Dandysme, génie et névroses

Dandysme, génie et névroses

Le 15 avril 1994, Nick Cave et son groupe The Bad Seeds sortent leur nouvel album, Let Love In. En grande partie enregistré au Metropolis studio de Londres, ce disque deviendra la quintessence de tout ce que le groupe sait faire de mieux : de la musique aussi complexe qu’effıcace.

Oscar Tesonneau

La conquête de l’ouest

Le 15 avril 1994, Nick Cave, un chanteur australien assez méconnu, sort son nouvel album, Let Love In. Comme l'indique Christophe Deniau dans sa biographie Nick Cave L'intranquille , « Let Love In n’est pas l’album le plus original du groupe : "Si chacun des disques précédents des Bad Seeds réinventait systématiquement le son du groupe, Let Love In n’apporte rien de neuf. Il synthétise tous les styles abordés par le groupe, et montre qu’ils ont enfin digéré leurs influences." Cette synthèse s'avère être la force de l'album, qui remporte un franc succès en Australie, où il monte à la 8e place des charts.

En Europe, où Nick Cave & The Bad Seeds a désormais fidélisé un public, la réussite est également au rendez-vous. Mais ce succès a encore du mal à s’exporter aux États-Unis. » Pour surmonter cet obstacle, Nick Cave et son manager saisissent l'opportunité d'intégrer le prestigieux circuit du festival Lollapalooza. Prônant un mélange de rock indépendant, de hip-hop, et d'autres formes d'expressions alternatives, le festival créé par les membres du groupe New-Yorkais Jane’s Addiction attire un public diversifié et avide de nouveautés. L'édition de 1994, où Nick Cave jouera les titres de Let Love In, sera cependant marquée par une série d'imprévus.

Après le tragique suicide de Kurt Cobain, Nirvana, prévu comme tête d'affiche, se désiste, laissant un vide immense dans la programmation. De plus, Cypress Hill annule sa participation pour se produire à Woodstock 94, et Green Day ne peut pas présenter son nouvel album Dookie. La bande à Billy Joe Armstrong doit se retirer à la suite d’une blessure de son bassiste. Malgré ces contretemps, l'affiche reste impressionnante, avec des artistes tels que les Smashing Pumpkins. Emmenés par le très charismatique chanteur Billy Corgan, le groupe de Chicago, prépare Mellon Collie and the Infinite Sadness, un album qui marquera une réelle rupture avec les tubes de Siamese Dream comme Today, qui sera très bien classé aux charts américains durant l’année 1993. C'est dans ce contexte de turbulence et de changement que Nick Cave tente de capturer l'attention du public américain, espérant que les vagues de son succès en Australie et en Europe pourront finalement atteindre les rivages américains, après avoir écrit son album dans les quartiers branchés de Londres, où il s’est fait une bonne réputation.

Un album londonien

Let Love In est un album construit au cœur du quartier de Notting Hill. Le disque, avec ses balades torturées et ses hymnes furieux, devient un miroir de l'âme tourmentée et poétique de Nick Cave selon Christophe Deniau. À chaque note enregistrée, à chaque accord mixé, Nick Cave semble chercher à capturer l'essence même de ses émotions les plus profondes et de ses réflexions les plus sombres. « La première session d’enregistrement se déroule au Townhouse III, un studio situé dans le sud de Londres, » écrit Deniau. « Ils enregistrent d'abord les deux parties de Do You Love Me ? La première ouvre le disque, la seconde le clôture, » ajoute-t-il, illustrant comment cette chanson sert de pilier central autour duquel s'articule l'ensemble de l'album. Dans son livre Nick Cave l’Intranquille , Deniau écrit que la synergie entre le chanteur australien et son groupe The Bad Seeds est palpable. Blixa Bargeld, avec ses riffs de guitare distinctifs, et les autres membres du groupe apportent chacun leur touche unique, enrichissant le tissu sonore de l'album.

« Les textes sont plus simples, plus directs. Nick a compris que de la simplicité naît l’effiıcacité. »

Dans les entrailles du studio Metropolis, l'atmosphère est chargée d'une énergie créative et frénétique. Nick Cave, avec sa passion caractéristique et son engagement sans faille, dirige chaque session avec une précision quasi chirurgicale. La pression du temps ne fait qu'aiguiser son génie musical, poussant chaque membre de The Bad Seeds à donner le meilleur de lui-même. Dans son livre Nick Cave L'intranquille , Deniau note : "La production de Tony Cohen a fait des miracles. L’album a un son d'une richesse organique majestueuse et d’un équilibre parfait, associant naturellement la guitare, le piano, et l’orgue, sans qu'aucun des trois instruments ne prenne le pas sur les autres." Ce témoignage du biographe met en lumière l'habileté avec laquelle Cohen a su capturer et équilibrer les essences variées des instruments pour créer une harmonie complète qui caractérise cet album longuement décrit par Christophe Deniau.  "Les textes sont plus simples, plus directs. Nick a compris que de la simplicité naît l’efficacité." Cette observation souligne un tournant dans l'écriture de Cave, où il abandonne partiellement le style très littéraire du Southern Gothic pour adopter une expression plus directe et viscérale de ses émotions. 

Névroses

Bien qu’il soit une production collective, entre le chanteur et son groupe, Let Love In reste un album très personnel, où Nick Cave décrit souvent ses émotions. À travers des thèmes d'amour torturé, de perte et de rédemption, le chanteur plonge son auditeur dans un voyage émotionnel intense. Certaines phrases aux accents poétiques, comme "Les cloches qui sonnent sont-elles celles d’un mariage ou d’un enterrement ? 

Difficile de s’y retrouver dans ce disque autobiographique," capturent selon son biographe Christophe Deniau l'ambiguïté et la complexité enveloppant la personnalité du chanteur. En outre, Deniau met en lumière comment les expériences personnelles de Nick influencent directement son travail : "Composé au moment où la vie intime du chanteur est en train de se décomposer, Let Love In transcende le simple cadre de l'oeuvre musicale pour devenir un exutoire pour les tourments de Cave. Cela est particulièrement évident dans des morceaux comme Thirsty Dog , où il expose sans fard ses luttes avec la  dépendance et l'auto-destruction."

 

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