Pour les 150 ans de l'impressionnisme, Le Musée d'Orsay a crée une exposition intitulée Paris 1874 Inventer l'impressionnisme. Ce mouvement, immortalisé par un livre en Facile à lire et à comprendre (FALC), rassemblait plusieurs peintres comme Paul Cézanne,
Oscar Tessonneau
La vie de Cézanne commence par un paradoxe : celui d’un homme issu d’un milieu bourgeois, destiné à prospérer dans les affaires bancaires. Il choisit de braver son destin et de s’enfermer aux côtés d’artistes bohèmes dans la précarité. L’année 1874 marque le début d’une gloire qu’il aura mis des années à obtenir, quand un poste de banquier lui aurait permis de garder un confort bourgeois. En cette année, Cézanne obtint enfin une reconnaissance publique lors de la première exposition des impressionnistes. Ses toiles, exposées aux côtés de celles de Monet et Renoir, frappèrent par leur singularité et les différences visibles entre son œuvre et celles des impressionnistes.
Dans un livre d’art intitulé Le Post-Impressionnisme, la critique Nathalia Brodskaya indique que Cézanne ne se contentait pas d’être admiré. Il voulait transformer l’impressionnisme, lui insuffler une solidité qui survivrait aux modes. Comme il le confia à Thadée Nathanson, critique à La Revue blanche, il aspirait à créer « quelque chose de solide et de durable comme l’art des musées ». Cette ambition se traduisait surtout dans ses paysages, où il réinventait la nature en la reconstruisant. Plutôt que de succomber à la vibration des couleurs, Cézanne imposait à la nature une géométrie stricte.
À Estaque, face à la Méditerranée, il peignait avec une minutie quasi rituelle. Dans une lettre à Pissarro, il décrivait ses motifs : « Des toits rouges sur la mer bleue… Ce sont des oliviers et des pins qui ne changent jamais. On pourrait y travailler des mois ». Et effectivement, les toiles de Cézanne capturent une quintessence presque irréelle : une Méditerranée faite de blocs, de couleurs primaires – bleu, rouge, vert – superposées en aplats, comme dans un jeu de cartes. Mais c’est dans son rapport à la montagne Sainte-Victoire que son art atteint sa pleine maturité. Vue depuis un promontoire, la vallée s’ouvrait à ses pieds, parsemée de maisons et d’arbres, réduits à de simples carrés et ronds. « Le tableau est fermé par la cime de la montagne, » écrit Brodskaya, rappelant que Cézanne supprimait tout ce qu’il considérait comme superflu. Et pourtant, malgré cette simplification, ses paysages n’ont rien perdu de leur poésie.
Un géomètre de la nature
Cézanne n’a jamais peint de cubes ou de cylindres. À la place, il s’attachait aux pommes, oranges, et autres fruits qui peuplent ses natures mortes. Leur patience inaltérable en faisait les modèles idéaux pour un artiste qui travaillait des jours, des semaines, voire des mois sur une seule toile. Dans ces compositions, chaque fruit devenait une forme géométrique. Les pommes étaient des sphères, les bouteilles des cylindres. Mais au-delà de leur forme, ces objets étaient pour Cézanne des constantes dans un monde en mouvement.
« La nature morte était pour lui l’essence même de la peinture, » explique Brodskaya, car elle permettait à l’artiste de s’abandonner à sa recherche obsessionnelle de perfection. L’immobilité mathématique de ses toiles révélait le poids des conventions que Cézanne cherchait à transcender. Les critiques de Cézanne contre les impressionnistes prirent une tournure plus explicite avec des œuvres comme Une Moderne Olympia. Inspirée par l’iconique Olympia de Manet, cette toile marquait à la fois un hommage et une contestation. Brodskaya rapporte cet échange mémorable entre Cézanne et le docteur Gachet :
« L’Olympia de Manet ? Moi aussi je peux faire cela, » aurait lancé Cézanne, avant que Gachet ne le défie : « Alors, faites-le ! »
Le résultat fut une œuvre provocante, une parodie volontaire. Là où Manet présentait une Victorine Meurent froide et aristocratique, Cézanne peignait une femme voluptueuse, baignant dans une lumière crue. Cette figure centrale, « en boule », comme l’écrit Brodskaya, symbolisait autant la passion brute que la douleur personnelle.
« C’était moins des tableaux que des confessions »
Peintes avec des touches sèches et nerveuses, ces toiles laissaient transparaître un mélange d’angoisse et de quête spirituelle. « C’était moins des tableaux que des confessions, » écrit Brodskaya, évoquant la charge émotionnelle de ces œuvres souvent incomprises. Pour autant, Cézanne ne se laissait pas écraser par ses propres démons. Il continuait, méthodiquement, à explorer les limites de son art.
En Provence, parfois accompagné d’amis comme Pissarro ou Guillaumin, il peignait des paysages et des baigneurs, non pas pour capter la lumière changeante, mais pour saisir l’éternité dans chaque ligne et chaque forme. Brodskaya décrit notamment Pastorale et Meurtre comme des œuvres où Cézanne « défiait la réalité pour atteindre une abstraction presque mystique ».
Cette obsession transparaissait également dans ses portraits. Hortense, sa femme, endura d’innombrables séances de pose, immobile et stoïque. Pour Cézanne, elle n’était pas un sujet à capturer dans un moment d’émotion fugace. Elle était une structure à analyser, un prétexte pour explorer les arrondis et les volumes, des courbes de son visage classique jusqu’au drapé de ses vêtements. « Hortense était un véritable modèle cézannien, » note Brodskaya, rappelant la patience inébranlable dont elle faisait preuve face aux exigences de son mari.
Dans ses dernières années, Cézanne poursuivait sa quête avec une ferveur intacte. Il peignait moins pour le public que pour lui-même, cherchant non pas à plaire, mais à comprendre. Pour lui, la peinture était un dialogue avec l’éternité, un effort incessant pour imposer à la nature un ordre qui résonnerait à travers les âges. « Cézanne, » écrivait Thadée Nathanson, « était un créateur obstiné, entièrement voué à son art, à son idée. Il n’a jamais dévié de son chemin. »
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