A Perpignan, Louis Aliot défend plus ses valeurs que les artistes indépendants

A Perpignan, Louis Aliot défend plus ses valeurs que les artistes indépendants

Depuis que Louis Aliot a été élu maire, la ville de Perpignan a vu émerger de nouvelles politiques culturelles décryptées par l'essayiste Olivier Gandou dans son ouvrage Perpignan sous mandat RN.

Oscar Tessonneau

En mémoire des harkis

Depuis le congrès de Tours, conclu en 2011, le FN, aujourd’hui Rassemblement National, tente de faire oublier son passé sulfureux. Néanmoins, il suffit d’observer les politiques publiques mises en œuvre dans les villes qu’il a gagnées aux dernières municipales, pour comprendre que le fantôme des anciens SS et autres cadres de l’OAS, n’est jamais très loin. Lorsqu’il a pris la tête de la ville, Louis Aliot a souhaité travailler sur la mémoire des harkis, en finançant à hauteur d’environ 100 000 euros des associations travaillant sur la mémoire de la guerre d’Algérie. La municipalité a organisé une exposition controversée sur la guerre d'Algérie, inaugurée le 10 mars 2021, pour "rétablir la vérité" sur cette période, avec des images choquantes de victimes du FLN. L’essayiste Olivier Gandou écrit : « cette exposition, réservée aux adultes et accessible uniquement sur réservation, visait à souligner les tortures et massacres subis par les harkis et pieds-noirs, renforçant ainsi un discours mémoriel particulier ».

De plus, cet évènement culturel n’est qu’un épiphénomène parmi ceux que les adjoints de Louis Aliot organisent pour promouvoir leurs valeurs identitaires. En effet, le 30 mars 2021, les Perpignanais ont découvert un visuel à connotation religieuse intitulé "Perpignan la Rayonnante", coûtant environ 10 000 euros. Gandou écrit : « Ce visuel, représentant Saint-Jean Baptiste sur fond sang et or, faisait partie d'une campagne de rebranding de la ville, incluant également le lancement d'un nouveau magazine municipal, "Perpignan ma ville", et un site internet remanié afin de positionner Perpignan comme la "capitale littéraire de la Méditerranée" ».

Catho-réac

Lorsqu’il indique que le maire souhaite transformer Perpignan en capitale littéraire de la Méditerranée, Gandou n’oublie pas de préciser que Louis Aliot fait systématiquement la promotion d’écrivains nationalistes. La démission de trois écrivains lauréats du prix Méditerranée en juillet 2020, protestant contre le parrainage de la ville de Perpignan, l’illustre parfaitement. « Cet acte fut qualifié de "mini fronde guignolesque" par André Bonet, adjoint à la culture », écrit Olivier Gandou. Proche des milieux littéraires conservateurs, Bonnet agit également pour que le patrimoine catholique des villes françaises soit mis en valeur.

En effet, des événements comme "musique sacrée" et la Sanch sont particulièrement mis en avant. Gandou écrit : « l'exposition d'Émile Mustacchi à l'hôtel Pams, du 29 avril au 25 juin 2023, utilise un visage d'homme évoquant Jésus Christ comme visuel principal, bien que l'artiste n'ait pas été consulté pour ce choix non représentatif de son œuvre." De plus,  certaines animations estivales de l'année 2022, comme les soirées narrées par le journaliste conservateur Franck Ferrand, ajoutent une dimension historique à ces événements culturels que la mairie organise, afin de mettre en valeur le goût immodéré du maire pour l’histoire d’un pays ayant des racines judéo-chrétiennes auxquelles il reste très attaché. Gandou écrit : « Franck Ferrand, connu pour son approche controversée de l'Histoire, est souvent critiqué pour son retour au "roman national" ».

Cette histoire pourrait potentiellement être détournée lors d’évènements autour du cinéma d’auteur ou de la culture rock indépendante comme l’opération « L’Art prend l’Air », consacrée à l’art éphémère. Relancée en 2022, cet évènement se déroule dans 15 lieux de création en centre-ville. Les artistes peuvent s’exprimer librement, mais leurs œuvres doivent véhiculer un message positif qui n'était pas toujours proposé dans l'un des grands évènements culturel de la région : Les Déferlantes. Ces dernières années, le célèbre festival de rock catalan, où l’on pouvait voir la bassiste Kim Gordon et son groupe Sonic Youth en concert il y a encore quelques années, s’est transformé en un évènement très commercial, où la qualité du son et le nombre de groupes indépendants à l’affiche fut fortement réduit.

Consumérisme

Comme souvent lorsqu’elle arrive au pouvoir d’une ville ou d’un pays, l’extrême-droite ne manque jamais d’ajouter une pincée d’ultralibéralisme économique à ses politiques publiques. Pour le comprendre, faisons un voyage dans le temps. Nous sommes le 10 janvier 2023. Sur le réseau social Facebook, la ville publie un message de Louis Aliot au sujet du festival Les Déferlantes. Dans ce post, on peut lire : « Le chantage et le sectarisme auront eu raison de l’intérêt culturel, économique et touristique de notre territoire. » Aliot se présente ainsi comme une victime des pressions des musiciens d’extrême-gauche, ayant refusé de venir jouer au festival, tout en véhiculant une vision consumériste de la culture.

En effet, le 11 janvier, le journaliste Nicolas Caudeville, sur son blog, écrit que le festival Les Déferlantes était devenu une « machine à fric », où les conditions d’écoute sont médiocres par rapport aux tarifs des places : « A partir d’une certaine jauge, la culture ce n’est plus de la gastronomie, c’est de l’agro-alimentaire avec tous les conservateurs et autres exhausteurs de goût qui vont avec », précise le journaliste. Dans son essai, Gandou précise qu’au printemps 2023, la colère des artistes indépendants de la ville contre Louis Aliot était telle qu’une pétition intitulée « une scène nationale n’est pas destinée à faire du recyclage culturel » commençait à circuler. Elle demandait à la ministre de la Culture de ne pas laisser « la scène nationale de Perpignan aux mains du RN ».

Malgré ces tensions, la mairie de Perpignan continue de communiquer sur la « grande vitalité » de la scène culturelle locale.

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