Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne, ils partiront

Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne, ils partiront

Après le triomphe de l’extrême-droite, ayant remporté plus de 40 % des suffrages aux élections européennes, la gauche aura trois semaines pour partir en campagne, aux côtés d’élus ruraux voyant leurs permanences fermer au fil des années.

Oscar Tessonneau

 Cauchemar

Tout commence dimanche soir. Il est environ 20h lorsque Jordan Bardella incite Emmanuel Macron à dissoudre L’Assemblée nationale, pour convoquer de nouvelles élections législatives. « Ce n’est qu’un énième coup de com, similaire à ceux qu’il fait sur Tiktok » nous confie la députée socialiste de Seine-Saint-Denis, Fatiah Keloua Hachi, lorsque nous la rencontrons au rassemblement de Raphael Glucksmann à La Bellevilloise (Paris 20ème). Très énervée par le discours de la tête de liste du Rassemblement National (RN), cette dernière ne dit plus un mot au moment où Emmanuel Macron annonce qu’il dissout L’Assemblée nationale. Cette élection législative sera historique. Bien que ces scores soient faibles en milieu rural, elle reste bien ancrée avec des élus dans un tiers des communes de plus de 3 500 habitants, 27 conseils départementaux sur 95 et 8 régions sur 15. Cependant, la reconquête des territoires ruraux semble plus incertaine que jamais. "Lorsque des élus locaux de gauche se retrouvent entre eux, même s’ils déplorent une gauche qui est au plus mal, critiquent un national déconnecté, ils gardent espoir." écrit le Vice-Président en charge de l'Agriculture et de l'Aménagement solidaire du territoire chez Conseil Départemental du Lot, Rémi Branco. Dans son essai, Loin des villes, loin du cœur : La gauche peut-elle regagner les campagnes, il souligne également l'importance de s'adresser aux populations souvent oubliées, qui représentent une part significative de l'électorat rural.

"J’ai cru un temps moi aussi à ce mirage, certain que la somme des collectivités détenues par la gauche constituait à elle seule un socle suffisant pour construire l’alternance à venir, convaincu aussi que les talents qui s’y trouvent deviendraient naturellement les leaders nationaux de demain" écrit Branco. Les résultats obtenus hier par Jordan Bardella dans les territoires ruraux montrent qu’il s’est trompé. En effet, la transformation du paysage politique français, avec l'entrée massive des réseaux sociaux comme Tiktok où les élus d’extrême-droite passent énormément de temps, a bouleversé les schémas traditionnels de construction de carrières politiques nationales basées sur l'engagement local. "Ce saut dans l’inconnu est vertigineux. Il remet en cause tous les schémas établis de la construction de parcours politiques nationaux fondés au préalable sur un engagement dans un appareil politique, sur la conquête et l’exercice de mandats locaux", observe Branco dans son essai.

 La fin des baronnies

Si la gauche veut regagner les campagnes, elle devra non seulement reconstruire ses bastions locaux mais aussi s'adresser directement aux besoins et aux aspirations des populations rurales, notamment celles en situation de handicap mental, pour espérer créer une dynamique électorale suffisante pour les prochaines législatives, qui se joueront beaucoup sur les réseaux sociaux. "L’époque où les ancrages locaux respectifs de la gauche et de la droite permettaient d’amortir les échecs en cas d’alternance semble révolue. Ils ne constituent plus une garantie de résistance pour les députés de gauche, en particulier dans certaines zones rurales où leur notoriété prédominait auparavant," observe Branco. Dans son essai, il déplore le manque de contacts réels entre les élus et leurs administrés, qui se sédentarisent et passent plus de temps sur leurs écrans "Sur le terrain et en particulier en milieu rural, le contraste est de plus en plus frappant entre des débats nationaux surpolitisés, où une polémique chasse l’autre, et une vie politique locale, où les projets mettent du temps à être pensés, financés puis réalisés," écrit Branco. Ainsi, faute de se sentir représentés par une force politique ou des leaders en résonance avec leur action locale, les élus ruraux s’en remettent à un discours plus neutre où on ne fait pas de politique. "On a le cœur à gauche, mais le verbe plus timide." précise ce dernier.

 Le militantisme meurt

Si la gauche ne gagne pas de nombreuses circonscriptions en juillet, cet affaissement pourrait s’accélérer à mesure que se tarit la base militante, ce réseau si précieux pour faire campagne, mais aussi pour détecter, accueillir et former des futurs sur des scrutins plus prestigieux comme les élections européennes "Sans ces milliers de permanents et militants qui donnent de leur temps, comment seront choisis les futurs candidats, a fortiori lorsqu’ils sont dans l’opposition ? De regroupements en fermetures, ces sections autrefois lieux de convivialité et de rencontres s’éloignent du domicile des militants et il devient de plus en plus difficile, voire pénible, de s’y retrouver" écrit Branco. En effet, la raréfaction des services publics ainsi que la fermeture progressive de sites industriels ruraux ont affaibli la présence et le dynamisme syndical et politique dans La France des terroirs. Si fort il y a encore quelques années, le lien entre le syndicalisme ouvrier et la gauche est remis en cause par l’adhésion de certains responsables syndicaux au RN. Ainsi, sans structuration partisane ni débouché politique, les derniers militants de gauche perdent en légitimité. "Cette dépolitisation progressive des discours des élus de gauche au profit d’une « notabilisation » d’une part et de mobilisations éparses et ponctuelles d’autre part conduit progressivement à désarmer la gauche," observe Branco, dans une France rurale que la gauche doit conquérir si elle veut survivre.

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