasme". 

Les invasions imaginaires

Malgré ces tensions, les armées des deux nations ont su trouver des terrains d'entente et d'action commune, témoignant de la complexité des relations franco-britanniques. La conclusion de Pellistrandi sur la période des invasions imaginaires et les réactions britanniques aux ambitions navales françaises révèle une paranoïa sécuritaire qui a influencé les politiques de défense et la perception publique de l'"autre" européen. "La dernière invasion scare survint en 1859-1860 lorsque les Français lancèrent le premier navire de guerre cuirassé, La Gloire ", écrit Pellistrandi, illustrant comment les innovations technologiques ont également joué un rôle clé dans la dynamique de pouvoir entre la France et le Royaume-Uni. Ces moments d'histoire, soigneusement choisis et relatés par Pellistrandi, nous rappellent que les relations internationales sont façonnées par un mélange de perceptions, de réactions émotionnelles et de calculs stratégiques.

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