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Par Oscar Tessonneau
Actuellement, l’actrice interprète Hervé Guibert dans Les Idoles, une pièce de Christophe Honoré. Jouée au Théâtre de la Porte Saint-Martin, cette pièce mêle souvenirs personnels et immersion dans l’œuvre de l’écrivain, ayant énormément écrit sur ses gestes et ceux des autres
Lorsqu’il écrit, Hervé Guibert garde toujours son stylo au plus près de l’os. Au fil des pages, notamment lorsqu’il parle du Sida, chaque geste simple traversant son corps a du sens. Marina Foïs, qui lui prête sa voix et son corps dans la nouvelle pièce de Christophe Honoré, n’a pas choisi la facilité. Le 20 janvier, la journaliste Fabienne Darge écrit dans Le Monde : « Pour Marina Foïs, incarner Hervé Guibert, ce n’est pas une imitation, mais une évocation. » Marina Foïs admet qu’elle ne peut pas vivre la littérature au plus près du corps, comme le faisait l’écrivain homosexuel : « Je ne suis pas Hervé Guibert qui meurt du sida. Je suis Marina Foïs, qui dit les mots de Guibert », explique-t-elle au Monde, marquant la distance entre l’homme et son interprétation. Ainsi, ce n’est pas seulement le texte de Guibert que Marina Foïs convoque sur scène, mais aussi sa manière de percevoir et de retranscrire les gestes de Guibert et ses douleurs. Maria de Jesus Cabral, dans Le Toucher, prospections médicales, artistiques et littéraires, analyse la subtilité avec laquelle Guibert décrit des gestes anodins que Foïs tente de mettre en scène. Elle rapporte cet extrait d’un livre de Guibert : « Dans la nuit, endormi très profondément, une infirmière m’éveille en passant juste un doigt léger sur le dessus de ma main. » Dans le livre, cette phrase devient un point d’ancrage, une preuve que la vie persiste, même lorsque les corps sont fragiles et capture l’insaisissable. Cabral explique que pour Guibert « l’écriture, lorsqu’elle se réfère au toucher, rappelle sans cesse la tension qu’impose la perte. » En mêlant sa propre mémoire à celle de Guibert, Foïs parvient à inscrire sur scène cette douleur qui ne peut se dire autrement que par le corps. Elle déclare dans Le Monde : « Il y a des moments où, j’espère, la langue de Guibert prend le dessus, et d’autres où c’est Marina qui a mal aux pieds. » Ce va-et-vient entre réalité et fiction, que Marina Foïs, en bonne fille de psychanalyste, effectue depuis longtemps, évoque également une dimension éthique du geste. Cabral analyse que pour Guibert, le toucher, même anodin, peut devenir un acte de soin et de reconnaissance. Le geste de l’infirmière, effleurant à peine l’écrivain, lui rappelle que l’écriture peut saisir ces micro-moments qui réconcilient le corps et la douleur. Cabral rapporte ces propos de Guibert : « Ce n’est pas une caresse ni une affection tactile, juste un geste de présence à hauteur du sommeil. »
La plume au plus près de l’os
Sur scène, Marina Foïs recrée non seulement la langue de Guibert, mais aussi son rapport au réel, toujours teinté d’ambiguïté entre la vie et la mort, grâce aux champs lexicaux du corps et des muscles que l’écrivain utilise. Maria de Jesus Cabral souligne que l’écriture de Guibert, comme le geste, « dit plus qu’il n’y paraît » et révèle une perception de l’existence marquée par l’éphémère. Marina Foïs, en l’interprétant dans Les Idoles, plonge dans cette tension vertigineuse. Sur scène, elle déploie ce que Maria de Jesus Cabral, dans Le Toucher, prospections médicales, artistiques et littéraires, décrit comme une écriture « qui tourne le texte vers cette part d’impossible dont il faut témoigner. » Foïs capte cet équilibre fragile entre le corps et le verbe, que Guibert décrit dans son Journal d’hospitalisation. Au fil du journal, il décrit des images brèves mais saisissantes : « Cette nuit, le ciel très nuageux éclairé par la lune est comme un champ de neige. » Ces fragments, comme autant de tableaux, évoquent ce que Cabral appelle « le toucher sans toucher, tâtonner en quelque sorte. » Cabral analyse cette écriture comme un moyen d’éprouver « la vérité sur le mode du vertige », une manière d’accéder à une réalité qui échappe. Sur scène, Foïs traduit cette quête en un dialogue permanent entre sa propre sensibilité et les mots de l’écrivain. Dans son interprétation, Foïs s’appuie également sur une compréhension fine de l’esthétique de Guibert. Cabral observe que son écriture, marquée par le fragment et l’introspection. Marina Foïs, en jouant Guibert, transforme le texte en une expérience sensorielle, où la douleur ressentie par Guibert se mêle à une étrange forme de beauté.
« Pour Marina Foïs, incarner Hervé Guibert, ce n’est pas une imitation, mais une évocation. » – Fabienne Darge, Le Monde
Une éthique du geste
Maria de Jesus Cabral, dans Le Toucher, prospections médicales, artistiques et littéraires, souligne que Guibert prête une attention particulière aux détails sensoriels, même les plus anodins : « Les draps ne sont pas en papier, la couverture n’est pas synthétique : de bons vieux draps d’hôpitaux bien usés. » Ce contact, d’apparence banale, devient une source de réconfort pour Guibert, un point d’ancrage pour un corps qui traverse l’épreuve de la douleur. Guibert, dans ses récits, transfigure la douleur en une expérience esthétique, comme en témoigne son écriture fragmentaire, ciselée « au plus près de l’os. » Cabral explique que cette approche s’inscrit dans une tradition stoïcienne, où l’attention portée aux sensations permet de transcender la douleur. D’autres écrivains ont tenté de mettre des mots sur cette recherche d’équilibre entre douleur et apaisement, en utilisant des outils comme la musique. Cabral cite Philippe Lançon, qui, dans Le Lambeau, décrit comment la musique de Bach devenait une présence apaisante au milieu des gestes médicaux : « Bach descendait sur la chambre et le lit et ma vie, sur les infirmières et leur chariot. » Cette réconciliation entre le sonore et le tactile, entre l’extérieur et l’intérieur, résonne dans l’interprétation de Marina Foïs, qui fait de chaque geste une note dans une partition émotionnelle complexe. L’interprétation de Marina Foïs restitue aussi ce que Cabral appelle « l’éthique du geste. » Chaque mouvement, chaque inflexion de voix devient une manière de traduire la profondeur des textes de Guibert, où le moindre détail – une caresse, un effleurement – revêt une signification universelle. Elle écrit que pour Lançon et Guibert, le geste, « foncièrement physique et éminemment métaphysique », croise l’actuel et le virtuel, l’espace et le temps. Sur scène, Foïs transcende ces dimensions pour faire de son interprétation une expérience à la fois intime et universelle.
« Ce n’est pas une caresse ni une affection tactile, juste un geste de présence à hauteur du sommeil. » – Hervé Guibert
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