Avec sa politique de l’offre, Bruno Le Maire a dégradé la prise en charge du handicap en France

Avec sa politique de l’offre, Bruno Le Maire a dégradé la prise en charge du handicap en France

En poste à Bercy depuis 2017, Bruno Le Maire a adopté une politique de l’offre pour relancer l’économie française. Bien que le chômage ait baissé à environ 7% puis 14% pour les travailleurs en situation de handicap, ces choix économiques n’ont pas eu l’impact attendu sur l’économie française, qui produit toujours trop peu de ressources.

Oscar Tessonneau

Bruno Le Maire est arrivé aux commandes du ministère de l'Économie et des Finances en 2017 avec une conviction : appliquer la politique de l'offre à grande échelle pour remettre les Français au travail. Assez abstraite au premier abord, sa mission était extrêmement simple. Il souhaitait stimuler la croissance en réduisant les impôts locaux comme la CVAE sur les entreprises et les plus riches, tout en maîtrisant les dépenses publiques pour que la dette française ne dépasse pas les 3% de son PIB. Très risqué, puisque de nombreux publics fragiles comme les personnes en situation de handicap restent très souvent ouvriers ou usagers d’Esat sans avoir de réels salaires, cette politique a rapidement montré ses limites. Dans un rapport du Sénat intitulé « Chronique d’une dérive budgétaire annoncée », co-rédigé par Jean-François Husson et Claude Raynal, le rapport mettait déjà en garde contre des prévisions budgétaires jugées « trop fragiles ». Pourtant, Bruno Le Maire et son collègue Thomas Cazenave, en charge des Comptes publics, ont retardé la transparence, ne révélant que tardivement, en juillet 2024, un déficit de 5,6 % du PIB, contre les 5,1 % prévus initialement. Dans un article paru lundi soir, Mathias Thépot, journaliste à Mediapart, précise que cette prévision pourrait même grimper à 6,2 % d'ici 2025 si aucune mesure n'est prise. Éric Coquerel, dans son livre Lâchez-nous la dette, expliquait dès 2021 les dangers de cette politique de l’offre, qu’il comparait à « une politique de l’autruche » face à la question de la dette perpétuelle.

« Avec une hypothèse optimiste de 1,5 % de croissance annuelle, il faudrait 248 ans pour faire passer la dette de 120 % à 100 % du PIB. »

Pour Coquerel, l'un des épisodes les plus révélateurs de cette obstination remonte à novembre 2020. Devant Léa Salamé sur France Inter, Bruno Le Maire prônait le remboursement de la « dette Covid » sur vingt ans, non pas en augmentant les impôts, mais en misant sur le retour de la croissance avec des taux d’intérêt bas. « Cette stratégie permettrait de maintenir un cadre économique stable tout en évitant une explosion fiscale », affirmait alors Le Maire. Mais pour Coquerel, cette proposition est jugée « piégeuse » car elle exclut d’avance toute augmentation de la fiscalité sur les plus riches. En effet, si Bercy exclut tout impôt sur la fortune, ce remboursement passera fortement par une baisse des budgets alloués aux services publics. Pour cette raison, Coquerel souligne l'irréalisme d'une telle approche dans un contexte de faible croissance. L’économiste proche du Nouveau Front Populaire, Anne-Laure Delatte, citée dans l’ouvrage de Coquerel, écrit : « Avec une hypothèse optimiste de 1,5 % de croissance annuelle, il faudrait 248 ans pour faire passer la dette de 120 % à 100 % du PIB. » Une déclaration qui révèle l’abîme dans lequel cette politique pourrait entraîner le pays.

Mais pour Éric Coquerel, le plus inquiétant dans la démarche de Bruno Le Maire n’est pas seulement son entêtement à vouloir rembourser une dette colossale, mais la méthode employée. Il précise qu’en adoptant cette stratégie, Bruno Le Maire referme encore plus le piège de la dette, bien que les services publics continuent de se dégrader. « La France renonce à utiliser une partie de ses ressources pour les dépenses courantes, privant ainsi la Sécurité sociale d’une part de ses recettes courantes », critique encore Coquerel. Alors que les services publics et les structures accueillant des enfants autistes comme les Sessad ou les IME souffrent, la politique de l’offre continue d’éroder le modèle social français, tout en incitant peu les entreprises à embaucher massivement des travailleurs en situation de handicap.

" Il s’agit d’un déni démocratique, car la souveraineté du Parlement en matière budgétaire serait ainsi soumise à une institution indépendante non élue. »

Le respect des objectifs de dépenses, contrôlé par le Haut Conseil des finances publiques, une institution indépendante, créée suite au Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) en 2012, serait un piège pour Coquerel, qui n’hésite pas à présenter ce plan comme une atteinte à la souveraineté parlementaire : « Il s’agit d’un déni démocratique, car la souveraineté du Parlement en matière budgétaire serait ainsi soumise à une institution indépendante non élue. » La comparaison de Coquerel avec l’Ondam (Objectif national des dépenses d’assurance maladie), un mécanisme en vigueur depuis 1997 qui plafonne les dépenses de santé indispensables pour de nombreuses personnes en situation de handicap, est sans équivoque. Coquerel rappelle que cette logique a conduit au déclin de la santé publique française, autrefois « considérée comme la meilleure au monde », et que la crise du Covid a révélé son délabrement, malgré la qualité et le dévouement des soignants. Coquerel précise que les conséquences de ces choix économiques étaient visibles dès 2021. Alors que La France sort péniblement de la troisième vague épidémique, Bruno Le Maire dévoile son programme de stabilité. Il annonce une réduction des dépenses publiques, limitant leur augmentation à 0,7 % par an d’ici 2027, bien en dessous des 2 % des années 2000. Ce programme, qui vise à ramener le déficit sous la barre des 3 % du PIB, est qualifié d'« effort inédit » par le ministre.

Ces dépenses ne sont pas de simples coûts, mais aussi des investissements qui soutiennent l’économie en période de crise. « Construire une école ou isoler un bâtiment, c’est autant de recettes pour les entreprises de BTP, et de travail pour les salariés », écrit Coquerel, montrant ainsi que le maintien de l'investissement public dans des structures comme les Sessad et les IME accueillant des enfants autistes est essentiel à la stabilité économique de la France selon Coquerel. Ainsi, la politique de Bruno Le Maire, loin d’être une solution durable, pourrait bien entraîner la France dans une spirale de stagnation dans le développement de certains services publics, comme ceux prenant en charge les personnes en situation de handicap. « Adieu toute possibilité de politique économique différente de celle de l’ordolibéralisme », écrit Coquerel, pointant du doigt les dangers d’une politique budgétaire corsetée par les dogmes européens.

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