Référendum Calédonien : les parlementaires créent une crise historique

Référendum Calédonien : les parlementaires créent une crise historique

L'adoption récente du projet de loi constitutionnel par l'Assemblée nationale, visant à élargir le corps électoral en Nouvelle-Calédonie, a ravivé les tensions et les passions au cœur de la ville de Nouméa.

Oscar Tessonneau

Antidémocratique

Le texte, qui permettrait à 25 000 électeurs supplémentaires résidant depuis dix ans sur l'île de participer aux prochaines élections provinciales, a profondément divisé les communautés locales entre les indépendantistes kanak du FLNKS et les loyalistes, défendant un modèle fédéral où l’exécutif peut prendre un ensemble de décisions politiques et législatives via des ordonnances, des décrets ou des projets de loi votés par les parlementaires à Paris. "Ce projet de loi a provoqué des violences urbaines à Nouméa, ce qui démontre l'ampleur du clivage au sein de la population calédonienne," nous indiquait ce matin un député écologiste. Selon lui, "l'ouverture du vote menace de diluer l'influence politique des Kanaks et de compromettre leurs aspirations à l'autonomie." Il nous indique que lui et son groupe exigent le retrait du projet de loi. Ils considèrent qu'il pourrait entraver la recherche d'un accord politique global entre les responsables calédoniens. Mais au fond, pourquoi cet accord est-il aussi complexe ?

"Ce projet de loi a provoqué des violences urbaines à Nouméa, ce qui démontre l'ampleur du clivage au sein de la population calédonienne,"

De nombreuses évolutions législatives

Lorsqu’ils entament des études de droit, tous les étudiants français apprennent que la Constitution permet au pouvoir exécutif, incarné par Emmanuel Macron et ses ministres, de présenter des projets de loi à l’Assemblée. Ces projets sont validés lors de conseils des ministres, et présentés par le ou la porte-parole du gouvernement lors d’un compte rendu, où l’actuelle porte-parole, Prisca Thévenot, répond aux questions des journalistes. Lorsque le projet de loi entame une navette parlementaire, il est validé lorsque les trois cinquièmes des deux assemblées valident un projet de loi. Hier soir, le vote fut validé par des parlementaires, représentant toutes les circonscriptions de France et de Navarre à l’Assemblée nationale et au Sénat, votant très loin de Nouméa. Pourtant, les universitaires Frédéric Chantreuil et Jean-François Hoarau écrivent dans un dossier pour la revue "Cahiers français" que la constitution française offre un statut particulier aux territoires ultramarins : "La Nouvelle-Calédonie, en vertu des articles 76 et 77 de la Constitution française, dispose d'une autonomie renforcée qui lui permet un transfert de compétences élargi et la définition de sa propre citoyenneté calédonienne." expliquent les auteurs. Cette spécificité lui confère une capacité unique à façonner ses politiques internes. Ce principe fut totalement bafoué par le vote d’hier. « En Nouvelle-Calédonie, écrit Chantreuil, le régime sui generis ou à statut particulier permet non seulement un large éventail de gouvernance autonome mais également une implication directe dans des domaines normalement réservés à l'État, tels que certaines questions de relations internationales," ajoutent Chantreuil et Hoarau.

"La Nouvelle-Calédonie, en vertu des articles 76 et 77 de la Constitution française, dispose d'une autonomie renforcée qui lui permet un transfert de compétences élargi et la définition de sa propre citoyenneté calédonienne." 

Un territoire atypique

Dans le cadre du développement des territoires ultramarins français, la Nouvelle-Calédonie se distingue par un parcours exceptionnel qui a vu l'application de politiques publiques ciblées, visant à promouvoir le bien-être de ses habitants et l'autonomie économique. Selon Frédéric Chantreuil et Jean-François Hoarau, auteurs du dossier dans "Les Cahiers français", "L'action publique en outre-mer a connu trois phases distinctes, la première démarrant en 1946 avec l'amélioration des infrastructures de base pour soutenir le bien-être humain, notamment les logements, les hôpitaux, les écoles et l'électrification. La dernière phase est basée sur un ensemble de mesures visant à renforcer les structures économiques et institutionnelles des territoires, notamment à travers des politiques actives de l'emploi, telles que la prime à l'emploi et les contrats aidés, ainsi que le soutien à l'investissement productif via la défiscalisation et les fonds d'investissement de proximité outre-mer," continuent Chantreuil et Hoarau. Ces initiatives ont été essentielles pour encourager une autosuffisance bafouée par le projet de loi adopté hier à l’Assemblée.

"L'action publique en outre-mer a connu trois phases distinctes, la première démarrant en 1946 avec l'amélioration des infrastructures de base pour soutenir le bien-être humain, notamment les logements, les hôpitaux, les écoles et l'électrification. La dernière phase est basée sur un ensemble de mesures visant à renforcer les structures économiques et institutionnelles des territoires, notamment à travers des politiques actives de l'emploi, telles que la prime à l'emploi et les contrats aidés, ainsi que le soutien à l'investissement productif via la défiscalisation et les fonds d'investissement de proximité outre-mer"

"Le président a confirmé son intention de réunir le Congrès avant la fin juin si aucun accord sur un nouveau statut du territoire n'est trouvé,"

Face à cette impasse, le président Emmanuel Macron a appelé à un renouveau du dialogue entre les deux camps. "Le président a confirmé son intention de réunir le Congrès avant la fin juin si aucun accord sur un nouveau statut du territoire n'est trouvé," nous indique un porte-parole de l'Élysée sur la messagerie cryptée Telegram. Cette démarche vise à définir une citoyenneté calédonienne qui respecterait les différentes phases de développement de l’île, tout en préservant l'unité nationale, et en continuant son développement économique. Actuellement, les directives de développement pour les outre-mer cherchent à réduire leur dépendance économique externe. Les modèles de développement insulaire, notamment le modèle « MIgration, Remittances, Aid, and Bureaucracy » (MIRAB), soulignent l'importance de diversifier les économies locales. "L'autonomie énergétique grâce à l'exploitation des énergies renouvelables est une priorité pour réduire la dépendance énergétique des territoires ultramarins d'ici à 2050," indiquent Chantreuil et Hoarau dans leur dossier des Cahiers Français, reflétant une stratégie d'émancipation économique et écologique. Cette autonomie serait complémentaire à l'augmentation de la production locale de nourriture pour minimiser les importations coûteuses et les impacts environnementaux associés au transport de marchandises vers ces îles. Les auteurs du dossier mentionnent également deux rapports des économistes Godfrey Baldacchino et Geoffrey Bertram. Dans une étude publiée par la revue The Round Table, ils mettent en lumière trois modèles principaux de développement insulaire. Le premier, le modèle « Small Island Tourism Economy » (SITE), est prévalent dans les petites îles comme La Nouvelle-Calédonie où le tourisme domine l’économie. Ce modèle souligne l'importance de maintenir des infrastructures et services de qualité pour rester compétitifs. "Dans les outre-mer françaises, bien que le niveau de vie soit élevé, la compétitivité tarifaire reste limitée. Il est donc essentiel que l'attractivité repose sur la qualité des installations et l'environnement naturel pour se distinguer," expliquent les auteurs du dossier des Cahiers Français. Le second modèle, « People, Resources, Overseas management, Finance and Transport » (PROFIT), illustre une approche plus diversifiée. "Ce modèle caractérise les petites économies insulaires qui ont une capacité d'autonomie politique et financière notable, et une structure économique diversifiée incluant l'industrie légère, les ressources naturelles, la finance offshore, et le secteur immobilier," précisent Baldacchino et Bertram. Enfin, ils indiquent que ces économies tirent également parti des transferts publics et de l'exploitation des pavillons de complaisance, ce qui les rend particulièrement résilientes et adaptatives aux défis économiques de demain. "L'objectif pour les outre-mer est de réduire les déséquilibres par une intégration accrue avec les marchés régionaux, améliorant ainsi l'accès aux approvisionnements et aux débouchés, essentiels pour pallier les inconvénients de leur éloignement de la métropole."

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