Marseille perd l’un de ses plus célèbres barons

Marseille perd l’un de ses plus célèbres barons

Jean-Claude Gaudin, figure emblématique de la politique marseillaise, a récemment tiré sa révérence, laissant derrière lui un héritage complexe et contrasté.

Oscar Tessonneau

Melting-pot

Sénateur et maire de Marseille de 1995 à 2020, Gaudin a marqué de son empreinte la cité phocéenne. L’analyse de Jean Viard dans son ouvrage Marseille, le réveil violent d'une ville impossible offre un regard perspicace sur les défis auxquels Gaudin a dû faire face pendant ses mandats. "Avec l’élection de Jean-Claude Gaudin, il y eut une espèce de partage de la cité. Les arrondissements populaires gagnés par la gauche au nord et au centre côté Joliette furent délaissés," révèle Viard. Cette politique a souvent été perçue comme favorisant certaines parties de la ville au détriment d'autres, exacerbant les disparités socio-économiques que Gaudin a tenté de combler grâce au projet Euroméditerranée. Viard précise que ce projet visait à revitaliser et moderniser le front de mer de Marseille. Cependant, il ajoute que ce projet a isolé de nombreux habitants dans les quartiers nord de la ville, négligés par Jean-Claude Gaudin. Ces choix ont engendré des tensions et des frustrations au sein de la population. "C’est là que l’on perçoit bien l’absurdité des positions des uns et des autres car, qu’on le veuille ou non, ces habitants sont au cœur de la métropole, ils sont une part importante de sa jeunesse, mais personne n’en veut !" écrit Viard, pointant du doigt le clivage entre les différentes composantes de Marseille. Ainsi, la disparition de Jean-Claude Gaudin clôt un chapitre de l'histoire politique de Marseille, mais laisse ouvertes de nombreuses questions sur l'avenir de cette ville complexe, où les populations aisées des boulevards Chave cohabitent avec les habitants de La Castellane, l’une des cités les plus pauvres de France. Ses mandats, bien que marqués par des tentatives de transformation et modernisation de son fief, resteront dans les mémoires pour son dualisme marqué, oscillant entre progrès et négligence, intégration et exclusion.

Un baron dans son fief

Jean-Claude Gaudin, figure marquante de la politique marseillaise, incarne à la fois l'archétype du politique local enraciné dans son fief et les dilemmes posés par les longues carrières politiques. Comme l'évoque Olivier Babeau dans son essai L'horreur politique, L'État contre la société, la longévité exceptionnelle de carrières comme celle de Gaudin pose question. "Il faudrait ainsi que nul ne puisse rester en politique plus de six ou douze ans pour que le retour à la ‘vie civile’ puisse avoir lieu dans les meilleures conditions," suggère Babeau, proposant une limite de temps aux carrières politiques pour éviter l'usure du pouvoir sans entamer des projets aussi ambitieux que ceux d’anciens maires de Marseille comme Gaston Deferre. "Parfois – et c’était le talent de Gaston Defferre – on peut exiger une réalisation forte et le système le tolère car c’est le privilège reconnu du maire," écrit Viard, rappelant l'époque où des maires comme Defferre pouvaient impulser des transformations majeures comme la création de la Corniche ou des plages bordant Marseille. Comparativement, "Jean-Claude Gaudin s’est laissé porter par le flux et n’a pas su poser quelques réalisations solides originales. Sauf le palais de la Glisse – qui est une erreur," ajoute Viard. Néanmoins, l’analyse de Jean Viard, dans son essai "Marseille, le réveil violent d'une ville impossible" ne se contente pas de critiquer Gaudin, mais explore aussi la nature intrinsèquement complexe de la gouvernance à Marseille. "À Marseille, il faut laisser fonctionner un système complexe de quartiers et de communautés, de réseaux et de solidarités," écrit Viard. Cette observation révèle une dynamique de dépendance où les projets locaux s'appuient souvent sur le soutien et les fonds de l'État, soulignant un certain déficit d'autonomie politique, notamment dans ces quartiers du nord de la ville gangrénés par le trafic de drogue.

 « La métropole sera la ville politique qui ici n’a jamais existé, pas plus à Aix qu’à Mazargues, à Arles, à l’Estaque ou à Aubagne. »

Pour répondre aux difficultés de mise en place des politiques publiques, Jean Viard précise que la vision métropolitaine est proposée comme une solution pour surmonter les défis politiques et administratifs de Marseille. "La métropole sera la ville politique qui ici n’a jamais existé, pas plus à Aix qu’à Mazargues, à Arles, à l’Estaque ou à Aubagne," note Viard. Cette métropole, espère-t-il, fonctionnerait non pas sous le signe de la hiérarchie, mais comme un réseau collaboratif de projets et d'investissements, transformant le delta rhodanien en un espace de coopération renouvelée. "Avec le pouvoir métropolitain, on va fonder le pouvoir politique manquant, mais un pouvoir en réseaux, en projets, en concentration d’investissements, pas un pouvoir de prestige et de domination : celui d’un corps politique collaboratif au niveau du delta rhodanien," projette Viard, illustrant une approche modernisée et intégrée de la politique qui pourrait finalement amener la solidarité nécessaire et la vision stratégique pour Marseille et ses environs."

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