Laissez-les grandir !

Laissez-les grandir !

Reportage

Jeudi 23 mai, la députée écologiste des Hauts-de-Seine Francesca Pasquini a rassemblé un ensemble de spécialistes des violences sexuelles sur les mineurs afin de présenter sa prochaine proposition de loi.

Oscar Tessonneau

Indescriptible



Aussi sombre que peut l’être une chambre d’enfant, dans laquelle le souvenir de l’inceste, ou l’acte en lui-même, peut détruire une vie, la salle Victor Hugo de l’Assemblée nationale s’est transformée, le temps d’un après-midi, en un lieu unique où toutes les lumières s’allumaient. Le temps d’un colloque, élus, intellectuels et militants associatifs ont été rassemblés par la députée NUPES Francesca Pasquini. L’élue des Hauts-de-Seine présentera dans quelques jours sa proposition de loi sur les violences sexuelles subies par les mineurs. Pasquini inaugure le colloque en donnant quelques chiffres. Glaçants, ces derniers ont été obtenus grâce à un travail sans précédent mené par une commission civile, la CIVISE."Chaque année en France, 166 000 enfants deviennent victimes de violences sexuelles, soit un enfant toutes les trois minutes." Afin de décrire l’horreur, la députée se tait. Il semblerait qu’à ses yeux, l’inceste soit un acte aussi ignoble qu’il est impossible de le décrire. Elle marque une pause, laissant le poids du sujet imprégner l'auditoire, puis reprend sa sombre tirade. "À la fin de ce colloque, plusieurs enfants auront été violés." Impensables, ces traumas sont ceux que doit régulièrement prendre en charge la psychiatre Muriel Salmona, alertant le public sur les conséquences psychiatriques d’un viol. "Les conséquences à court, moyen et long terme incluent des dépressions répétées, des pensées suicidaires et des morts précoces." Enfin, Salmona précise que ces problèmes de santé seraient également liés à un manque criant de soins spécialisés pour les victimes. "Seuls entre 5 et 10 % des enfants victimes de violences reçoivent les soins immédiats nécessaires, et à peine 8,5 % ont accès à des soins spécialisés." À partir de ce constat, elle appelle à une action urgente, sur des points juridiques assez complexes qu’ont commentés Francesca Pasquini et plusieurs avocats présents au colloque.

"Seuls entre 5 et 10 % des enfants victimes de violences reçoivent les soins immédiats nécessaires, et à peine 8,5 % ont accès à des soins spécialisés."

Vide juridique

Comme toute proposition de loi, le texte que portera Francesca Pasquini à l’Assemblée nationale permettra de modifier certaines lois. Ici, ce sont des articles du code pénal qui seront modifiés. Ces derniers ont longuement été analysés par l’avocate en charge du procès de Gérard Depardieu. "Il est courant de voir dans les plaidoiries des avocats de la défense l'idée dépassée et profondément fausse de l'enfant aguicheur, du jeune qui aurait provoqué son agresseur. Ces stéréotypes sont non seulement offensants mais dangereux, car ils déplacent la responsabilité des actes de l'agresseur vers la victime." Elle détaille un cas imminent pour illustrer son propos : "Dans deux semaines, je représente une jeune fille de 15 ans lors de son procès. Elle était dans une colonie de vacances quand elle a été agressée par son moniteur. La défense du moniteur se concentre encore sur la prétendue provocation par la victime, malgré les modifications législatives apportées par la loi du 21 mai 2021 qui devraient théoriquement protéger les mineurs dans de telles circonstances." Qu’ils soient juridiques ou psychologiques, ces problèmes liés aux traitements de l’inceste sont, selon l’actrice et autrice Vahina Giocante, le reflet d’une société malade. Teinté d'urgence et de frustration face à un système qui souvent néglige les plus vulnérables, l’actrice appelle à une remise en question des priorités sociétales : "La société entière doit les protéger, afin que plus rien ni personne ne puisse les briser. Je sais que mon témoignage n'est qu'une goutte dans un désert, mais ensemble, ces gouttes d'eau peuvent créer des oasis, voire même des océans."

"La société entière doit les protéger, afin que plus rien ni personne ne puisse les briser. Je sais que mon témoignage n'est qu'une goutte dans un désert, mais ensemble, ces gouttes d'eau peuvent créer des oasis, voire même des océans."

Le changement c’est maintenant

Les défis sociétaux et institutionnels abordés lors du colloque sont nombreux. Ils mettent en lumière le volume élevé de plaintes reçues et l'étendue des violations des droits des enfants, particulièrement en matière de scolarisation et d'accès aux soins pour les enfants handicapés. "Depuis mon entrée en fonction, nous avons traité environ 14 000 dossiers concernant des atteintes aux droits des enfants. Cela inclut des situations de non-scolarisation, de handicap non pris en compte, et même des cas d'enfants pris dans des dérives sectaires ou de traite des êtres humains." Néanmoins, la principale institution dans laquelle ces changements sociaux pourraient provoquer un tsunami reste l’hôpital public. La psychiatre Muriel Salmona précise que les mœurs ne pourront pas changer si l’on ne dote pas l’hôpital public de moyens conséquents pour aider les victimes d’inceste. Elle critique les délais actuels de prise en charge des victimes et les obstacles rencontrés par ceux qui cherchent à accéder aux soins nécessaires. "Même s'ils obtiennent un rendez-vous après un an, il est peu probable qu'ils soient reçus par un professionnel spécialisé en psycho-trauma. C'est pourquoi il est urgent de former les médecins et de fournir des informations claires et accessibles sur les soins disponibles." L’une des solutions les plus concrètes proposées par Salmona est la création d'un parcours de soins clair et gratuit, pris en charge par la sécurité sociale, comprenant des soins médicaux pluridisciplinaires. "Nous proposons un parcours de soins fléché, avec des consultations médicales, corporelles et somatiques renouvelables, qui changerait radicalement la situation."

Retour au blog

Laisser un commentaire