Anticonformiste et productif

Anticonformiste et productif

Steve Albini nous a quittés ce matin à l'âge de 62 ans. Son empreinte sur le rock indépendant a été importante, marquant les artistes et les auditeurs à travers des décennies d'innovation.

Précurseur

Rien ne le prédestinait à travailler dans ce secteur d'activité. "Steve Albini a grandi à Missoula, découvrant le punk et devenant fan des Ramones et de Suicide. Sa passion pour ces sons bruts l'a poussé à apprendre la guitare et la basse," raconte Stan Cuesta dans son ouvrage Nirvana, une fin de siècle américaine. Cette passion l'amène à Chicago, où il s'immerge dans une scène alternative en pleine ébullition. En 1980, Albini s'installe à l'université d'Evanston, près de Chicago, pour étudier le journalisme, mais son cœur bat au rythme des groupes locaux comme Naked Raygun et le label Touch & Go. Il ne tarde pas à former son propre groupe, Big Black. Comme l’indique Stan Cuesta, le groupe joue de tous les instruments avec l'aide de sa boîte à rythmes Roland TR-606, affectueusement nommée "Roland". "Albini participe à quelques groupes locaux, avant de s’acheter une boîte à rythmes et d’enregistrer seul, à l’aide d’un magnétophone 4-pistes, les six titres de son premier EP, Lungs ," souligne Cuesta. L'EP est publié sous le nom de groupe Big Black, sur le label local Ruthless Records, marquant le début d'une ère nouvelle dans le rock alternatif.

Le phénomène Big Black

Au milieu des années quatre-vingt, Steve Albini devient rapidement célèbre pour son approche sans compromis de la musique et de l'industrie. "Albini collabore à de nombreux fanzines, pour lesquels il écrit des articles radicaux (mais toujours pleins d’humour) sur les diverses tares de l’industrie musicale," écrit Cuesta. Ces écrits, à la fois critiques et hilarants, forgent sa réputation d'outsider intraitable. Le groupe d’Albini, Big Black, devient un véritable phénomène avec la sortie de l’album Atomizer en 1985. "Le groupe joue une musique violente, remplie de guitares stridentes sur fond de rythmes électroniques saturés," précise Cuesta, notant que l'album traite de sujets aussi divers que la mutilation, le meurtre et le racisme, sans jamais fléchir devant la censure ou la controverse. Enfin, le parcours de Big Black se termine avec la sortie de leur dernier album, Songs About Fucking, et une tournée d'adieu qui s'achève à Seattle en 1987. Cet événement, selon Cuesta, "agit comme un catalyseur pour la scène rock locale," influençant profondément un jeune chanteur local de Seattle : Kurt Cobain.

De Surfer Rosa à In Utero

À partir des années 90, Albini devient également un personnage central dans l'histoire de plusieurs groupes majeurs de l'époque. « Albini, qui s’est fait la main sur ses propres disques, est devenu un producteur recherché, même si, comme Jack Endino, il refuse ce titre, insistant toujours pour être mentionné ainsi. Il travaille ainsi avec Helmet, les Wedding Present, Tad, Urge Overkill, PJ Harvey, et bien d’autres," continue Cuesta. Néanmoins, c’est la collaboration d'Albini avec les Pixies qui marque un tournant dans la carrière du producteur. « Il a surtout enregistré deux albums fondamentaux pour Kurt Cobain (et pour nombre d’autres) :  Surfer Rosa des Pixies (dont le son de batterie lui rappelle celui du rock d’Aerosmith, un de ses albums de chevet) et le premier album des Breeders,» explique Cuesta. Ces albums démontrent sa capacité à capter une intensité sonore qui allait définir une ère. Néanmoins, Stan Cuesta rappelle que l’album le plus connu sur lequel Albini a travaillé reste In Utero. "Fidèle à ses principes, Steve Albini se fait payer 100 000 dollars mais refuse de toucher un pourcentage sur la vente des disques," écrit Cuesta.

 "Fidèle à ses principes, Steve Albini se fait payer 100 000 dollars mais refuse de toucher un pourcentage sur la vente des disques."

Cette approche, radicale à l'époque, met en lumière une éthique de travail centrée sur l'art plutôt que sur le profit. "L’intégralité de l’album est mixée et enregistrée en quinze jours. Kurt prétendait qu’ils auraient pu le faire en une seule semaine. Tous les instruments sont capturés live," rapporte Cuesta dans son livre.

Brutalité

Steve Albini produit In Utero à une époque où la production musicale devient de plus en plus polie et commerciale. Cette approche presque chirurgicale de l’enregistrement s'est vue cristallisée durant ces sessions énergiques. "C'était tout à fait ce dont nous avions besoin à ce moment-là. Nous voulions un album qui capture l'essence brute de Nirvana, sans fioritures. Steve a été implacable dans sa méthode pour y parvenir," a rappelé Kurt Cobain dans une rare interview où il évoque le processus derrière In Utero . Ce constat est partagé par le batteur du groupe, Dave Grohl. Après la création des Foo Fighters, l’ancien batteur de Nirvana retravaillera à plusieurs reprises avec le producteur, notamment sur l’album Sonic Highways. "Steve n'était pas là pour changer ce que nous étions. Il était là pour nous aider à être plus pleinement nous-mêmes," a expliqué Dave Grohl. "C'était rafraîchissant de travailler avec quelqu'un qui n'était pas intéressé à transformer notre son en quelque chose de vendable, mais plutôt à capturer l'authenticité de notre expression." Ainsi, la légende de Steve Albini, bien que complexe et parfois controversée, demeure celle d'un homme dédié à l'authenticité dans un monde musical souvent dominé par l'artifice.

 "C'était rafraîchissant de travailler avec quelqu'un qui n'était pas intéressé à transformer notre son en quelque chose de vendable, mais plutôt à capturer l'authenticité de notre expression."

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