Crèches privées : les parlementaires étudient des solutions pour réguler leurs marges

Crèches privées : les parlementaires étudient des solutions pour réguler leurs marges

Au terme de six mois d’auditions et de déplacements, la Commission d’enquête parlementaire sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil des jeunes enfants se réunit ce lundi 27 mai pour voter le texte rédigé par la rapporteuse, la députée Sarah Tanzilli (Renaissance, Rhône).

Oscar Tessonneau

Les dérives du secteur des crèches privées

Le document de 276 pages, que les journalistes du Monde ont pu consulter, explore les dérives du secteur après la mort par empoisonnement, en 2022, à Lyon, d’un bébé de 11 mois dans une crèche privée. Ce système, d’une grande complexité, a engendré de nombreux « effets pervers », touchant à la fois les gestionnaires, contraints de surveiller de très près le taux de remplissage de leur structure pour assurer le meilleur taux de facturation possible, les parents, qui ont des restes à charge très différents selon le type d’établissement d’accueil de leur enfant, et, de manière générale, la qualité d’accueil des enfants. « Le modèle économique des crèches génère des dérives qui affectent la qualité de l’accueil proposé aux enfants et qui engendrent des surcoûts injustifiés », analyse Julie Marty Pichon, Éducatrice de Jeunes Enfants (EJE).

Dans son essai J'ai mal à ma crèche, Marty Pichon écrit que les entreprises de crèches rapportent beaucoup d’argent : « Le secteur des crèches privées lucratives représente aujourd’hui de l’ordre de 1,1 à 1,4 milliard d’euros de chiffre d’affaires et entre 21 000 et 26 000 salariés en équivalent temps plein. Il comprend plusieurs centaines d’entreprises dont les quinze premières concentrent 65 % des places de crèches et dont cinq d’entre elles sont des entreprises de taille intermédiaire Babilou, Crèche Attitude, Les Petits Chaperons Rouges dont certaines se développent à l’international ». Marty Pichon précise même que certaines entreprises de crèches, comme Babilou, auraient 12 000 collaborateurs dans le monde,1100 crèches et un chiffre d’affaires de 800 millions d’euros. Ces structures ont fondé leur modèle économique sur la vente de places à des entreprises ou des organismes publics.

Une situation injuste

Comme l’écrit Marty Pichon, ce système permet à n’importe quelle entreprise soumise à l’impôt sur les revenus ou les sociétés de réserver des places pour leurs salariés. La place est alors réservée exclusivement pour un salarié de cette entreprise. On pourrait penser que c’est une bonne chose d’accompagner les entreprises pour créer des places en crèche étant donné le manque de places justement. Le problème, selon Marty Pichon, est que ces créations se font « sur le dos » des fonds publics tout en permettant à ces mêmes entreprises d’obtenir des marges et des seuils de rentabilité importants. Elle précise : « En 2017, l’[Inspection générale des affaires sociales Igas et l’Inspection générale des finances (IGF)dans leur revue de dépenses estimaient que le Crédit d’Impôt Famille (CIF) permettait vraisemblablement d’atteindre des niveaux de rentabilité de l’ordre de 40 % du chiffre d’affaires par place, dans une structure PAJE comme dans une structure PSU ». Marty Pichon conclut en affirmant que « ces créations se font sur le dos des fonds publics tout en permettant à ces mêmes entreprises d’obtenir des marges et des seuils de rentabilité importants », mettant en difficulté les gestionnaires publics et associatifs.

À la conquête d’un marché

Face à ce problème, Sarah Tanzilli propose donc d’engager une réforme structurelle  du modèle économique des crèches. La députée Renaissance veut revoir le système de tarification horaire des crèches, en privilégiant un financement forfaitaire, et mettre fin à la pratique de réservation des berceaux par les entreprises en la remplaçant par un fonds abondé par ces dernières. « Dans l’immédiat, il faut renforcer les contrôles inopinés de toutes les structures pour améliorer la qualité d’accueil », indique Mme Tanzilli, convaincue que les communes doivent être renforcées dans leur rôle d’autorités régulant un marché extrêmement lucratif. Selon Julie Marty Pichon, ces contrôles s’effectueront grâce au développement des délégations de service public (DSP). Elles seront chargées du contrôle de la mise en concurrence entre les crèches associatives et les crèches d’entreprise.

Selon le Code général des collectivités territoriales, « une délégation de service public (DSP) est un contrat par lequel une personne morale de droit public confie la gestion d’un service public dont elle a la responsabilité à un délégataire public ou privé, dont la rémunération est substantiellement liée aux résultats de l’exploitation du service ». Dans le secteur de la petite enfance, la délégation est quasi exclusivement donnée à un prestataire privé lucratif, mutualiste ou associatif. Cette délégation peut se faire sous forme de DSP ou de marché à procédure adaptée (Mapa), où le contrat est moins rigide que pour une DSP. Julie Marty Pichon souligne que grâce aux DSP « le secteur de la petite enfance est donc devenu un marché au même titre que n’importe quel autre secteur comme le bâtiment. Qui dit marché, dit appel d’offres ». Ces appels d’offres sont effectués par la mairie et les intercommunalités. Elles confient la gestion d’une crèche à un prestataire comme Babilou, réalisant plus de 20 millions d’euros tous les ans. Néanmoins, Marty Pichon écrit que l’obtention d’un marché public se fait toujours à partir de plusieurs appels d’offres. « Depuis la circulaire Fillon de janvier 2010, les collectivités territoriales doivent ouvrir à la concurrence si le montant de la subvention excède 500 000 euros sur trois ans. »

Le business des crèches privées

De plus, Marty Pichon écrit que l’ouverture à la concurrence a eu pour effet de porter en DSP des services qui étaient jusque-là gérés en régie directe, c’est-à-dire avec des fonctionnaires territoriaux. Ils ont également transformé des gestions associatives en gestions privées lucratives. Marty Pichon écrit que depuis quelques années, le recours aux DSP s’est largement amplifié. « En 2011, les crèches municipales représentaient 61 % du parc, les crèches associatives représentaient 30 %, tandis que les crèches privées à but lucratif ne représentaient que 6,5 %. En 2020, les crèches municipales ne représentaient plus que 46 % du parc, les crèches associatives seulement 22 %, en revanche les crèches privées à but lucratif 31 %." Marty Pichon précise que, parce que ce n’est pas suffisant, un groupe de crèches privées qui s’est rendu compte que des collectivités résistaient à l’appel du privé lucratif dans certains territoires. "Ce groupe a donc créé une association dont la présidente n’est autre que la compagne du PDG de ce groupe. Il répond alors à la DSP sous forme associative tout en se targuant d’avoir les « reins solides » car l’entreprise de crèches est en soutien », conclut Marty Pichon. Ainsi, la députée Sarah Tanzilli devra proposer une réforme structurelle du modèle économique des crèches. Selon les journalistes du Monde, la députée plaide pour l’alignement progressif du mode de financement des crèches sur un mécanisme identique pour toutes les structures, qu’elles soient associatives ou privées. L’horizon 2027, date de la prochaine convention d’objectifs et de gestion, est suggéré pour tous ces changements. « Dans l’immédiat, il faut renforcer les contrôles inopinés de toutes les structures pour améliorer la qualité d’accueil », indiquait Mme Tanzilli au Monde, convaincue que les communes doivent être renforcées dans leur rôle d’autorités organisatrices.

Retour au blog

Laisser un commentaire