Béziers : le laboratoire du nouveau nationalisme

Béziers : le laboratoire du nouveau nationalisme

Robert Ménard, maire de Béziers depuis 2014, n'a jamais caché ses opinions tranchées sur la sécurité, l'immigration et sa volonté de transformer sa ville en un laboratoire de ce qu'est devenue l'extrême-droite moderne, qui portera probablement Jordan Bardella à Matignon dimanche prochain.

Oscar Tessonneau

Sécurité et immigration

"L’immigration est une préoccupation pour beaucoup. Je suis maire d’une ville de province de 80 000 habitants. Chez moi, c’est la préoccupation première, avec celle du pouvoir d’achat". Rapportés ce jeudi par les journalistes de L’Express, ces propos du maire de Béziers montrent dans quelle mesure il s’est attaqué aux défaillances de l'État sur les deux sujets préférés de l’extrême-droite : la sécurité et l’immigration. En effet, Ménard critique les limitations imposées aux polices municipales qu’il soutient massivement depuis bientôt dix ans. « Lorsque j’ai été élu, la ville ne comptait que moins de trente policiers municipaux, inactifs le soir et le week-end. Aujourd'hui, ils sont 124, armés et opérationnels vingt-quatre heures sur vingt-quatre, tous les jours de l'année. De plus, le nombre de caméras de vidéosurveillance est passé de 30 à 440. » Il en déduit que les maires payent très chers pour des policiers municipaux qui ont des pouvoirs trop limités, et cela au nom de la défense des libertés. Néanmoins, derrière ces actions visant à améliorer la sécurité des habitants de Béziers se cache un tout autre récit, qu’a longuement décrypté l’historien Nicolas Offenstadt. Dans son ouvrage La Croisade de Robert Ménard : Une bataille culturelle d’extrême droite, il analyse comment Ménard utilise la peur pour nourrir ses objectifs politiques. "Notre époque est dangereuse, notre avenir incertain," dit Ménard lors d’une célébration de la fête nationale, où il se dit nostalgique d’une certaine France.

Nostalgie

La vision du monde alarmiste et quasi millénariste de Robert Ménard, selon Offenstadt, renvoie à un âge d'or idéalisé, rappelant fortement celui que décrit Éric Zemmour dans un clip de campagne où il annonce sa candidature à l’élection présidentielle, en évoquant son souhait de revoir la France calme et prospère des années 70. "Face au présent voué aux gémonies s’oppose un passé idéalisé qui nie toute complexité et toute nuance, au prix très souvent d’anachronismes et de simplifications, voire de manipulations," écrit Offenstadt. Cette exaltation d'un passé perdu et cette description d'une France menacée intrinsèquement de dissolution sont au cœur de la stratégie de Ménard pour promouvoir son programme d'exaltation identitaire et de séparatisme ethnoculturel à Béziers. A titre d’exemple, Offenstadt rappelle que lors des commémorations de la guerre 14-18, Robert Ménard posait des questions provocatrices dans de nombreux discours : "Ceux qui sont morts pour sauver la France de la victoire allemande, que diraient-ils en voyant certaines rues de nos communes où le Français doit baisser la tête ?" Cette rhétorique, également adoptée jeudi soir par Jordan Bardella sur le plateau de France 2, vise à créer un fossé entre une France idéalisée et la réalité contemporaine, jouant sur la nostalgie et la peur de l'autre. En effet, Ménard n'hésite pas à évoquer des figures historiques pour que les habitants de sa ville s’imprègnent des éléments de langage d’Eric Zemmour ou Jordan Bardella. Par exemple, Ménard mentionne souvent Daniel Cordier, secrétaire de Jean Moulin et ancien militant de l'Action française, pour insinuer que la France libre était essentiellement portée par les monarchistes. "Autour de De Gaulle, on retrouvait des gens venus de la droite la plus dure, qui feraient passer Marine Le Pen pour une centriste," affirme-t-il.

Résistance 

Comme le rappelle l’historien Nicolas Offenstadt, l’un des autres axes de communication de Robert Ménard consiste à exalter la notion de "résistance". Le récit ménardien identifierait ainsi la ville de Béziers à une forme de résistance au pouvoir central. "Robert Ménard a bien compris ce ressort et il sait parfaitement en jouer," écrit Offenstadt. Ménard endosse les habits du résistant et se pose en continuateur de cette histoire, comme pouvait le faire jeudi soir Jordan Bardella sur France 2, ou Éric Zemmour aux treize heures de France Inter, en présentant son parti comme un outil de résistance contre la menace islamiste. "Au prisme ménardien, la résistance, c’est celle d’une ville qui l’a porté au pouvoir et qui adhère à son idéologie d’extrême droite," souligne l'historien. Or, il s'agit d'une résistance face au politiquement correct, à "l’idéologie gauchiste" et à la "bien-pensance" qu'il dénonce régulièrement. L'évocation de la Résistance par Robert Ménard est uniquement nationale et patriotique. L'aspect gaullien et les réalisations sociales du programme du CNR sont totalement absents du récit que Ménard, et d’autres associations d’extrême-droite comme Némésis, ayant utilisé jeudi soir le réseau social, après une rixe au cœur de la place république, que la violence ne venait plus du GUD mais des mouvements antifacistes d'extrême-gauche, la résistance prend une autre forme. Comme Alice Cordier et les militantes de Nemesis, Ménard choisit des moments et des figures historiques qui soutiennent sa relecture idéologique de l'histoire. "En réalité, quand il parle de résistance, Robert Ménard ne parle que de lui et de son combat politique," note Offenstadt. En jouant ainsi sur des ambiguités sociaux-historiques, Robert Ménard, Damien Rieu, Jordan Bardella ou Alice Cordier ont favorisé l’implémentation de l’extrême-droite dans l’espace public.

 

 

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